Abus de position dominante : amende record infligée à Intel par la Commission Européenne
Dans le prolongement de la publication, en février dernier, de son guide d’orientation sur les priorités retenues pour l’application de l’article 82 du traité CE relatif aux abus de position dominante[1], la Commission européenne vient d’infliger une amende de 1,06 milliards d’euros à la société Intel Corporation (« Intel »), numéro un mondial des microprocesseurs, pour exploitation abusive de sa position dominante[2].
Initialement déclenchée par des plaintes déposées par le principal concurrent d’Intel, la société AMD, l’enquête de la Commission aura duré cinq ans. Au terme de longues investigations, la Commission a estimé que les pratiques d’Intel avaient pour finalité l’exclusion de ses concurrents du marché des puces informatiques appelées « processeurs x86 » (1).
Cette décision, dont les effets se veulent particulièrement dissuasifs, marque la volonté de la Commission de renforcer son autorité à l’égard, notamment, des groupes de sociétés étant en situation dominante sur le marché communautaire (2).
1. Les faits constitutifs d’abus de position dominante
Si elle n’a pas formellement appliqué la procédure de contrôle du respect de l’article 82 du Traité CE édictée par son guide d’orientation (ce dernier a été publié postérieurement à cette affaire), la Commission s’est cependant référée aux effets anticoncurrentiels découlant du comportement d’Intel, indices d’abus de position dominante consacrés par le guide[3].
Elle a ainsi estimé qu’en pratiquant des remises et paiements conditionnels (1.1) et en effectuant des paiements visant à empêcher la vente de produits concurrents spécifiques (1.2), Intel avait abusé de sa position de dominance sur le marché communautaire.
1.1. Des remises et paiements conditionnels
Les premiers griefs reprochés concernent des remises accordées par Intel, entre 2002 et 2005, aux fabricants d’ordinateurs, à la condition que ces derniers achètent en totalité ou quasi totalité des processeurs Intel. Il a également été constaté que lorsque les fabricants pouvaient acheter une petite partie des processeurs à la société AMD, concurrente d’Intel, ils perdaient alors la remise accordée par Intel pour l’achat des processeurs pour lequel ils n’avaient d’autre choix que d’acheter à cette dernière.
En outre, la Commission reproche à Intel d’avoir effectué, entre 2002 et 2007, des paiements directs à un grand distributeur, à la condition que celui-ci ne vende que des ordinateurs PC équipés de processeurs Intel dans tous les pays dans lesquels il exerce une activité.
Dans sa décision, la Commission conteste, non pas les remises, mais les conditions auxquelles elles ont été accordées aux fabricants, ces derniers étant dépendants d’Intel pour une grande partie de leur approvisionnement en processeurs x86.
En effet, elle estime que ces comportements ont compromis la capacité des fabricants concurrents à affronter la concurrence et à innover, contribuant ainsi à réduire les possibilités de choix pour les consommateurs.
1.2. Des paiements empêchant la vente de produits concurrents
Les seconds griefs reprochés visent des paiements effectués par Intel au profit de fabricants d’ordinateurs, afin que ces derniers retardent ou annulent le lancement de produits spécifiques équipés de processeurs concurrents et/ou imposent des restrictions à la distribution de certains de ces produits.
La Commission estime que ces paiements ont eu pour effet potentiel d’empêcher l’entrée sur le marché de produits pour lesquels il existait une demande des consommateurs.
La fixation d’une amende record : la volonté de dissuasion de la Commission
Au-delà de son aspect punitif, cette décision a également pour objectif de dissuader toute entreprise de violer les règles antitrust du traité CE.
Elle a, en effet, été prise en conformité avec les lignes directrices relatives au calcul des amendes dans les affaires antitrust, lesquelles ont précisément été modifiées, en 2006, par la Commission afin de renforcer l’effet dissuasif des amendes.
Au terme de ces lignes directrices, le montant des amendes peut désormais atteindre jusqu’à 30% des ventes annuelles concernées par l’infraction, sans pouvoir dépasser 10% du chiffre d’affaires annuel total des entreprises. Ce montant est ensuite multiplié par le nombre d’années de l’infraction.
En outre, les lignes directrices prévoient désormais un système de « droit d’entrée », permettant à la Commission d’ajouter à l’amende calculée ci-dessus une somme comprise entre 15% et 25% des ventes annuelles, quelle que soit la durée de l’infraction.
Enfin, des majorations importantes sont prévues en cas de récidive, la Commission pouvant alors augmenter de 50% l’amende infligée.
Au cas d’espèce, le chiffre d’affaires réalisé par Intel au niveau mondial en 2007 s’est élevé à 27,9 milliards d’euros. Pour déterminer le montant de l’amende, la Commission s’est basée sur la valeur des ventes de processeurs x86 réalisée par Intel dans l’espace économique européen. Elle a également tenu compte de la durée (cinq ans et trois mois) et de la gravité de l’infraction.
La somme de 1,06 milliard d’euros correspond à 4,15% du chiffre d’affaires annuel d’Intel. La Commission aurait pu aller jusqu’à 10%. Intel dispose désormais d’un délai de trois mois pour payer l’amende.
Il s’agit de la plus grosse amende infligée par la Commission en matière d’abus de position dominante, puisqu’elle dépasse largement celle prononcée par la même autorité, en 2004, à l’encontre du numéro un mondial des logiciels, la société Microsoft.
Cette dernière avait, en effet, été condamnée à une amende d’un montant de 497,2 millions d’euros pour des faits d’abus de position dominante. La société avait alors choisi de faire appel devant le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes, lequel avait, par la suite, confirmé la décision de la Commission[4].
Intel a déjà prévenu qu’elle entendait faire appel de la décision de la Commission, bien que cette procédure ne soit pas suspensive du paiement de l’amende.
Les dirigeants estiment, en effet, que leurs pratiques ne contreviennent pas au droit européen et que c’est grâce à leurs investissements dans l’innovation, les capacités et techniques de production et l’élaboration de technologies de pointe, qu’ils peuvent accorder des remises qui, selon eux, profitent indirectement aux consommateurs…
[1] Voir article « Abus de position dominante : les nouvelles orientations de la Commission européenne », publié dans notre e-newsletter d’avril 2009
[2] Commission européenne, décision du 13 mai 2009
[3] Voir article « Abus de position dominante : les nouvelles orientations de la Commission européenne », publié dans notre e-newsletter d’avril 2009
[4] http://ec.europa.eu/competition/antitrust/cases/microsoft/court.html, TPICE, décision du 17 septembre 2007, Commission c/ Microsoft