Affaire BELVEDERE : vodka, créanciers en colère et avancée jurisprudentielle
Par arrêt du 1er décembre 2011, la Cour d’Appel de Nîmes écrit un nouveau chapitre de l’aventure « procédurière » du groupe de vins et spiritueux BELVEDERE, que nous suivons avec une toute particulière attention en tant que conseil de l’un des principaux créanciers de BELVEDERE. L’arrêt n’a pas tranché toutes les questions. La Cour le fera à compter du 5 janvier 2012. La décision du 1er décembre a toutefois le mérite d’apporter une précision procédurale inédite sur l’effet suspensif de l’appel du Parquet contre un jugement de conversion d’une sauvegarde en redressement judiciaire
1. Retour sur un contexte procédural hors norme
BELVEDERE, fabricant des boissons Marie Brizard, Sobieski et William Peel, pour ne citer que les plus connues, est depuis 2008 l’acteur principal de péripéties judiciaires multiples, avec pour ce débiteur singulier l’avantage non négligeable de le mettre à l’abri de créanciers, dont la créance exigible avoisine les 600 millions d’euros !
BELVEDERE a dans un premier temps fait l’objet d’une procédure de sauvegarde ouverte le 16 juillet 2008 par le Tribunal de Commerce de Beaune, lieu de son siège social. Le débiteur se révélant incapable de respecter quelque engagement pris au titre de son plan de sauvegarde, le Tribunal de Commerce de Dijon, (remplaçant celui de Beaune suite à la réforme de la carte judiciaire), confirmé par la Cour d’Appel de Dijon, a été contraint de prononcer le 4 avril 2011 la résolution du plan de sauvegarde.
BELVEDERE a alors demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation devant le Tribunal de Commerce de Dijon qui a fait droit à sa demande le 17 juin 2011.
Dans le même temps, alors que la conciliation était en cours, BELVEDERE a réussi l’exploit judiciaire, parfaitement inédit, de bénéficier d’une seconde procédure de sauvegarde, mais cette fois-ci devant le Tribunal de Commerce de Nîmes !
Une telle manœuvre judiciaire a été rendue possible par la mise sous sauvegarde, le 16 juin 2011, de l’une des sous filiales de BELVEDERE, MONCIGALE, devant le Tribunal de Commerce de Nîmes, MONCIGALE ayant son siège social à Beaucaire.
Puis, sous prétexte d’une confusion des patrimoines de BELVEDERE et MONCIGALE « avouée » par le Directeur Général du Groupe, la sauvegarde de cette dernière a été étendue à cette première par jugement du Tribunal de Commerce de Nîmes du 1er juillet 2011. A aucun moment les dirigeants de BELVEDERE n’ont alors informé le Tribunal de Commerce de Nîmes de l’existence d’une procédure de conciliation, ouverte à sa demande, et en cours, devant le Tribunal de Commerce de Dijon !
BELVEDERE a, courant septembre 2011, transféré son siège social de Beaune à Beaucaire pensant sans doute pouvoir plus aisément accréditer la théorie de la confusion des patrimoines invoquée.
Le Ministère Public a fait appel de ce jugement d’extension, considérant que la confusion des patrimoines n’était aucunement établie au regard de la jurisprudence, notamment telle qu’elle résulte de l’affaire Metaleurop.
C’est sur cet appel du Parquet que la Cour d’Appel de Nîmes devait se prononcer le 1er décembre 2011. C’était sans compter sur un nouveau rebondissement procédural.
En effet, alors que la Cour d’Appel de Nîmes était saisie depuis le 8 juillet 2011 du recours du Ministère Public contre le jugement d’extension de la sauvegarde de MONCIGALE à BELVEDERE, le Tribunal de Commerce de Nîmes a prononcé la conversion en redressement judiciaire de la sauvegarde de BELVEDERE et de MONCIGALE par jugement du 20 septembre 2011, constatant l’état de cessation des paiements, tant de BELVEDERE que de MONCIGALE.
Le Tribunal de Commerce de Nîmes a ainsi converti en redressement judiciaire une sauvegarde ouverte par un jugement frappé d’appel…
Ce jugement de conversion a derechef fait l’objet d’un appel du Ministère Public, seulement en ce qui concerne BELVEDERE, de sorte que MONCIGALE est incontestablement en redressement judiciaire depuis le 20 septembre 2011.
C’est au regard de ce contexte procédural complexe que la Cour d’Appel a relevé d’office dans son arrêt du 1er décembre 2011, un moyen qu’aucune des parties n’avait soulevé, selon lequel, conformément à l’article 369 du Code de procédure civile[1], l’ouverture du redressement judiciaire de MONCIGALE par jugement du 20 septembre 2011 avait eu un effet interruptif sur l’instance dont elle était saisie, l’empêchant de statuer sur l’appel, tant que les régularisations devant être entreprises par le Ministère Public n’avaient pas été effectuées (à savoir la mise en cause des organes de la procédure de redressement judiciaire de MONCIGALE).
Pour statuer en ce sens, la Cour d’Appel a, cependant, au préalable, affirmé l’effet suspensif de l’appel du Ministère Public dirigé contre le jugement de conversion d’une sauvegarde en redressement judiciaire, apportant ainsi une précision jurisprudentielle inédite.
En l’espèce, l’appel du Parquet n’ayant pas été dirigé contre la conversion en redressement judiciaire de la sauvegarde de MONCIGALE mais seulement à l’encontre de la conversion en redressement judiciaire de BELVEDERE, la Cour a constaté que cet appel n’avait pas eu d’effet suspensif en ce qui concernait MONCIGALE, ce qui emportait donc interruption de l’instance d’appel dont elle est saisie.
2. L’effet suspensif de l’appel du Ministère Public à l’encontre d’un jugement de conversion d’une sauvegarde en redressement judiciaire
Avant l’entrée en vigueur de la loi de sauvegarde de 2005, l’appel du Ministère Public dirigé contre toute décision rendue en matière de redressement ou liquidation judiciaire avait automatiquement un effet suspensif.
En pratique, l’effet suspensif de l’appel du Parquet avait un effet dissuasif sur son exercice en raison de la paralysie des procédures dont appel qui en était la conséquence directe[2].
Pour cette raison, la loi de sauvegarde a supprimé l’effet suspensif de l’appel du Ministère Public, lorsqu’il porte sur l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire.
L’article L. 661-1 II du Code de commerce prévoit donc que « L’appel du ministère public est suspensif, à l’exception de celui portant sur les décisions statuant sur l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire ».
Depuis l’entrée en vigueur de la loi de sauvegarde, la jurisprudence n’avait, à notre connaissance, pas encore eu l’occasion de préciser si la décision de conversion d’une sauvegarde en redressement judiciaire devait être assimilée à une décision statuant sur l’ouverture d’un redressement judiciaire au sens de l’article L. 661-1 II du Code de commerce.
Se posait donc la question de savoir si l’appel du Parquet contre un jugement de conversion était ou non suspensif.
C’est à cette question que la Cour a le 1er décembre 2011 répondu oui. L’appel du Parquet est suspensif en ce cas.
En effet, le législateur a clairement distingué, aux termes de l’article L.661-1I:
D’une part :
« 1°) les décisions statuant sur l’ouverture des procédures de (…) redressement judiciaire »
D’autre part :
<p « >« 4°) Les décisions statuant sur la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire… ».
Chacune de ces décisions est donc soumise à son régime propre et l’exception visée à l’article L. 661-1 II ne concerne que les décisions visées par l’article L. 661-1 I 1°), à savoir les décisions statuant sur l’ouverture des procédures de redressement judiciaire.
Ainsi, pour toutes les autres décisions susceptibles de faire l’objet d’un appel du Ministère Public, notamment les décisions statuant sur la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire, l’exécution provisoire est arrêtée de plein droit à compter du jour de cet appel conformément à l’alinéa 4 de l’article R. 661-1 du Code de Commerce[3].
La Cour en a ainsi justement déduit que l’effet suspensif de l’appel du Parquet avait pour conséquence de priver le jugement de conversion en redressement judiciaire de son effet interruptif au sens de l’article 369 du Code de procédure civile, toutefois seulement en ce qui concerne BELVEDERE, seule société visée par l’appel du Parquet.
L’arrêt de la Cour d’Appel de Nîmes du 1er décembre 2011 a certes, pour l’heure, un effet jurisprudentiel encore limité, dans la mesure où il n’est pas susceptible de recours en l’état puisque la Cour, pour trancher une dernière question, a rouvert les débats au 5 janvier 2012.
La décision du 1er décembre n’est donc pas exposée quant à présent à l’inscription d’un pourvoi en cassation, mais lorsque la Cour aura tranché toutes les questions posées par cette procédure si singulière, son arrêt reprenant la disposition relative à l’appel du Ministère Public, dans le cas d’une conversion, pourra être examiné en cas de pourvoi par la Cour de cassation et, s’il devenait définitif, exciter la verve de la doctrine.
Cet arrêt a le mérite d’éclairer les praticiens sur une épineuse question de procédure qui s’inscrivait jusqu’alors dans un contexte jurisprudentiel désertique
[1] Article 369 du Code de procédure civile :
« L’instance est interrompue par :
(…)
– l’effet du jugement qui prononce le règlement judiciaire ou la liquidation des biens dans les causes où il emporte assistance ou dessaisissement du débiteur. »
[2] Extrait de la circulaire du 18 avril 2006 relative à l’action du ministère public dans les procédures du Livre VI du Code de commerce CIV 2006 – 08 D4/18-04-2006 : « Enfin, l’effet suspensif de l’appel du ministère public, lorsqu’il porte sur l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, a été supprimé afin, notamment, de lui permettre d’exercer son droit de recours pour faire respecter les règles de compétence territoriale des juridictions. La paralysie des procédures qui était, dans le droit antérieur, la conséquence de ce recours, avait un effet dissuasif sur cet exercice. »
[3] Article R. 661-1 al. 4 du Code de Commerce : « En cas d’appel du ministère public d’un jugement mentionné aux articles L. 661-1, à l’exception du jugement statuant sur l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, L. 661-6 et L. 661-11, l’exécution provisoire est arrêtée de plein droit à compter du jour de cet appel. Le premier président de la cour d’appel peut, sur requête du procureur général, prendre toute mesure conservatoire pour la durée de l’instance d’appel. »