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Publié le 1 décembre 2013 par Soulier Avocats

Focus sur la proposition de loi dite « loi Florange »: vers un sauvetage des sites industriels français ou au contraire une nouvelle fuite des investisseurs ?

Adoptée le 1er octobre 2013 par l’Assemblée Nationale dans le cadre de la procédure accélérée, la proposition de loi visant à « redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel », dite loi « Florange »,  instaure une obligation pour les entreprises, sous peine de sanctions, de recherche d’un repreneur en cas de projet de fermeture de l’entreprise.

Cette proposition de loi devrait entrer en vigueur au début de l’année 2014[1].

Dans notre e-newsletter de mai 2013, nous avions déjà annoncé le projet de loi qui devait venir compléter les dispositions d’ores et déjà introduites dans la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 relatives à cette obligation de recherche d’un repreneur.

Compte-tenu des différences entre les deux dispositifs, et afin de rendre plus lisible l’obligation et la procédure de recherche d’un repreneur, le législateur a décidé de les unifier. Les dispositions de la proposition de loi seraient ainsi insérées dans le Code du travail aux nouveaux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-22, dont les modalités d’application seraient fixées par décret en Conseil d’Etat. Concomitamment serait abrogé l’article L. 1233-90-1 du Code du travail, issu de la loi sur la sécurisation de l’emploi.

Sur le fond, le texte n’a plus grand-chose à voir avec les annonces initiales du candidat François Hollande. En effet, aux termes de la proposition de loi, seuls les entreprises et groupes de plus de 1.000 salariés seront concernés. Les petites et moyennes entreprises (PME) seront donc en principe exclues du dispositif. Un critère qui fait bondir les syndicats, qui estiment que 85 % des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) déclenchés ces dernières années en France concernent justement des sociétés de moins de 1.000 personnes.

Il ne serait en outre plus question d’obliger un chef d’entreprise à céder le site dont il veut se débarrasser. Le Législateur met à la charge de l’entreprise une obligation de moyens et non de résultat : si les sociétés devraient bien « rechercher un repreneur en cas de projet de fermeture d’un établissement« , elles pourraient refuser d’aller plus loin si cela met en péril « la poursuite de l’ensemble de l’activité ».

Le Ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, évoque un « compromis responsable » entre protection et attractivité. A droite, on évoque l’atteinte aux droits de propriété et d’entreprise et on met en avant le risque d’une fuite accélérée des investisseurs.

Après une brève présentation du dispositif en voie de discussion et des sanctions encourues, nous nous poserons la question clef de l’intérêt de cette loi : aussi louable que soit son objectif – celui de protéger l’emploi industriel – est-on bien certain que les mesures et contraintes proposées permettront réellement de sauver les sites industriels en France ?

1. Présentation du dispositif

La procédure prévue par la proposition loi s’appliquera à toute entreprise soumise à l’obligation de proposer un congé de reclassement, c’est-à-dire les entreprises ou établissements d’au moins 1.000 salariés mais également les entreprises ou groupes d’entreprises[2] employant au moins 1.000 salariés au total. En revanche, ne seront pas concernées les entreprises en redressement ou liqui­dation judiciaire, ces dernières n’étant pas soumises aux dispositions relatives au congé de reclassement. Seules les entreprises en procédure de sauvegarde entreront dans le champ de la loi.

Seront par ailleurs uniquement concernées les entreprises qui envisagent la fermeture d’un établissement dans le cadre d’un projet de licenciement collectif.

Aux termes de la proposition de loi, sujette toutefois à amendements éventuels du Sénat, les trois étapes du processus sont les suivantes :

  • Première étape du processus : le Législateur met à la charge de l’entreprise une obligation d’information préalable du Comité d’entreprise (ci-après « CE ») et de l’Autorité administrative (sans-doute la DIRECCTE) « au plus tard à l’ou­verture de la procédure d’information et de consultation prévue à l’article L. 1233-20 du Code du travail » dans le cadre de la procédure de licenciement collectif.

L’entreprise doit adresser aux représentants du personnel, avec la convocation à la réunion, tous renseignements utiles sur ce projet et notamment la raison de la fermeture, les actions envisagées pour retrouver un repreneur, les possibilités pour les salariés de déposer une offre de reprise, les différents modèles de reprise possibles, en particulier sous forme de Scop, ainsi que le droit pour le CE de recourir à un expert.

 Pour permettre une mobilisation rapide de tous les acteurs concernés par la survie du site, le législateur a prévu que la notification par l’entreprise du projet de fermeture à l’Autorité adminis­trative se fasse « sans délai ». De plus, l’Autorité administrative informe, dès que le projet lui a été notifié, les élus concernés tandis que l’entreprise informe le maire de la commune de son projet de fermeture.

  • Deuxième étape du processus : elle consiste pour le dirigeant d’entreprise à rechercher activement un repreneur.

Tout d’abord, le chef d’entreprise est tenu (i) d’informer tous les repreneurs potentiels de son intention de céder l’établissement/l’entreprise, (ii) de réaliser un document de présentation de ce dernier/cette dernière à cet effet, et, le cas échéant, (iii) d’engager la réalisation d’un bilan environnemental.

Il doit donner accès aux entreprises candidates à toutes les informations nécessaires, à l’exception de celles susceptibles de porter atteinte aux intérêts de l’entreprise ou celles qui mettraient en péril la poursuite de son activité. Enfin, obligation est faite à l’entreprise d’examiner les offres de reprise qu’elle a reçues et d’apporter une réponse motivée à chacune d’elles.

Concernant la durée de la recherche : le législateur a calé la période de recherche d’un repreneur sur celle de l’information-consultation du CE prévue dans le cadre du licenciement collectif, à savoir : deux mois lorsque le nombre des licenciements est inférieur à 100, trois mois lorsque le nom­bre est au moins égal à 100 et inférieur à 250, quatre mois lorsque le nombre est au moins égal à 250.

Le CE peut s’impliquer dans la procédure de recherche. L’entreprise doit le tenir informer des offres de reprise formalisées au plus tard 8 jours après leur réception ; ces informations sont réputées confidentielles.

Le CE a la possibilité d’émettre un avis, de formuler des propositions et de participer à la recherche d’un repreneur.

Dans sa démarche, le CE peut recourir à l’assistance d’un expert qui est rémunéré par l’entreprise et a pour mission d’analyser le processus de recherche d’un repreneur, d’apprécier les informations mises à la disposition des repreneurs potentiels, d’étudier les offres de reprise, et même d’apporter son concours à la recherche d’un repreneur par le CE et à l’élaboration de projets de reprise. En cas de recours à un expert, l’entreprise n’aura donc pas d’autre choix que de s’investir très sérieusement dans cette recherche de repreneurs.

  • Troisième étape du processus : à l’issue de la période de recherche, l’entreprise consulte le CE sur toute offre de reprise à laquelle il souhaite donner suite en en indiquant les raisons, notamment au regard de la capacité de l’auteur de l’offre à garantir la pérennité de l’activité et de l’emploi. Le CE doit émettre un avis sur cette offre dans un délai ne pouvant pas être inférieur à 15 jours.

En l’absence d’offre de reprise ou en cas de refus par l’entreprise de donner suite aux offres reçues, cette dernière doit alors présenter au CE un rapport, avant l’expiration des délais impartis aux représentants du personnel pour donner leurs deux avis sur le projet de licenciement. Ce rapport très complet, communiqué à l’Autorité administrative, indique les actions engagées pour rechercher un repreneur, les offres de reprise reçues et leurs caractéristiques ainsi que, le cas échéant, les motifs de refus.

2. Sanctions encourues 

Aux termes de la proposition de loi, le CE  – ou à défaut les délégués du personnel – peut saisir le Tribunal de Commerce, dans le délai de 7 jours suivant la réunion au cours de laquelle l’entreprise a remis son rapport, s’il estime que l’entreprise n’a pas satisfait à ses obligations de recherche d’un repreneur ou qu’elle a refusé de donner suite à une offre qu’il considère sérieuse. Le Tribunal doit statuer dans le délai de 14 jours, sachant que l’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi ne pourra pas intervenir avant ce jugement.

Gare aux entreprises qui ne jouent pas sérieusement le jeu ! En cas de non-respect de ses obligations, l’entreprise pourrait, aux termes de la proposition de loi, en particulier être condamnée au versement d’une pénalité pouvant atteindre pas moins de 20 fois la valeur mensuelle du Smic (soit près de 30.000 euros) par emploi supprimé dans le cadre du licenciement collectif consécutif à la fermeture de l’établissement, dans la limite de 2 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise.

3. Notre point de vue 

Comme si les contraintes des entreprises n’étaient pas suffisamment importantes dans le cadre des procédures de licenciements collectifs pour motif économique, le législateur vient ajouter un nouveau formalisme, de nouveaux rapports à remettre au CE, une nouvelle contrainte financière probable, liée à la nomination d’un expert par le CE, à défaut de quoi elles encourent le risque de se voir infliger une sanction particulièrement lourde. 

Il faut en outre savoir que la proposition de loi prévoit également une autre disposition aux termes de laquelle le rôle du CE serait renforcé lors d’une Offre Publique d’Acquisition (OPA) : il est en effet prévu que le CE de la cible soit obligatoirement consulté sur le projet d’offre et ce, avant que le conseil d’administration ou le conseil de surveillance n’ait rendu son avis. Mais surtout le CE aurait même la possibilité de saisir un « médiateur » désigné par le Gouvernement en cas d’objections du CE sur les projets de l’auteur de l’offre concernant la société cible !

On peut craindre que ces nouvelles mesures et contraintes coûteuses, qui alourdissent les opérations de reprises, n’effrayent les candidats potentiels et plus généralement découragent les investisseurs en France. 

D’autant que la proposition de loi autorise l’entreprise à ne pas communiquer aux potentiels repreneurs les informations « dont la communication serait de nature à porter atteinte aux intérêts de l’entreprise« . Si cette limitation vise à protéger l’entreprise cédante vis-à-vis de ses concurrents sur le marché, elle constitue un frein important pour le repreneur potentiel dans la constitution de son offre et risque d’en décourager plus d’un. 

En tout état de cause, il est évident qu’une entreprise qui ne souhaite pas vendre son site pour ne pas renforcer un concurrent sur le marché et donc protéger ses intérêts, se servira pleinement du « prétexte » de la limitation d’informations autorisée susvisée, quitte à prendre le risque de la sanction pécuniaire plutôt que celui de renforcer un concurrent. 

Au final, on se demande si cette proposition de loi, à force de compromis, ne perd pas tout son sens en ayant pour effet de complexifier encore un peu plus les restructurations sans pour autant au final empêcher les fermetures des usines. 

Le législateur cherche-t-il vraiment à reconquérir l’  « économie réelle » ?  Ne baigne-t-on pas plutôt dans l’irréalisme, pour ne pas dire…l’utopie?

 


[1] Aux termes de la proposition de loi, il est même prévu que les nouvelles dispositions soient applicables aux procédures de licenciement collectif engagées dès le 1er janvier 2014. On doute toutefois que cette application au 1er janvier ait lieu en pratique, le Sénat n’ayant à ce jour pas encore fixé de date pour l’examen de cette proposition de loi dans son agenda ! Surpris d’un tel constat et nous demandant légitimement si ce retard ne dissimulait pas une marche arrière du gouvernement sur cette mesure, nous avons donc contacté la Sénatrice et Rapporteure de la proposition de loi, Anne Emery-Dumas, qui nous a indiqué que la date d’examen a été reportée pour une simple raison d’un « embouteillage des textes », tout en nous confirmant que la proposition de loi serait examinée. Ainsi, même s’il est fort probable que cette obligation ne soit pas effectivement applicable au 1er janvier 2014, nous souhaitions malgré tout alerter nos lecteurs au plus vite de l’entrée en vigueur imminente de cette loi, compte-tenu des enjeux importants l’entourant.

[2] au sens retenu pour le comité de groupe ou le comité d’entreprise européen