La clause compromissoire et la clause attributive de juridiction : des régimes juridiques qui ne se confondent pas
La clause compromissoire (ou d’arbitrage) et la clause attributive de compétence se rencontrent fréquemment dans les contrats conclus entre commerçants. Toutes deux destinées à régir les conflits pouvant survenir entre les parties à l’occasion ou à l’issue d’un contrat, elles ne se confondent toutefois pas et obéissent à des régimes juridiques distincts. C’est ce que la Première Chambre Civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler par arrêt du 5 septembre 2018.
Cet arrêt nous donne également l’occasion de revenir sur le principe de compétence-compétence applicable en matière d’arbitrage et sur la relative complexité de sa mise en œuvre.
La clause compromissoire (ou d’arbitrage) et la clause attributive de compétence appartiennent à la même catégorie des clauses relatives au règlement des différends.
La clause compromissoire[1] est un mode privé de règlement des litiges. Elle traduit la volonté des parties de se soustraire aux juridictions étatiques pour soumettre à un arbitre tout litige éventuel et futur qui pourrait naître relativement à leur contrat.
La clause attributive de compétence[2] a, pour sa part, vocation à déterminer par avance la juridiction étatique qui aura seule compétence pour trancher les éventuels litiges futurs issus de leur relation contractuelle.
Ces deux clauses dérogent aux règles de compétence matérielle (pour la première) et territoriale (pour la seconde) de droit commun.
Elles doivent donc impérativement être stipulées par écrit, avoir été expressément acceptées par chacune des parties, et ne sont valables qu’entre professionnels.
Leur application donne lieu, pour chacune, à un abondant contentieux dont l’arrêt commenté[3] fournit une nouvelle illustration.
Cet arrêt de la Cour de cassation mérite une attention particulière en ce qu’il rappelle avec fermeté que la clause compromissoire et la clause attributive de compétence, bien que partageant des points communs du fait de leur caractère dérogatoire, ne suivent pas le même traitement juridique.
1/ La clause compromissoire et la clause attributive de compétence : des régimes juridiques distincts
Dans l’arrêt commenté, une société A avait conclu avec diverses sociétés d’un même groupe B un contrat de fourniture de modules solaires, comportant une clause attributive de compétence au profit des juridictions françaises. A ce contrat étaient annexées des polices d’assurance souscrites par les sociétés membre du groupe B auprès de trois assureurs, couvrant notamment les défauts de puissance des modules. Un différend ayant opposé les parties à propos de l’exécution du contrat de fourniture, la société A a assigné ses cocontractantes devant le tribunal de commerce par application de la clause attributive de compétence, puis a appelé en cause les trois assureurs. L’un d’eux a soulevé l’incompétence du tribunal de commerce, en invoquant la clause compromissoire stipulée au contrat d’assurance.
La Cour d’appel a d’abord écarté la clause compromissoire au profit de la clause attributive de compétence. En effet, les juges d’appel, faisant une interprétation extensive de l’article 48 du Code de procédure civile relatif à la clause attributive de compétence, ont jugé que le tribunal de commerce était compétent. Ils ont estimé que l’assureur ne rapportait pas la preuve que la clause compromissoire avait été portée à la connaissance de, et acceptée par, la société A, ni qu’elle était reportée dans les annexes au contrat.
Il convient ici de rappeler qu’en vertu de l’article 48 susvisé et d’une jurisprudence constante, la clause attributive de compétence, qui doit être spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie défenderesse, doit nécessairement avoir été connue et acceptée par celle-ci au moment de la formation du contrat pour lui être opposable[4].
Néanmoins, la Cour de cassation, dans sa décision du 5 septembre 2018, casse ce volet de l’arrêt d’appel, au motif que « les dispositions de l’article 48 du code de procédure civile relatives aux clauses attributives de compétence sont inapplicables aux clauses compromissoires ».
La Haute Juridiction affirme ainsi que la clause attributive de compétence et la clause compromissoire ne se confondent pas. Quand bien même ces deux clauses dérogent toutes deux aux règles de compétence de droit commun, elles ne suivent pas le même traitement juridique.
2/ Le principe de compétence-compétence
L’arrêt du 5 septembre 2018 est également l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler le principe de compétence-compétence applicable en matière d’arbitrage.
En effet, dans l’espèce commentée, la Cour d’appel avait déclaré le tribunal de commerce primitivement saisi compétent pour connaître le litige, en application de la clause attributive de compétence. La Cour avait écarté la clause compromissoire au motif que celle-ci était stipulée dans le contrat d’assurance conclu entre l’assureur et l’assuré et qu’elle ne pouvait donc s’appliquer à un tiers à ce contrat, quand bien même celui-ci pouvait en être bénéficiaire en cas de sinistre. Ainsi, selon les juges d’appel, l’assureur ne pouvait se prévaloir de la notion « d’ensemble contractuel » puisqu’il n’était pas impliqué dans le contrat principal de fourniture de modules.
La Haute Juridiction casse également l’arrêt sur ce point.
Elle rappelle que la Cour d’appel ne pouvait statuer en ce sens sans avoir préalablement constaté que la clause compromissoire était manifestement nulle ou inapplicable.
La Cour de cassation fait ici application du principe de compétence-compétence posé par l’article 1448 du Code de procédure civile, lequel dispose :
« Lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.
La juridiction de l’Etat ne peut relever d’office son incompétence.
Toute stipulation contraire au présent article est réputée non écrite. »[5]
En d’autres termes, il appartient à l’arbitre de statuer par priorité sur l’existence, la validité et l’étendue de la convention d’arbitrage d’où il tire son investiture. La juridiction étatique est incompétente pour le faire, sauf si elle constate que ladite convention d’arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable[6].
A titre d’exemple, a été jugée manifestement inapplicable la clause compromissoire stipulée dans un contrat distinct de celui dont l’exécution était poursuivie par l’une des parties et qui, pour sa part, contenait une clause attributive de compétence. Il ressortait des faits que les parties avaient voulu distinguer les contrats, qui avaient des objets différents, par des clauses contraires[7].
La Cour de cassation se montre néanmoins exigeante quant à l’appréciation et la qualification du caractère manifestement nul ou inapplicable de la convention d’arbitrage par les juges du fond.
Ainsi a-t-elle déjà jugé que ne caractérisait pas cette nullité ou inapplicabilité la cour d’appel qui, pour juger compétent le tribunal de commerce pour statuer sur une demande en concurrence déloyale (de nature quasi délictuelle), avait retenu que le litige était donc étranger à la sphère contractuelle et que la clause compromissoire était limitée aux difficultés survenant dans l’exécution, l’interprétation ou la résiliation du contrat[8].
En l’espèce, si les juges du fond, pour écarter la clause compromissoire, ont estimé que celle-ci ne pouvait s’appliquer qu’entre assuré et assureur, et non à un tiers au contrat d’assurance, ils n’ont pas constaté que cette clause était manifestement nulle ou inapplicable, violant ainsi l’article 1448 alinéa 1 susvisé.
[1] Cf. articles 1442 à 1449 du Code de procédure civile et articles 2059 à 2061 du Code civil
[2] Cf. article 48 du Code de procédure civile
[3] Cass. Civ. 1e, 5 septembre 2018, n°17-13837
[4] Cass. Com., 4 mars 2014, n°13-15846
[5] Surlignages en gras ajoutés
[6] Cass. Civ. 1e, 11 avril 2018, n°17-17991
[7] Cass. Civ. 1e, 12 février 2014, n°13-18059
[8] Cass. Civ. 1e, 8 novembre 2005, n°02-18512