Concurrence déloyale : typologie des pratiques interdites
A l’ère du libéralisme économique, l’ouverture à la concurrence est largement favorisée dans nos sociétés modernes.
En France, la liberté du commerce et de l’industrie est un principe relativement ancien, proclamé à l’issue de la période révolutionnaire avec le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791.
Ce principe fondamental, élevé au rang des valeurs constitutionnelles depuis une décision du Conseil Constitutionnel du 16 janvier 1982, souffre toutefois d’une exception : la concurrence déloyale.
Lorsque le jeu de la concurrence, qui est en principe licite, devient fautif par l’emploi de procédés déloyaux, des sanctions peuvent être prises à l’égard de l’agent économique en cause. L’entreprise (au sens large) qui s’adonne à des actes de concurrence déloyale, engage ainsi sa responsabilité sur le plan de la responsabilité délictuelle, prévue à l’article 1240 du Code civil.
Il n’existe en effet pas de texte spécifique aux actes de concurrence déloyale, lesquels sont sanctionnés sur le fondement du droit commun.
Il s’en infère que, comme pour toute faute délictuelle, le demandeur qui s’estime lésé devra classiquement démontrer devant les juridictions compétentes l’existence d’une faute commise à son encontre, à savoir une manœuvre déloyale, d’un préjudice qu’il a subi et d’un lien de causalité entre la faute alléguée et ce préjudice.
Les actes de concurrence déloyale ne faisant l’objet d’aucun recensement textuel spécifique, puisque qualifiés comme tels dès lors qu’est établi l’emploi de procédés déloyaux et fautifs faussant le jeu de la concurrence, ceux-ci sont relativement nombreux et variés.
Au regard des actes de concurrence déloyale retenus par la jurisprudence, il est toutefois possible d’en identifier quatre grandes catégories, à savoir : le dénigrement, le parasitisme, la désorganisation et l’imitation.
Le dénigrement
Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits et services commercialisés par une entité économique afin de bénéficier d’un avantage concurrentiel.
La qualification d’acte de dénigrement a par exemple été retenue à l’encontre d’une société spécialisée dans la fabrication et la vente de composants électroniques qui a adressé un courrier aux clients de son concurrent, en affirmant que les produits commercialisés par ce dernier étaient le résultat d’informations volées par ses anciens salariés, qu’un procès était en cours et que les investigations permettraient de confirmer ces suspicions. La Cour de cassation a estimé qu’il s’agissait de propos dénigrants dès lors que ledit courrier faisait état d’infractions pénales présentées comme établies et avérées alors que la décision de la juridiction saisie n’était pas définitive.[1]
Il est à noter que le dénigrement doit être distingué de la diffamation, dont le régime juridique est exclusivement encadré par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La diffamation caractérise en effet les atteintes portées à l’honneur ou la considération d’une personne, et non aux produits et services qu’elle commercialise.
Le parasitisme
Le parasitisme correspond au fait de profiter des efforts d’un concurrent (son savoir-faire, sa notoriété, un investissement financier) en se plaçant dans son sillage, afin d’en tirer un avantage économique sans avoir soi-même à devoir fournir cet effort.
La Cour d’appel de Paris a ainsi sanctionné une société spécialisée dans la vente de matériels d’outillage pour avoir copié la présentation du site internet de son concurrent, lequel avait dépensé une somme importante pour la création de ce site. La Cour a retenu que la stratégie commerciale adoptée par l’entreprise en cause, dont le but était de rechercher une proximité avec le commerce en ligne de sa concurrente, en s’épargnant ainsi toute perte de temps et d’investissements en recherches et développement, et en privant de surcroît ce concurrent de l’entier profit qu’il pouvait légitimement attendre, constituait un acte de parasitisme.[2]
La désorganisation
La désorganisation recoupe toutes les techniques visant à désorganiser une entreprise concurrente, tel que le débauchage fautif (qui peut se présenter sous la forme d’un débauchage massif, sélectif ou stratégique, réalisé dans le but de désorganiser le concurrent visé), l’affaiblissement d’un concurrent par la révélation de son secret de fabrique, ou encore le détournement de sa clientèle, via un démarchage systématique et ciblé de ses clients ou le détournement de son fichier de clientèle.
S’agissant des actes aux fins de captation de clientèle, la seule preuve de l’appropriation d’informations confidentielles appartenant à une société concurrente, transmises à une entreprise par son ancien salarié, suffit à caractériser un acte de concurrence déloyale sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve d’une utilisation réitérée de ce fichier ou l’existence d’une clause de non-concurrence à laquelle ce salarié serait tenu.[3]
L’imitation
Il est ici question de créer une confusion dans l’esprit de la clientèle sur la qualité de la personne ou de l’entité avec qui elle traite. Il s’agit par exemple de se faire passer pour le salarié ou le fournisseur d’une société sans l’être, ou encore d’utiliser des documents commerciaux très similaires à ceux de son concurrent pour tromper la vigilance d’un client sur l’entreprise avec qui il contracte.
La Cour de cassation considère ainsi que le fait de se présenter faussement comme le distributeur agréé d’un fournisseur constitue un acte de concurrence déloyal à l’égard du véritable distributeur agréé par ce même fournisseur.[4]
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Indifféremment du type d’acte de concurrence déloyale en présence, l’une des difficultés principales de la matière est de pouvoir prouver la réalité des actes de concurrence déloyale allégués afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice. La preuve de la faute incombe en effet au demandeur.
Or, il est aisé d’imaginer les difficultés que l’on peut rencontrer pour se constituer les preuves des manœuvres déloyales entreprises par une société tierce. En présence d’un doute sur le détournement de son fichier de clientèle par un concurrent, le demandeur se heurtera par exemple à l’impossibilité d’accéder aux données informatiques de celui-ci pour prouver qu’il est effectivement en possession dudit fichier et qu’il se l’est fait transmettre.
Dans de telles situations, le demandeur peut solliciter auprès de la juridiction compétente, dans le cadre d’une procédure en référé et sous certaines conditions, une mesure d’instruction dite « in futurum »[5] afin de se constituer des preuves avant d’intenter un procès en concurrence déloyale.
Si une telle mesure est accordée par le juge, celui-ci mandatera un commissaire de justice dont la mission sera de se présenter de manière inopinée dans l’entreprise auteure présumée des actes de concurrence déloyale et d’y extraire tous les éléments en lien avec sa mission.
Une fois la preuve des manœuvres déloyales établie, il sera nécessaire d’évaluer le préjudice subi (et là encore, de réunir les éléments permettant d’en justifier devant les juridictions). Il est d’ailleurs recommandé de quantifier ce préjudice préalablement à toute action contentieuse, pour pouvoir apprécier le caractère opportun de la saisine des instances judiciaires.
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[1] Cass. Com. 27 janvier 2021, n°18-21.697
[2] CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 15 avril 2016, n°14/05590
[3] Cass. com. 17 mai 2023, n°22-16.031
[4] Cass.com. 10 novembre 2021, n°20-13.607
[5] Article 145 du Code de procédure civile