Conditions de recevabilité d’une fin de non-recevoir tirée de l’estoppel
Consacré par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation en février 2009[1], le principe de l’estoppel permet une cohérence des débats en interdisant à une partie de se contredire au détriment de son adversaire. Depuis le début de l’année 2018, ce ne sont pas moins de sept décisions de la Cour de cassation qui ont précisé la nature et le régime de ce principe.
Au regard du nombre de jurisprudences de la Cour de cassation, les conditions de mise en œuvre du principe selon lequel « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui » se révèlent être rigoureuses.
La Cour de cassation a notamment précisé que :
- L’estoppel doit être constitutif d’un changement de position, en droit, de nature à induire l’autre partie en erreur sur ses intentions[2].
- L’estoppel suppose que les prétentions de la partie à laquelle la fin de non-recevoir est opposée induisent l’adversaire en erreur sur les intentions de leur auteur[3].
- Une partie ne se contredit pas lorsqu’elle invoque des moyens incompatibles dans des procédures respectivement poursuivies en France et aux Etats-Unis[4].
- En matière d’appel, les parties peuvent lors de cette procédure, invoquer des moyens nouveaux, sans se contredire au détriment d’autrui[5].
- Les allégations contraires développées au cours d’une procédure antérieure, ne doivent pas être prises en compte par les juges du fond, dès lors que les parties n’ont pas changé leurs prétentions en cours de procédure[6].
Par six décisions rendues le 15 mars 2018 la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a indiqué que l’estoppel est une « attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d’une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles, dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions. [7]» A ainsi été rejetée la fin de non-recevoir tirée de l’estoppel aux motifs que les contradictions du plaideur n’avaient pas été adoptées au cours de l’instance.
Par un arrêt du 28 juin 2018, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a précisé que l’estoppel n’était recevable que s’il a existé « une contradiction au détriment d’autrui lors du débat judiciaire »[8].
En l’espèce, le litige opposait un copropriétaire et un syndicat de copropriétaire. Le copropriétaire sollicitait la nullité d’une décision d’assemblée générale au cours de laquelle avait été votée la suppression du poste du concierge de la copropriété. Le copropriétaire avait voté contre la suppression de ce poste mais également contre les résolutions connexes qui portaient sur l’embauche d’une nouvelle personne pour ce poste de concierge. En votant de cette façon, le syndic de la copropriété considérait que le copropriétaire avait manifesté son intention non équivoque de renoncer au maintien du poste et donc, il n’était pas recevable à solliciter la nullité de la décision d’assemblée générale.
La Cour de cassation écarte l’estoppel aux motifs qu’aucune contradiction n’a été élevée devant les Juges du fond. Les prétentions d’une partie, antérieures ou postérieures à une instance, ne relèvent donc pas du régime de l’estoppel.
La lecture de l’ensemble de ces arrêts souligne que le principe de l’estoppel n’est pas réductible à une simple contradiction. L’estoppel sanctionne un défaut de loyauté d’une partie dans les débats. Il est ainsi logique que la Cour de cassation enserre ce principe aux seules contradictions nées au cours d’une même instance.
[1] Ass., Plén., 27 février 2009, n° 07-19.841
[2] Civ., 1ère, 3 février 2010, n°08-21.288
[3] Civ., 1ère, 24 septembre 2014, n°13-14.534
[4] Civ., 1ère, 24 septembre 2014, n° 13-28.262
[5] Com., 10 février 2015, n°13-28.262
[6] Civ., 2ème, 22 juin 2017, n° 15-29.202
[7] Civ., 2ème, 15 mars 2018, n°17-21-991, n° 17-21-992, n° 17-21-993, n° 17-21-994, n° 17-21-997 et n° 17-21-998
[8] Civ., 3ème, 28 juin 2018, n°17-16.693