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Publié le 2 novembre 2023 par Soulier Avocats

Conformité du stockage des déchets radioactifs à la Constitution : le Conseil Constitutionnel se positionne

Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue (Cigéo).

Par une décision rendue le 27 octobre, s’il reconnait que le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard, il conclut qu’en l’espèce le projet Cigéo est conforme aux droits des générations futures[1].

La question

La question de la constitutionnalité de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement qui encadre ce centre de stockage a été posée par l’association Meuse Nature Environnement, accompagnée de nombreuses autres organisations, à l’occasion d’un recours dirigé contre le décret du 7 juillet 2022 déclarant Cigéo d’utilité publique.

L’article L. 542-10-1 du code de l’environnement fixe le régime applicable à la création et à l’exploitation d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs.

Les dispositions contestées de cet article prévoient que le stockage de déchets radioactifs dans un tel centre est soumis à une exigence de réversibilité, mise en œuvre selon des modalités précises et pendant une durée minimale.

Les requérants reprochaient à ces dispositions de ne pas garantir la réversibilité du stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs au-delà d’une période de cent ans, faisant ainsi obstacle à ce que les générations futures puissent revenir sur ce choix alors que l’atteinte irrémédiable à l’environnement, et en particulier à la ressource en eau, qui en résulterait pourrait compromettre leur capacité à satisfaire leurs besoins.

Selon eux, ces dispositions méconnaissaient ainsi un droit des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, un principe de solidarité entre les générations, et un principe de fraternité entre les générations.

Le principe : ne pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel rappelle que, selon l’article 1er de la Charte de l’environnement, « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

Aux termes du septième alinéa du préambule de la Charte de l’environnement, « afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Il juge qu’il découle de l’article 1er de la Charte de l’environnement éclairé par le septième alinéa de son préambule que, « lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard ».

Il ajoute : « Les limitations apportées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

Cette décision est dans la lignée de deux décisions rendues précédemment les 31 janvier 2020 et 12 août 2022.

Par la première, portant sur la production de pesticides contenant des substances actives interdites dans l’Union européenne, le Conseil avait reconnu que la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constituait un objectif de valeur constitutionnelle. Il en avait conclu que le législateur devait tenir compte des effets que les activités exercées en France pouvaient porter à l’environnement à l’étranger.

Par la seconde, le Conseil constitutionnel avait ensuite étendu la portée du droit à l’environnement. Il avait estimé que la préservation de l’environnement devait « être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation » et que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne devaient « pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ». 

Son application : les dispositions législatives sont conformes à la Constitution

Le Conseil relève que, en permettant le stockage de déchets radioactifs dans une installation souterraine, les dispositions contestées sont, au regard de la dangerosité et de la durée de vie de ces déchets, susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement.

Toutefois, en premier lieu, le Conseil relève que le législateur a souhaité, d’une part, que les déchets radioactifs puissent être stockés dans des conditions permettant de protéger l’environnement et la santé contre les risques à long terme de dissémination de substances radioactives et, d’autre part, que la charge de la gestion de ces déchets ne soit pas reportée sur les seules générations futures. Ce faisant, il a entendu poursuivre les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de protection de la santé.

Le Conseil conclut qu’il ne lui appartient pas de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas, en l’état des connaissances scientifiques et techniques, manifestement inappropriées à ces objectifs.

En deuxième lieu, il résulte des termes mêmes de l’article L. 542-1 du code de l’environnement que la gestion des déchets radioactifs doit être assurée dans le respect de la protection de la santé des personnes, de la sécurité et de l’environnement et que la mise en œuvre des moyens nécessaires à la mise en sécurité définitive des déchets radioactifs doit prévenir ou limiter les charges qui seront supportées par les générations futures.

Le Conseil constitutionnel relève que, à cette fin, l’article L. 542-10-1 du même code entoure la création et l’exploitation d’un centre de stockage de déchets radioactifs de différentes garanties propres à assurer le respect de ces exigences.

Parmi elles, le fait que la réversibilité est mise en œuvre par la progressivité de la construction, l’adaptabilité de la conception et la flexibilité d’exploitation du stockage, et inclut la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une durée cohérentes avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage.

Également, le fait que la création d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est soumise à une procédure d’autorisation particulière.

Notamment, la demande d’autorisation doit concerner une couche géologique ayant fait l’objet d’études au moyen d’un laboratoire souterrain. Le dépôt de cette demande doit être précédé d’un débat public sur la base d’un dossier réalisé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. La demande doit également donner lieu à un rapport de la commission nationale mentionnée à l’article L. 542-3 du code de l’environnement, à un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et au recueil de l’avis des collectivités territoriales intéressées. Elle est ensuite transmise à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l’évalue et rend compte de ses travaux aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Lors de l’examen de la demande d’autorisation, la sûreté du centre est appréciée au regard des différentes étapes de sa gestion, y compris sa fermeture définitive. L’autorisation délivrée fixe alors la durée minimale pendant laquelle, à titre de précaution, la réversibilité du stockage doit être assurée, cette durée ne pouvant être inférieure à cent ans.

En outre, l’autorisation de mise en service est limitée à une phase pilote qui doit permettre de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation, notamment par un programme d’essais in situ. Tous les colis de déchets doivent rester aisément récupérables durant cette phase, qui comprend des essais de récupération. Les résultats de la phase pilote font l’objet d’un rapport de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, soumis aux mêmes autorités et personnes publiques que celles intervenant au cours de la procédure d’autorisation.

Après la présentation d’un projet de loi adaptant les conditions d’exercice de la réversibilité du stockage, l’Autorité de sûreté nucléaire délivre l’autorisation de mise en service complète de l’installation, à la condition que la réversibilité du centre de stockage soit garantie dans les conditions prévues par la loi.

De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que, compte tenu de ces garanties, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences de l’article 1er de la Charte de l’environnement tel qu’interprété à la lumière du septième alinéa de son préambule. Il les déclare donc conformes à la Constitution.


[1] Disponible ici : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/20231066QPC.htm