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Publié le 26 décembre 2016 par André Soulier

Conséquences procédurales liées à l’impossibilité d’exécution d’un jugement

A l’impossible nul n’est tenu.

Par jugement du 7 septembre 2015, assorti de l’exécution provisoire, le Tribunal de commerce de LYON a condamné l’un de nos clients – un gestionnaire d’actifs immobiliers – à remettre, sous astreinte de 5000 euros par jour, divers documents comptables et financiers à l’un de ses anciens clients. Or, lesdits documents avaient été placés sous séquestre d’huissier sur décision judiciaire et ce, dans l’attente que soit prononcée une décision définitive du juge du fond sur leur sort.

Nos contradicteurs prétendirent que la condamnation par le Tribunal emportait obligation pour notre cliente d’autoriser la levée des séquestres. A défaut d’exécution en ce sens par notre cliente, son adversaire l’a assignée devant le Juge de l’exécution aux fins de liquidation de l’astreinte pour plus d’un million d’euros et sollicité la radiation de l’appel que nous avions interjeté. Nos contradicteurs ont été déboutés tant par le Juge de l’exécution que par le Conseiller de la mise en état près la Cour d’Appel de LYON.

 

1. CONSEQUENCES DE L’INEXECUTION DU JUGEMENT SUR LA PROCEDURE D’APPEL

 

L’article 526 du Code de procédure civile dispose que :

« Lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’art. 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision ».

Sur le fondement de cet article 526, nos contradicteurs sollicitèrent la radiation de l’appel principal et de l’appel incident interjeté par notre cliente, au prétexte qu’elle n’aurait pas exécuté le jugement frappé d’appel en ce qu’il l’avait condamnée à restituer divers documents « sous 30 jours à l’issue desquels une astreinte de 5 000 € par jour de retard sera appliquée ».

Or, suite au jugement de première instance, tant notre cliente que la partie adverse relevèrent appel principal de la décision, puis appel incident. Deux procédures d’appel coexistaient ainsi contre le même jugement.

C’est en raison de cette double procédure d’appel que le Conseiller de la mise en état a rejeté la demande de radiation de nos adversaires, considérant que la mesure de radiation sur le fondement de l’article 526 précité :

« n’est susceptible d’affecter que l’instance d’appel lancée par le recours formé par la partie ainsi condamnée avec exécution provisoire et non celle qui a été initiée par l’appel principal de son adversaire ;

Que cette radiation n’est en effet prononcée que pour retirer du Rôle de la cour l’appel formé par la partie qui n’a pas satisfait à la décision qu’elle critique à titre principal, et ne peut concerner une partie d’une autre instance d’appel dans laquelle elle n’a pas la qualité d’appelante principale ;

Attendu que deux arrêts rendus par la Cour Européenne des Droits de l’Homme au visa de l’article 6 § 1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme concernant l’application du texte susvisé du Code de Procédure Civile doivent conduire le Conseiller de la Mise en Etat à opérer un strict contrôle de proportionnalité entre le but assigné au texte et l’éventuelle privation du droit d’accès au juge d’appel susceptible d’en résulter ;

Attendu que la radiation sollicitée au titre de l’appel principal formé par la société X [notre cliente] n’est en rien à même de parvenir à l’objectif assigné, en ce que l’existence même d’une autre instance ouverte sur appel formé par son adversaire est insusceptible d’être affectée par une absence d’exécution provisoire du jugement entrepris ;

Attendu qu’il convient dès lors de rejeter l’incident, sans avoir à examiner si sont caractérisées une impossibilité d’exécuter la décision ou l’existence de conséquences manifestement excessives . »

 

2. INEXECUTION DU JUGEMENT ET LIQUIDATION DE L’ASTREINTE

 

L’article L. 131-4 al. 3 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que :

«L’astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s’il est établi que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère ».

Une cause étrangère peut expliquer que le débiteur de l’astreinte provisoire ne s’est pas soumis à l’injonction du juge.

La cause étrangère englobe différentes hypothèses, à savoir notamment la force majeure et le cas fortuit, mais également le fait d’un tiers ou de la victime. La Cour de cassation subordonne la preuve de cette cause étrangère à la démonstration d’une impossibilité d’exécution que les juges du fond apprécient souverainement.

Ainsi, peut alléguer une cause étrangère la personne qui, contrainte de remettre certains documents, parmi lesquels des relevés de compte, prouve qu’elle n’est pas en possession de ceux-ci et que sa banque a refusé de lui en fournir une copie[1].

La cause étrangère est également caractérisée lorsque la saisie de documents par une autorité judiciaire rend impossible toute restitution, et ce même si ces documents ont été placés sous main de justice à l’initiative du débiteur de l’obligation de restitution[2].

En l’occurrence, notre cliente justifiait d’une cause étrangère l’empêchant d’exécuter le jugement l’ayant condamnée à la restitution de documents dans la mesure où elle n’était pas en mesure d’autoriser la levée des séquestres judiciaires pour restituer les documents litigieux en l’absence de jugement définitif rendu sur leur sort (la procédure d’appel étant pendante).

Nos contradicteurs avaient eux-mêmes expressément demandé, à l’appui d’une mention spécifique de leur requête aux fins de mise sous séquestre, que le séquestre soit maintenu jusqu’à l’obtention d’une décision définitive au fond.

Le Juge de l’exécution, saisi de la demande de liquidation d’astreinte à plus d’un million d’euros de nos contradicteurs, a suivi notre ligne de défense et rejeté la demande de liquidation de l’astreinte constatant que l’exécution par notre cliente de l’obligation mise à sa charge par le jugement du 7 septembre 2015 se heurtait à une cause étrangère.

 

[1] Civ. 2e, 8 avril 2004, n°02-14.631

[2] Cass. Civ 2ème, 5 juillet 2000, n°98-19.854