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Publié le 1 avril 2020 par Pauline Kubat

Coronavirus Covid-19 : L’adaptation par ordonnances des règles de procédure civile

La loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 du 23 mars 2020 est entrée en vigueur le 24 mars 2020, date de sa publication. Celle-ci déclare, en son article 4, l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national pour une durée de deux mois, soit jusqu’au 24 mai 2020.

Cette loi d’urgence habilite en outre en son article 3 le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures d’adaptation destinées à mettre en place le dispositif de l’état d’urgence sanitaire, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution.

Suite à cette habilitation, le Gouvernement adoptait 25 ordonnances dès le 25 mars 2020.

En matière judiciaire, plusieurs ordonnances visant à régir l’organisation des juridictions et les procédures en cette période de crise ont été prises.

Notamment, les règles de procédure pénale ont été adaptées par l’ordonnance n°2020-303 du 25 mars 2020[1]. Il en va de même pour les règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, modifiées par l’ordonnance n°2020-305[2] du 25 mars 2020.

Spécifiquement concernant la procédure civile, deux ordonnances ont été adoptées :

  • L’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020[3] portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété
  • L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020[4] relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

Cette étude se concentre sur ces deux derniers textes qui impactent les délais et les procédures civiles (1) et l’organisation judiciaire en matière non pénale (2).

1. L’adaptation des délais et des procédures

La mesure la plus marquante de cet ensemble législatif exceptionnel est sans doute la mise en place d’une prorogation des délais de procédure, ceux-ci étant entendus au sens large.

L’article 2 de l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 prévoit ainsi que :

« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué, dans un délai qui ne peut excéder à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit ».

Cette disposition est applicable pour la période du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (article 1 de l’ordonnance). Comme indiqué précédemment, la loi d’urgence du 23 mars 2020, applicable à partir du 24 mars 2020, a prononcé l’état d’urgence sanitaire pour 2 mois, soit jusqu’au 24 mai 2020.

En conséquence, la période de référence de l’ordonnance court pour l’instant du 12 mars 2020 au 24 juin 2020.

Toute diligence qui aurait dû être réalisée dans cette période, mais qui ne l’a été que deux mois plus tard, soit jusqu’au 24 août 2020 (pour le moment), sera donc réputée avoir été fait à temps.

L’article 3 de l’ordonnance n°2020-306 prévoit également une prorogation de plein droit jusqu’à l’expiration du délai de deux mois suivant la fin de la période d’état d’urgence sanitaire (soit pour le moment jusqu’au 24 août 2020) des mesures administratives ou juridictionnelles suivantes dont le terme arriverait à échéance au cours de cette période :

« 1° Mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation ;

2° Mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction ;

3° Autorisations, permis et agréments ;

4° Mesures d’aide, d’accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale ;

5° Les mesures d’aide à la gestion du budget familial. »

Certaines dispositions ont également été prises pour clarifier les relations contractuelles.

L’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 prévoit ainsi que les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires ou clauses prévoyant une déchéance ayant vocation à sanctionner l’inexécution d’une obligation ne pourront produire effet durant la période du 12 mars au 24 juin 2020, mais seulement à compter d’un mois après cette période, soit à partir du 24 juillet 2020. Les astreintes et autres clauses ayant pris effet avant le 12 mars 2020 sont également suspendues du 12 mars au 24 juin 2020.

L’article 5 de la même ordonnance précise que concernant les délais pour résilier ou dénoncer une convention qui expireraient dans la période du 12 mars au 24 juin 2020, ceux-ci sont prolongés de deux mois à partir de la fin de cette période, soit jusqu’au 24 août 2020.

2. L’adaptation de l’organisation judiciaire statuant en matière non pénale

Le fonctionnement de la justice française est bien entendu très affecté par la situation actuelle : sauf urgences, les audiences sont reportées et bon nombre de juridictions ont fermé.

Pour pallier à cette situation, et éviter autant que faire se peut une paralysie totale du fonctionnement de la justice, l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 prévoit un certain nombre de mesures visant à adapter l’organisation des juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale.

Il est tout d’abord précisé à l’article 2 de cette ordonnance que la prorogation des délais de procédure prévus par l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 s’applique devant les juridictions de l’ordre judiciaire en matière non pénale sauf :

  • Pour le juge des libertés et de la détention où des règles législatives et réglementaires propres s’appliquent ;
  • Pour les juridictions pour enfants où des dispositions spéciales sont prévues (articles 13 et suivants de l’ordonnance) ;
  • Pour les saisies immobilières où les délais sont suspendus.

Au demeurant, les mesures de protection des majeurs et des victimes de violences conjugales sont prorogées jusqu’au 24 août 2020 (article 12 de l’ordonnance).

En termes d’organisation judiciaire, les mesures suivantes ont été adoptées.

Le Premier Président de la Cour d’appel est habilité à désigner par ordonnance une juridiction de son ressort pour remplacer une autre juridiction de son ressort qui serait dans l’incapacité de fonctionner (article 3 de l’ordonnance).

Les modalités de renvoi sont simplifiées et peuvent être réalisées par tout moyen notamment électronique (article 4 de l’ordonnance). La communication des pièces et écritures peut également se faire par tout moyen dès lors que le principe du contradictoire est respecté (article 6 de l’ordonnance).

Les juridictions pourront, sur décision présidentielle, statuer à juge unique en première instance et en appel (article 5 de l’ordonnance). Le président pourra décider que les débats se dérouleront en publicité restreinte voire en chambre du conseil (article 6 de l’ordonnance).

Le recours à la visio-conférence est autorisé pour assurer les audiences, voire en cas d’impossibilité la conférence téléphonique. Les dispositifs envisagés devront permettre de s’assurer de l’identité des parties, garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats (article 7 de l’ordonnance).

La juridiction pourra également imposer une procédure sans audience, établie selon une procédure écrite. Les parties pourront s’opposer à cette modalité dans un délai de 15 jours, sauf en cas de procédure urgente (article 8 de l’ordonnance).

En matière de référé, afin d’éviter l’engorgement, la juridiction pourra, par ordonnance non contradictoire, rejeter une demande irrecevable ou ne remplissant pas les conditions requises du référé (article 9).

Ces nouvelles règles d’organisation judiciaire doivent, à notre sens appeler à la prudence pour les praticiens et les justiciables. Si elles permettent d’assurer dans une certaine mesure la continuité de la justice, elles appellent néanmoins une restriction de principes procéduraux essentiels comme le principe du contradictoire ou la publicité des débats. Quant à la possibilité d’audiences dématérialisées, celles-ci devront impérativement répondre à des exigences de sécurité élevées.


[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041755529&dateTexte=20200401

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041755612&dateTexte=20200401

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041755577&dateTexte=20200401

[4] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041755644&dateTexte=20200401