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Publié le 1 juillet 2013 par Soulier Avocats

Courriels et fichiers personnels : de quelle marge de manœuvre dispose l’employeur pour les utiliser à l’encontre d’un salarié dans le cadre d’un litige? Zoom sur les derniers apports jurisprudentiels en la matière

Les courriels et fichiers provenant de la boîte électronique personnelle d’un salarié peuvent être librement consultés par l’employeur, même en l’absence du salarié concerné, à partir du moment où ils sont enregistrés dans le disque dur de l’ordinateur professionnel et non expressément identifiés comme personnels.[1]

C’est en ce sens que la Chambre Sociale de la Cour de cassation a tranché par deux arrêts du 19 juin 2013[2]. Si cette position peut étonner en ce qu’elle semble contrevenir au principe de protection absolue de la correspondance privée[3], elle se situe en réalité dans la droite ligne jurisprudentielle entreprise par la Chambre Sociale ces dernières années. 

La détermination du régime applicable aux courriels et fichiers informatiques des salariés revêt une importance capitale parce qu’elle conditionne les preuves que l’employeur peut valablement constituer à l’encontre du salarié dans le cadre d’une procédure disciplinaire ou de licenciement. Selon que l’on se trouve dans le champ de la sphère publique (i) ou celui de la sphère privée (ii), le mode de preuve diffère : 

  • (i) Si les courriels et fichiers du salarié sont considérés comme ayant un caractère professionnel, ils font partie de la sphère publique, de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence, sans que cela soit constitutif d’une atteinte au respect de la vie privée ;
  • (ii) Si les courriels et fichiers sont considérés comme ayant un caractère personnel, ils font partie de la sphère privée, de sorte que leur consultation par l’employeur sera strictement encadrée, voire interdite. 

Ainsi, il va sans dire que la constitution d’un dossier à l’encontre d’un salarié soupçonné par exemple de concurrence déloyale, sera simplifiée si l’employeur dispose d’un libre accès à ses fichiers et courriels : il pourra se constituer des preuves à l’encontre du salarié à l’insu de ce dernier

Tout l’intérêt est dès lors de savoir ce que recouvre la sphère publique. 

Si la jurisprudence a déjà apporté un certain nombre de réponses permettant d’identifier ceux des courriels et fichiers qui appartiennent à la sphère publique et ceux qui appartiennent à la sphère privée, des situations de zones grises peuvent encore se présenter. 

Par ces deux arrêts du 19 juin 2013[4], la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a apporté une nouvelle réponse dans un cas spécifique de fichiers et courriels issus de la messagerie électronique personnelle du salarié qui avaient été intégrés dans le disque dur de l’ordinateur professionnel mis à sa disposition. En dépit de leur caractère a priori personnel, ces fichiers et courriels issus d’une boîte de messagerie personnelle ont été considérés comme ayant un caractère professionnel. 

En fait, la provenance du courriel ou du fichier importe peu. Les juges préfèrent un autre critère pour déterminer le régime applicable : celui de savoir si le courriel ou le fichier a été ou non enregistré sur le disque dur de l’ordinateur professionnel. 

Le courriel ou fichier issu de la messagerie électronique personnelle du salarié, non identifié en objet comme étant personnel/privé et simplement « copié-collé » sur son ordinateur professionnel (I) répond à un régime différent du même courriel ou fichier n’ayant pas subi un tel transfert sur l’ordinateur professionnel (II).

Pour l’employeur, ce simple « click droit » sur la souris de son ordinateur du salarié peut faire la différence, lorsqu’il souhaite sanctionner ledit salarié.

1. Les courriels et fichiers émanant de la messagerie électronique personnelle du salarié et enregistrés dans le disque dur de l’ordinateur professionnel

1.1 La nature présumée professionnelle des courriels et fichiers enregistrés dans le disque dur 

En application d’une jurisprudence constante, dès que les courriels et fichiers sont enregistrés dans le disque dur de l’outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur pour les besoins de son travail, ils sont présumés avoir un caractère professionnel[5]

Cette présomption est toutefois renversée si le salarié leur a donné un intitulé leur conférant un caractère personnel[6]. C’est par exemple le cas si le courriel, fichier ou dossier en question a été nommé « privé» ou « personnel »[7]. Le régime applicable sera celui de la sphère privée, plus contraignant pour l’employeur (voir infra, 2.2). 

Des fichiers enregistrés sur l’ordinateur professionnel du salarié et contenant l’enregistrement de courriels et de fichiers émanant de sa messagerie personnelle auraient pu revêtir automatiquement un caractère personnel, si les juges s’étaient attachés à la provenance de ces éléments. 

Cependant, la Cour de cassation a eu une autre analyse en décidant, aux termes des deux arrêts du 19 juin 2013, que le principe de protection absolue de la correspondance privée ne s’étendait pas automatiquement aux courriels issus de la messagerie électronique privée du salarié qui avaient été enregistrés sur le disque dur de l’ordinateur professionnel.

Dès lors que les courriels et fichiers sont intégrés au disque dur de l’ordinateur professionnel et qu’ils n’ont pas été strictement identifiés par le salarié comme personnels/privés, ils quittent la sphère privée pour rejoindre la sphère publique, et sont ainsi soumis à un régime différent. Pour autant, cela ne constitue pas un revirement de jurisprudence. 

La Chambre Sociale poursuit sa construction jurisprudentielle en la matière, en insistant sur le seul fait de savoir si les courriels ou fichiers ont été ou non transférés sur le disque dur de l’outil professionnel.

Comme tous les courriels et fichiers tombant sous le coup de cette présomption, le seul moyen pour le salarié d’y échapper est de les identifier en objet comme personnel.

1.2 Le régime applicable aux fichiers et courriels de nature professionnels 

Dès lors que le caractère professionnel est reconnu aux courriels et aux fichiers concernés, l’employeur y a librement accès et peut valablement exploiter son contenu à l’encontre de son auteur. 

En pratique, cela se traduit par le fait que l’employeur n’a pas à requérir la présence du salarié pour consulter et exploiter son contenu. 

Ceci peut s’avérer utile à l’employeur pour constituer son dossier, par exemple dans une situation de violation de l’obligation de non-concurrence ou de concurrence déloyale comme cela était le cas dans les deux arrêts du 19 juin 2013. En l’espèce, une agence de publicité soupçonnait deux de ses salariés de concurrence déloyale et avait donc mandaté un expert informatique pour procéder, à l’insu des intéressés mais en présence d’un huissier, au retrait et à la copie du disque dur de leurs ordinateurs professionnels respectifs. Le rapport d’expertise s’étant révélé accablant pour les salariés en question, ceux-ci avaient été licenciés pour faute grave pour manquement à leurs obligations contractuelles de loyauté et d’exclusivité.

A cet égard, on notera que la Cour de cassation valide un procédé utile consistant à effectuer une copie intégrale du disque dur du salarié en son absence et à en confier l’analyse à un expert mandaté par l’entreprise, afin d’exploiter les dossiers fichiers et courriels non estampillés personnels[8]

Il semblerait en outre, aux termes de ces arrêts du 19 juin 2013, que la mention « confidentiel » sur un courriel ou fichier permette au salarié de bénéficier de la protection applicable à la sphère privée pour ledit courriel ou fichier, ce qui peut sembler surprenant dans la mesure où de nombreux courriels et fichiers de nature purement professionnelle sont souvent identifiés comme « confidentiels ». Cet élément devra être précisé par la jurisprudence à venir.

1. Les courriels et fichiers émanant de la messagerie électronique personnelle du salarié non enregistrés dans le disque dur de l’ordinateur professionnel

2.1 La nature des courriels et fichiers émanant de la messagerie personnelle 

Un régime tout à fait différent s’applique si le salarié n’a pas « copié-collé » le courriel ou le fichier issu de sa boîte personnelle dans l’ordinateur professionnel. 

Ce courriel ou ce fichier, qui ne figure pas dans le disque dur de l’ordinateur professionnel, tombe sous le coup du régime applicable à la sphère privée, dont l’accès par l’employeur est autrement plus restrictif, voire impossible. 

Dans le prolongement des arrêts de la Chambre Sociale de la Cour de cassation[9], la Chambre Commerciale a rendu récemment un arrêt sur cette question le 16 avril 2013[10].

Les courriels provenant de l’adresse personnelle du salarié, distincte de son adresse professionnelle, non copiés sur l’ordinateur professionnel, font partie de la correspondance privée, et ce quand bien même leur contenu serait en rapport avec l’activité professionnelle du salarié

Si, comme cela était le cas dans l’espèce qui a donné lieu à l’arrêt du 16 avril 2013, l’employeur récupère par l’intermédiaire de tiers, des emails litigieux émanant de la messagerie personnelle du salarié, il ne pourra pas s’en servir pour alimenter son dossier. 

En l’espèce, deux anciens salariés avaient constitué une société concurrente. Leur ancien employeur avait récupéré, par l’intermédiaire d’un client, des courriels relatifs à des commandes et les avait produits dans le cadre de l’action en concurrence déloyale engagée à l’encontre des salariés. Ces commandes avaient été transmises au client depuis l’adresse personnelle d’un des anciens salariés. La Chambre Commerciale précise qu’il s’agissait d’une adresse personnelle distincte de l’adresse professionnelle dont l’ancien salarié disposait pour les besoins de sa nouvelle activité, ce qui laisse entendre que si les commandes avaient été adressées au client depuis cette messagerie professionnelle, l’ancien employeur aurait valablement pu les utiliser dans le cadre de la constitution de son dossier. 

2.2 Le régime des courriels et fichiers de nature personnelle 

Dès lors que les courriels ou fichiers ressortent de la sphère privée, soit parce qu’ils émanent d’une messagerie personnelle et n’ont pas été enregistrés sur l’ordinateur professionnel, soit parce que, bien que se trouvant sur l’ordinateur professionnel, ils ont été identifiés comme étant personnels, il est plus difficile, voire impossible pour l’employeur de se constituer des preuves à l’encontre du salarié.

Il convient de faire une distinction entre les courriels et les fichiers.

Les courriels personnels sont protégés de manière absolue par le secret de la correspondance privée et l’employeur s’expose à une sanction pénale en cas d’ouverture de ces derniers[11]

En revanche, en ce qui concerne les fichiers électroniques (documents et applications de tout genre), dès lors qu’ils ne constituent pas une « correspondance », l’employeur  peut les ouvrir mais uniquement en présence du salarié ou si le salarié en question a été dûment appelé. Dès lors qu’il a effectué l’une ou l’autre de ces démarches, l’employeur peut procéder à leur ouverture, même dans l’hypothèse où le salarié dûment appelé n’a pas rejoint son poste. 

Toutefois, ce contrôle devra être justifié, par exemple par la révélation de certains faits qui permettent de soupçonner une activité personnelle concurrente faisant courir des risques à l’entreprise ou un usage personnel abusif des outils professionnels emportant notamment une baisse de productivité (activité personnelle pendant le temps de travail). 

Ayant alerté le salarié, l’employeur s’expose au risque que ce dernier s’empresse d’effacer le contenu de ces fichiers avant même qu’il ait eu la possibilité de les consulter et de se constituer un moyen de preuve utile afin d’intenter une action. 

En conclusion, certes la protection de la sphère privée du salarié est large, et les moyens d’accès de l’employeur à cette sphère limités, mais aucune excuse n’est accordée au salarié imprudent qui confond son ordinateur professionnel avec son ordinateur personnel et ne prend aucune précaution pour délimiter le champ de sa sphère privée sur son outil professionnel : cela semble être la moindre des compensations !

 


[1] En collaboration avec Sara Bellahouel, élève-avocat. 

[2] Soc., 19 juin 2013, n°12-12139 et n°12-12138. 

[3] L’atteinte au secret des correspondances est d’ailleurs sanctionnée pénalement conformément à l’article 226-15 du Code Pénal (jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende).

[4] Cass. Soc., 19 juin 2013, n°12-12139 et n°12-12138.

[5] Soc. 15 décembre 2010, n°08-42.486 concernant les courriels ; Soc., 10 mai 2012, n°11-13.884 concernant les fichiers informatiques. 

[6]Sauf risque ou évènement particulier, hypothèse toutefois rarement retenue par la jurisprudence (Soc., 17 mai 2005, n°03-40.017). 

[7] En revanche, ce n’est pas le cas d’un fichier intitulé « Mes documents » (Soc., 15 décembre 2010, n°08-42.486).

[8] Soc., 19 juin 2013, n°12-12139 et n°12-12138. 

[9] Soc., 26 janvier 2012, n°11-10.189. 

[10] Com., 16 avril 2013, n°12-15.657.

[11] Délit puni d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende (article 226-15 du Code pénal).