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Publié le 22 avril 2020 par Soulier Avocats

« DataJust » : vers une justice prédictive ?

Le décret du 27 mars 2020[1] prévoit la mise en place d’un algorithme appelé DataJust, pour une durée de deux ans. Cet algorithme vise notamment à élaborer un référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels.

Partant, ce référentiel sera non seulement mis à la disposition des magistrats, mais aussi des avocats, des assureurs, des fonds d’indemnisation et surtout des victimes, afin d’évaluer le montant de l’indemnisation à laquelle elles peuvent prétendre, dans le but de favoriser les règlements à l’amiable.

Sous couvert de prédictivité et de déjudiciarisation de la justice, la mise en place de l’algorithme DataJust permettra, entre autres, d’élaborer une base regroupant les montants d’indemnisation alloués en fonction des dommages subis et de leur gravité. Il s’agit avant tout d’un outil d’analyse des données jurisprudentielles, qu’elles soient judiciaires au administratives, relatives à l’indemnisation des préjudices corporels.

Ce référentiel a pour but d’offrir aux magistrats, aux assureurs, aux avocats, aux fonds d’indemnisation et aux victimes, une meilleure évaluation financière des préjudices corporels mais aussi une garantie de traitement égalitaire et juste des demandes d’indemnisation de préjudices corporels.

L’équipe « d’entrepreneurs d’Intérêt Général » alors chargée du projet par la Direction des affaires civiles et du Sceau du Ministère de la Justice[2] indique que, grâce à cet algorithme, les victimes « pourraient comparer en pleine connaissance de cause les offres d’indemnisation des assureurs et les montants qu’elles pourraient obtenir devant les tribunaux ; les avocats disposeraient d’informations fiables leur permettant de conseiller leurs clients ; les magistrats auraient un outil d’aide au chiffrage des préjudices grâces à un accès facilité à des jurisprudences finement ciblées. »

Le décret prévoit que les données constituant la base à proprement parler de DataJust seront extraites des décisions de justice rendues en appel entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019, tant par les juridictions administratives que civiles dans les seuls contentieux portant sur l’indemnisation des préjudices corporels. Diverses informations pourront alors être extraites, notamment les noms et prénoms des personnes physiques mentionnées par la décision, certains éléments d’identifications tels que le genre, la date de naissance ou encore le lieu de résidence, mais surtout les données et informations relatives aux préjudices subis.

Quels sont les risques de la mise en place d’un tel algorithme ?

Soulignons d’abord les avantages que cela peut présenter, le plus évident paraissant la déjudiciarisation et donc le désengorgement des tribunaux qui souffrent de plus en plus du manque de moyens à leur disposition. On peut légitimement espérer aussi que l’élaboration de cette base de données et sa consultation permettront des indemnisations plus justes, plus égalitaires et moins fluctuantes d’une personne à l’autre, mais surtout d’un tribunal à l’autre. En effet, une recherche effectuée sous l’égide de la Mission de recherche Droit et Justice[3] avait établi que les juridictions disposaient de divers outils d’aides à la décision dans un souci d’harmonisation dans une juridiction donnée, mais que ces outils n’étaient pas partagés et appliqués par l’ensemble des juridictions, donnant lieu à des disparités d’une juridiction à l’autre.

Pour autant, si la déjudiciarisation a du bon, notamment quant à l’engorgement des tribunaux, elle n’est pas toujours souhaitable. Éloigner le justiciable des juridictions administratives et judiciaires c’est aussi le laisser seul face aux négociations d’indemnisation avec les assureurs. Cette relation manifestement déséquilibrée risque d’être bien moins avantageuse pour le justiciable en comparaison à la garantie de soumettre sa demande d’indemnisation à un tiers impartial.

S’il est impossible d’évaluer les conséquences qu’aura la mise en place d’un tel dispositif, il convient néanmoins de l’accueillir dans une optique de modernisation de la justice, tout en s’assurant que modernisation rime bien avec protection du justiciable…


[1] Décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust ».

[2] https://entrepreneur-interet-general.etalab.gouv.fr/defis/2019/datajust.html

[3] https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02283040v2/document