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Publié le 28 mai 2019 par Soulier Avocats

De quels outils dispose l’employeur pour faire face à une grève dans son entreprise ?

Alors que la presse s’est faite l’écho ces derniers mois de différents blocages de sites industriels tels que le site d’Amazon en lien avec le mouvement social des gilets jaunes, et bien que ces blocages ne soient pas nécessairement en lien avec des revendications professionnelles ni même causés par les salariés des sites concernés, nous avons pensé intéressant de revenir ce mois-ci sur le droit de grève en France et sur les moyens dont dispose le chef d’entreprise pour gérer une situation de grève.

Le droit de grève est la bête noire des employeurs français, et pour cause, la France est le champion du recours à la grève : entre 2005 et 2014, elle a perdu entre six et huit fois plus de journées de travail que le Royaume-Uni ou l’Allemagne, en 2016 elle a connu pas moins de 801 grèves.

Le droit de grève constitue un droit fondamental mais il constitue également un sujet de controverse et de conflits, notamment sur la question épineuse des grèves dites « abusives ». L’alinéa 7 du Préambule de 1946 énonce « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Or il n’existe pas de loi-cadre qui le réglemente, mais plutôt des lois éparses régissant des secteurs spécifiques tels que le secteur public, le transport aérien, et la jurisprudence de la Cour de Cassation. Ceci explique peut-être pourquoi les entreprises établies en France expriment souvent leur sentiment d’insécurité juridique sur le sujet de la grève. Comment définir et où tracer la frontière de l’abus ? Une grève à caractère politique sans revendication professionnelle est-elle légale en France ? De quels moyens d’actions dispose l’employeur face à un blocage de son entreprise, moyens d’action à la fois vis-à-vis des salariés grévistes mais également afin de sauvegarder les intérêts de son entreprise ?

Ce sont à ces questions que nous vous proposons de répondre dans le cadre du présent article. Après avoir rappelé les contours de l’exercice du droit de grève des salariés (1)nous nous intéresserons aux moyens d’action dont dispose l’employeur vis-à-vis des salariés qui abuseraient de ce droit (2)pour finir sur les leviers envisageables afin de sauvegarder les intérêts de son entreprise (3) 

1. Quels sont les contours de l’exercice du droit de grève ?

A. Comment distinguer une grève licite d’une manifestation illicite ?

L’exercice du droit de grève se manifeste de manière large comme « d’un arrêt collectif et concerté du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles »[1].

Dès lors, l’exercice licite du droit de grève suppose la réunion de trois éléments :

1° la cessation complète du travail : ainsi, la grève dite « perlée » au cours de laquelle les salariés, sans cesser leur travail, exécutent sciemment de manière défectueuse leur travail, n’est pas licite.

2° la cessation collective et concertée du travail : dans les entreprises de plus d’un salarié, il est nécessaire que le mouvement compte au moins deux salariés.

3° l’existence de revendications professionnelles : ainsi, la grève « politique » étrangère aux intérêts de la profession n’est pas valable. De même, une grève de « solidarité » en soutien à un salarié de l’entreprise ne l’est pas non plus. Toutefois, dès lors que le mouvement s’accompagne de revendications professionnelles, ce mouvement devient licite.

De fait, sans la réunion de ces trois critères cumulatifs, l’exercice du droit de grève est alors illicite.

Il peut arriver qu’alors même que les trois critères précités sont remplis, le droit de grève est exercé par des salariés de manière abusive. Tel est le cas d’une grève qui s’accompagne d’ « agissements fautifs » : blocage de l’accès aux sites et/ou au système d’information de l’entreprise ; détournement de matériel ; dégradation des locaux ; coupures de courant et blocage du système de tarification etc.. Dans un tel cas, l’employeur disposera de moyens d’action à l’égard des salariés, comme décrit ci-après.

B. Quelles sont les principales caractéristiques du droit de grève ?

  • Pas de préavisrequis de la part des salariés pour exercer leur droit de grève dans le secteur privé.
  • Les salariés n’ont pas à informerl’employeur de leur participation à la grève ou de leur désengagement à un mouvement de grève.
  • L’exercice du droit de grève entraîne la suspension des contrats de travaildes salariés grévistes.
  • Durant le temps de grève, l’employeur ne paie pas les salariés grévistes(sauf si la grève a été déclenchée en raison d’une faute commise par l’employeur telle que le non-paiement des salaires).
  • L’exercice du droit de grève des salariés ne doit pas conduire à des pratiques discriminatoiresde la part de l’employeur à leur égard, comme par exemple le fait d’attribuer des primes aux salariés non-grévistes.
  • La pratique du “lock out”, à savoir la fermeture temporaire de l’entreprise par l’employeuren prévention ou en riposte au mouvement de grève, est par principe interdite en droit français, sauf lorsque la fermeture est rendue inévitable en raison de situations contraignantes.
  • Durant le temps de la grève, l’employeur ne peut pas user de son pouvoir disciplinaire envers les salariés grévistes, sauf faute lourde. Ainsi, il ne peut pas sanctionner ou licencier un salarié en raison de l’exercice (dans des conditions licites) de son droit de grève.

2. De quels moyens d’action dispose l’employeur en cas de manifestation illicite vis-à-vis des salariés concernés ?

A. Sanctions disciplinaires possibles en cas d’exercice abusif du droit de grève

Si l’employeur ne peut pas sanctionner les salariés grévistes en raison de l’exercice (licite) de leur droit de grève, il peut en revanche sanctionner ou licencier un ou plusieurs salariés grévistes lorsque l’exercice du droit de grève est abusif.

L’employeur doit alors démontrer l’intention de nuiredu ou des salariés grévistes vis-à-vis de l’employeur ou vis-à-vis de l’entreprise (volonté de désorganiser l’entreprise), autrement dit démontrer une faute lourde. En dehors de la faute lourde, l’employeur ne pourra sanctionner, ni licencier les salariés grévistes.

Ainsi, le licenciement pour faute lourde d’un salarié gréviste suppose la réunion des éléments suivants :

-L’identification précise du ou des salariés grévistes (à cet égard, le recours à un huissier de justice est recommandé) ;

-La démonstration du caractère intentionnel et personnel de la faute.

Constituent des agissements fautifs de nature à justifier un licenciement pour faute lourde : la séquestration de l’employeur ; la dégradation des biens de l’entreprise ; l’entrave à la liberté du travail des salariés non-grévistes en empêchant par exemple ces derniers d’accéder aux locaux de l’entreprise ; la mise en danger délibérée d’autrui etc.

B. L’expulsion des salariés grévistes en cas d’exercice abusif du droit de grève

En cas d’occupation illicite du site (dans l’enceinte du site que cela soit à l’intérieur des bâtiments ou à l’extérieur, par exemple sur les parkings), l’employeur peut formuler une demande d’expulsion devant le Juge des référés, afin que ce dernier prononce une ordonnance d’expulsion.

Il est conseillé de faire appel à un huissier de justice afin d’identifier les salariés à l’origine de l’occupation illicite.

Dans l’hypothèse où une ordonnance d’expulsion est prononcée mais que les grévistes refusent d’obtempérer et d’évacuer le site, l’employeur peut demander au Préfet d’exécuter l’ordonnance par le recours aux forces de l’ordre.

3. De quels leviers dispose l’employeur dans un contexte de grève pour sauvegarder les intérêts de l’entreprise ?

A. Quels moyens d’actions pour assurer la poursuite de l’activité ?

  • La possibilité des mutations internes

L’employeur peut recourir à des mutations internes pour assurer la poursuite de l’activité de l’entreprise de sorte qu’il peut effectuer une mutation d’un salarié non gréviste sur le poste d’un salarié gréviste ayant les mêmes responsabilités. Cette mutation n’étant qu’un simple changement des conditions de travail, l’accord du salarié n’est pas requis. 

  • L’aménagement des horaires de travail 

Pendant le conflit, l’employeur peut faire effectuer des heures supplémentaires aux salariés non-grévistes après une information-consultation du Comité Social et Economique (CSE), à défaut, des Délégués du personnel.

Après le conflit, l’employeur ne peut demander la récupération des heures de grève mais peut toutefois demander un rattrapage par le biais des heures supplémentaires.

  • Les autres moyens d’actions

Pendant la durée de la grève, l’employeur ne peut pas recourir à des contrats précaires tels que le contrat à durée déterminée (CDD) ou le contrat de travail temporaire (CTT). Toutefois, il peut toujours embaucher des salariés en Contrat à durée indéterminée (CDI).

Aussi, l’employeur peut recourir à la sous-traitance (à condition de ne pas y recourir avec une entreprise de travail temporaire) et aux bénévoles.

De plus, si l’entreprise appartient à un groupe, l’employeur a la possibilité de transférer des activités interrompues du fait de la grève aux autres filiales du groupe.

B. Le cas exceptionnel de suspension temporaire de l’activité de l’entreprise

L’employeur a la possibilité de fermer temporairement l’entreprise dans un contexte de grève, une pratique appelée « mise en chômage technique », uniquement en présence de l’un des motifs légitimes suivants :

  • La fermeture contrainte suite à un blocage total ou partiel de l’entreprise/secteur d’activité.
  • Si la grève crée une situation qui présente des risques graves d’atteinte à la sécurité des personnes ou des biens.

En revanche, en l’absence de l’un des motifs légitimes susvisés, la pratique dit du « lock-out », à savoir la fermeture par l’employeur de l’entreprise à titre préventif ou comme riposte au mouvement de grève, est strictement interdite en droit français.

C. Lesprocédures de règlement de la grève 

L’exercice du droit de grève peut aboutir à une négociation d’un procès-verbal de fin de conflit entre l’employeur et les salariés par le biais des syndicats représentatifs ou à défaut avec un collectif de salariés, soit lorsque les conventions ou accords collectifs de travail applicables comportent des dispositions à cet effet, soit lorsque les parties intéressées en prennent l’initiative.

Lorsque la négociation se révèle impossible, les textes ont prévu la possibilité de s’adresser à des personnes ou des organismes extérieurs au conflit au travers de trois procédures distinctes : la conciliation, la médiation ou l’arbitrage.

***

En avril 2018, l’Assemblée Nationale avait enregistré une proposition de loi visant à « encadrer le droit de grève ».

S’agissant du secteur privé, cette proposition de loi prévoyait :

  • de définir les motifs clairs de recours à la grève, ce qui aurait pu permettre de faciliter la reconnaissance et la sanction de la grève abusive/illicite.
  • d’instaurer un préavis de grève obligatoire, ce qui aurait permis de mieux lutter contre les grèves surprises.

Il semblerait toutefois que cette proposition de loi soit tombée aux oubliettes….

En attendant, nonobstant l’absence de loi encadrant précisément la grève dans le secteur privé, il existe malgré tout, comme cela a été développé ci-avant, divers moyens permettant au chef d’entreprise de limiter les conséquences néfastes d’une grève.

Le tout est pour le chef d’entreprise confronté à une grève, d’agir avec prudence, discernement et éventuellement, sur conseil avisé, de mettre en place des actions ciblées et adaptées à la situation. 

[1]Cass.soc., 23 octobre 2007, n° 06-17.802.