Décret ALSTOM : le patriotisme économique contre-attaque
Aux termes d’une loi toujours en vigueur du 28 décembre 1966, « les relations financières entre la France et l’étranger sont libres ». Cette liberté s’exerce selon les modalités arrêtées par le Gouvernement, celui-ci pouvant, « pour assurer la défense des intérêts nationaux et par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l’économie », soumettre à déclaration, autorisation ou contrôle les opérations de change, les avoirs français à l’étranger et les investissements étrangers en France.
A certaines époques, la liberté affichée par cette loi a plus relevé de l’exception que du principe et le contrôle par l’Etat du principe que de l’exception. Chacun se souvient du contrôle des changes, des nationalisations et de l’interventionnisme de l’Etat qui ont prévalu jusqu’au milieu des années 80, avant que le Président de la République de l’époque, François Mitterrand, ne décide d’un changement radical de politique.
Au milieu des années 2000, le Premier ministre de Jacques Chirac, Monsieur de Villepin, a qualifié l’intervention de l’Etat pour empêcher la prise de contrôle de Danone par Pepsi et celle de Suez par l’italien Enel de « patriotisme économique ». Il s’agissait alors d’empêcher que ces « fleurons français » passent sous pavillon étranger.
De nouveaux secteurs d’activités comme les jeux d’argent, la sécurité privée ou la sécurité des systèmes d’information ont été ajoutés par un décret du 30 décembre 2005 à la liste des secteurs contrôlés. Auparavant, seuls les investissements dans des secteurs ou des entreprises intéressant la sécurité ou la défense nationale étaient concernés par ce régime.
La rhétorique du « patriotisme économique » connait une nouvelle jeunesse depuis l’élection de François Hollande à la Présidence de la République, avec un nouveau chantre emblématique, Monsieur Arnaud Montebourg, Ministre de l’économie et du redressement productif.
Furieux de ne pas avoir été consulté dans le cadre des discussions entre General Electric et le groupe Alstom sur le projet de cession de ce dernier, Monsieur Montebourg a été à l’initiative d’un nouveau décret en date du 14 mai 2014 soumettant de nouveaux secteurs d’activités à la procédure d’autorisation préalable de l’Etat français.
Ce décret vise en particulier « les activités portant sur des matériels, des produits ou des prestations de services, y compris celles relatives à la sécurité et au bon fonctionnement des installations et équipements, essentielles à la garantie des intérêts du pays en matière d’ordre public, de sécurité publique ou de défense nationale » tels que l’intégrité, la sécurité et la continuité de l’approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source d’énergie et en eau.
Sont également visées l’intégrité, la sécurité et la continuité d’exploitation des réseaux et des services de transport et des réseaux et des services de communications électroniques.
Quant on sait que le groupe Alstom est un des leaders mondiaux dans les infrastructures de production et de transmission d’électricité pour l’ensemble des sources d’énergie et le constructeur des trains les plus rapides au monde, on comprend que les médias aient qualifié ce décret de « décret Alstom». Le fait que Monsieur Montebourg se soit récemment opposé au rachat de Dailymotion, filiale de France Télécom, par Yahoo, pourrait expliquer que les réseaux et les services de communications électroniques soient aussi mentionnés.
Le débat fait rage en France entre les tenants du « patriotisme économique » et ceux qui considèrent que ce décret de circonstance risque de décourager un peu plus les investisseurs étrangers et de les détourner vers d’autres pays européens comme l’Allemagne, le Royaume Uni, l’Espagne ou l’Italie.
Selon la CNUCED, les investissements étrangers en France ont chuté de 77% en 2013, alors qu’ils ont augmenté pendant la même période de 392% en Allemagne et de 37% en Espagne. Ils ont augmenté au plan mondial de 11% tous pays confondus.
Or, selon une étude publiée en 2012 sur le site internet commun aux Ministères des finances et de l’économie, les entreprises étrangères en France emploient le quart de l’effectif salarié du secteur industriel et assurent près d’un tiers des exportations françaises.
Les envolées flamboyantes de Monsieur Montebourg sur le « patriotisme économique » relayées par les télévisions du monde entier ne sont sûrement pas de nature à rassurer les investisseurs étrangers. Le fait qu’elles soient presque systématiquement dirigées contre des entreprises américaines peut également surprendre eu égard au poids de ces entreprises dans notre économie et aux liens affectifs et culturels qui unissent nos deux pays.
Chacun a en mémoire la phrase prononcée par François Mitterrand dans son dernier discours devant le Parlement européen : « Le nationalisme, c’est la guerre. » Espérons que le patriotisme économique, ce ne soit pas l’isolement.