Délais de paiement maximum en vigueur depuis le 1er janvier 2009 : développements récents
La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 (dite loi « LME ») a fixé un plafond aux délais de paiement convenus entre les professionnels : ils ne peuvent dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d’émission de la facture (article L.441-6 al 9 du Code de commerce) étant précisé que les professionnels (clients et fournisseurs) d’un même secteur peuvent, par le biais d’accords interprofessionnels, encore décider de raccourcir ces délais de paiement. A titre transitoire, certains accords interprofessionnels (conclus obligatoirement avant le 1er mars 2009 et pour une durée maximale de trois années) peuvent, sous certaines conditions, prévoir des délais de paiement supérieurs lesquels devront nécessairement s’aligner progressivement sur les délais maximum légaux.
Face à la perplexité de bon nombre d’opérateurs sur les conditions de mise en œuvre de ces nouveaux délais de paiement, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (la « DGCCRF ») vient d’apporter quelques précisions notamment sur la computation du délai de 45 jours fin de mois et le cas des contrats en cours au 1er janvier 2009 (1). En revanche, la question de l’applicabilité du nouveau dispositif des délais de paiement aux relations commerciales internationales reste encore en partie débattue (2).
1. Eclairages apportés par la DGCCRF sur le nouveau dispositif des délais de paiement
Tout d’abord, la DGCCRF confirme que les nouveaux délais de paiement s’appliquent à tous les professionnels, qu’ils soient producteur, commerçant, industriel ou artisan et quel que soit le secteur économique considéré (à l’exception des délais réglementés existant dans les secteurs du transport et/ou concernant les boissons et denrées alimentaires périssables).
a) Comment calculer les délais de paiement ?
Le point de départ à prendre en considération pour démarrer le calcul du délai de « 45 jours fin de mois » ou « 60 jours date de facture » (suivant le choix fait par le fournisseur) est la date d’émission de la facture (sauf pour les DOM-TOM pour lesquels c’est la date de réception des marchandises qui tient lieu de point de départ).
Pour la computation du délai de « 45 jours fin de mois », il est alternativement admis de :
- comptabiliser 45 jours à compter de la date d’émission de la facture (ou de réception des marchandises selon le cas), la date limite de paiement intervenant à la fin du mois au cours duquel expirent ces 45 jours ;
- soit d’ajouter 45 jours à partir de la fin du mois d’émission de la facture / réception des marchandises.
b) Les délais de paiement s’appliquent-ils aux contrats conclus avant le 1er janvier 2009 pour plusieurs années ? aux contrats tacitement reconduits ?
- pour ce qui concerne les contrats pluriannuels (conclus avant le 1er janvier 2009), une distinction doit être faite selon la DGCCRF entre deux types de contrats :
– ceux qui contiennent une clause d’indexation, impliquant un ajustement automatique du prix d’année en année, pendant toute la durée du contrat ; ces contrats sont véritablement des contrats pluriannuels et échappent, pendant toute leur durée, à l’application des nouveaux délais de paiement ;
– ceux qui contiennent une clause de révision de prix laquelle sous-entend une renégociation chaque année du prix entre les parties ; dans ce cas, il s’agit en réalité d’une succession de contrats annuels (même s’il s’agit de contrats d’application d’une même convention-cadre) auxquels les nouveaux délais de paiement s’appliquent.
- Les nouveaux délais de paiement s’appliquent également aux contrats tacitement reconduits lesquels doivent s’interpréter, de jurisprudence constante, comme de nouveaux contrats.
c) Quelle sanction pour le dépassement des délais de paiement ?
Le fait de « soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l’article L.441-6 ou qui sont manifestement abusives » (article L.442-6 I-7° du Code de commerce) est passible de la sanction civile prévue à l’article L.442-6 III (à savoir amende civile pouvant aller jusqu’à deux millions d’euros ce qui reste largement théorique).
En revanche et aux termes de l’article L.441-6 alinéa 14 du Code de commerce, reste puni d’une sanction pénale (amende de 15.000 euros pour les personnes physiques et de 75.000 euros pour les personnes morales) :
- le fait de ne pas respecter le délai supplétif de 30 jours lorsque les parties n’ont convenu d’aucun délai de paiement (article L.441-6 alinéa 8) ;
- le fait de ne pas respecter le délai impératif de paiement de 30 jours date de facture dans le secteur du transport (article L.441-6 alinéa 11) ;
- le fait de ne pas indiquer dans les conditions générales de vente les modalités d’application des délais de paiement convenus entre les parties (ainsi que le fait de fixer un taux ou des conditions d’exigibilité selon des modalités non conformes) (article L.441-6 alinéa 12).
Dans sa récente note d’information, la DGCCRF laisse entendre que les nouveaux délais de paiement s’imposeraient aux clients étrangers de fournisseurs français, l’article L.442-6 du Code de commerce étant qualifié de « loi de police » (applicable en conséquence quelle que soit la loi du contrat). Pour autant, la question de l’applicabilité des nouveaux délais de paiement dans les rapports internationaux reste encore controversée et mérite quelques développements supplémentaires.
2. L’applicabilité des délais de paiement maximum dans les contrats internationaux
Il est incontestable que les nouveaux délais de paiement s’appliquent dans les relations commerciales franco-françaises. Mais qu’en est-il dans les relations fournisseur français / client étranger ou client français/ fournisseur étranger non soumises à la loi française?
a) Un fournisseur français est-il tenu d’imposer les nouveaux délais de paiement à ses clients étrangers ?
Dans sa note récente, la DGCCRF semble considérer, sur le fondement de l’article L.442-6, que les délais de paiement devraient s’appliquer aux clients étrangers d’un fournisseur français lequel ne doit pas se faire imposer des délais de paiement anormalement longs par des débiteurs même situés hors du territoire (et qui pourraient s’être notamment établis à l’étranger aux fins de contourner l’application de la loi française).
Sans être un texte de nature pénale, l’article L.442-6 du Code de commerce (sanctionnant au plan civil le dépassement des délais) a été consacré par la jurisprudence comme répondant à un impératif de protection de l’ordre public économique et qu’il constituait de ce fait une « loi de police » s’imposant dans l’ordre juridique international.
Il y a donc fort à parier que les juridictions françaises s’aligneraient en cela sur la position de la DGCCRF et considèreraient que l’article L.441-6 alinéa 9 (sanctionné civilement aux termes de l’article L.442-6) a été adopté pour protéger les fournisseurs français lesquels doivent imposer à leurs clients étrangers le respect des délais de paiement maximum ; quand bien même au final cela créerait une distorsion de concurrence au détriment du fournisseur français dans l’hypothèse où ses concurrents étrangers seraient plus souples dans leurs conditions de règlement.
Cette thèse semble également confortée par le fait que, ainsi que cela été précédemment vu (§1-c), les parties doivent préciser, à peine de sanctions pénales (article L. 441-6 alinéa 14), dans leurs conditions générales de vente, les délais de paiement convenus entre elles (lesquels ne peuvent excéder 45 jours fin de mois ou 60 jours date de facture). Le fournisseur français serait donc tenu, par ce biais également, de faire respecter par ses clients étrangers les délais de paiement légaux.
Pour autant, peut-on considérer que le fournisseur étranger doit appliquer les délais maximum de paiement à un client français ? ou, dit autrement, le client français d’un fournisseur étranger est-il tenu de respecter, en tout état de cause, les nouveaux délais de paiement ?
b) Un acheteur français est-il tenu de respecter les nouveaux délais de paiement y compris dans sa relation avec un fournisseur étranger ?
Les nouveaux délais de paiement visent essentiellement à protéger les fournisseurs / créanciers français souvent victimes de retards de paiement.
Les articles L.441-6 et L.442-6 du Code de commerce n’ont pas vocation, en principe, à protéger les fournisseurs étrangers lesquels pourraient donc convenir avec leurs clients de délais de paiement plus longs.
Toutefois, si l’on change de perspective, le client français n’est-il pas, quant à lui, tenu de respecter les délais maximum légaux de paiement à l’égard d’un fournisseur étranger ?
L’article L.441-6 du Code de commerce (ancien article 33 de l’ordonnance de 1986) a été qualifié, par le passé, par la DGCCRF comme un texte de nature pénale. Dans sa note de service n°5955 sur l’application de la loi n°92-1442 du 31 décembre 1992 relative aux délais de paiement entre les entreprises, la DGCCRF considère que :
« les articles 31, 33 et 35 [de l’ordonnance de 1986] sont des textes de nature pénale. Or, la loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République. En outre, aux termes de l’article 693 du Code de procédure pénale, est réputée commise sur le territoire de la République toute infraction dont un acte caractérisant un des éléments constitutifs a été accompli en France (…). Les acheteurs installés sur le territoire national sont tenus par les délais de l’article 35 même en cas d’achats à l’étranger ».
Même si les délais de paiement de l’article 35 renvoient aux délais de paiement réglementés de l’article L.443-1 du Code de commerce, il est fort probable que la DGCCRF se réfèrerait à la note de service précitée (qualifiant l’article L.441-6 – ex article 33 – de texte de nature pénale) pour considérer qu’un client français ne respectant pas les délais maximum légaux (de l’article L.441-6 al. 14) commettrait une infraction sur le territoire français ; et ce d’autant que, comme il a été vu précédemment, le non-respect de la mention des conditions de règlement convenues entre les parties (lesquelles ne peuvent excéder les délais maximum prévus à l’article L.441-6 alinéa 9 du Code de commerce) est passible de la sanction pénale de l’article L.441-6 alinéa 14.
Aussi, il semble bien que, tant sur le fondement de l’article L.441-6 que de l’article L.442-6 du Code de commerce, l’Administration française pourrait trouver des arguments pour poursuivre à la fois un acheteur français n’ayant pas respecté les délais de paiement légaux à l’égard d’un fournisseur étranger et un fournisseur français n’ayant pas imposé le respect de ces délais à un client étranger.
Autant de raisons qui militent dans le sens de l’application scrupuleuse de ce texte….
Développements récents
Un courant doctrinal récent, faisant de plus en plus d’émules, met à mal la position de la DGCCRF et pourrait utilement permettre de contrer les éventuelles poursuites de l’Administration initiées à l’encontre d’un fournisseur/ client français pour non-respect des délais maximum de paiement dans le cadre d’un contrat de vente internationale de marchandises.
Cette thèse se fonde sur la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 (dite aussi « Convention de Vienne ») laquelle constitue, par défaut, le Droit commun de la vente internationale en droit français. En effet, sauf à ce que les parties à un contrat international l’aient expressément exclu, la Convention de Vienne s’applique d’office. Or, la Convention de Vienne, dans son article 59, traite de la question des délais de paiement en disposant que « l’acheteur doit payer le prix à la date fixée au contrat ou résultant du contrat et de la présente Convention, sans qu’il soit besoin d’aucune demande ou autre formalité de la part du vendeur ».
Comment, dès lors, articuler l’article 59 de la Convention de Vienne (disposant que les délais de paiement sont librement fixés entre les parties) avec l’article L.441-6 du Code de commerce imposant au contraire des délais de paiement maximum ?
Certains auteurs considèrent que, dès lors que l’une des parties au contrat est localisée à l’étranger et que le contrat est soumis à la loi d’un Etat contractant ou que les règles de conflit de loi mènent à l’application de la loi d’un Etats contractant (par exemple, la loi française), le droit substantiel de la vente internationale institué par la Convention de Vienne s’imposerait aux cocontractants – y compris dans son article 59 sur les délais de paiement libres – et permettrait d’exclure l’application des délais de paiement introduits par la LME.
Cette thèse est intéressante mais il convient d’en relever les limites : Du point de vue de son champ d’application spatial d’abord, la Convention de Vienne ne peut être invoquée qu’à la condition que la loi choisie soit la loi d’un Etat contractant ou que les règles de conflit de lois mènent à la loi d’un Etat contractant. Quant à son champ d’application matériel, il convient de rappeler que la Convention de Vienne ne concernant que la « vente » de marchandises, les contrats de distribution ne tombent pas sous son empire. Aussi, les parties à un contrat de distribution internationale ne pourraient a priori pas revendiquer le bénéfice de la Convention de Vienne aux fins de tenter d’exclure l’applicabilité de l’article L.441-6 alinéa 9 du Code de commerce.
Faute de jurisprudence rendue en la matière, le débat reste ouvert…