Le droit des fusions-acquisitions à l’aune de la réforme du droit des contrats
Introduite par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, la réforme du droit des contrats est entrée en vigueur le 1er octobre 2016. Bien qu’elle ait déjà fait l’objet de nombreux commentaires[1], il restait à l’étudier sous l’angle des fusions-acquisitions.
Peu révolutionnaire (on peut toutefois citer l’introduction dans notre droit de la théorie de l’imprévision, longtemps ignorée par nos législateurs), cette réforme a néanmoins le mérite d’offrir une base légale à des principes autrefois soumis aux fluctuations jurisprudentielles, et de rendre notre droit plus accessible, ce que les profanes ne manqueront pas d’apprécier.
L’objet de la présente étude est de mettre en lumière les dispositions issues de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, susceptibles d’influer sur la pratique des fusions-acquisitions.
1. Phase 1 : les négociations
1.1. Obligation de négocier de bonne foi
Le nouvel article 1104 du Code civil dispose que « les contrats doivent être négociés […] de bonne foi ». Dans la même veine, le nouvel article 1112 du Code civil dispose que « l’initiative, le déroulement […] des négociations précontractuelles […] doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi ».
Autrefois cantonnée à l’exécution[2], l’obligation d’agir de bonne foi est à présent étendue à la phase précontractuelle. Reste que la « bonne foi » n’est toujours pas définie…
Toujours dans le même esprit, le nouvel article 1112-1 du Code civil dispose que « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant », étant précisé que :
- « Ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation»,
- « Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties»,
- « Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir».
La sanction est lourde : « outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat ». En cas d’annulation d’une opération complexe englobant plusieurs cessions, apports et autres opérations de société, le détricotage peut s’avérer périlleux…
En pratique, afin de se prémunir contre le risque évoqué ci-dessus, il pourra être opportun pour les parties de définir précisément, lors de la due diligence qui sera menée en amont (le cas échéant), et dans la documentation juridique qui sera signée par la suite, ces informations « dont l’importance est déterminante », dans le respect des principes rappelés ci-avant, ainsi que leurs modalités de transmission. En effet, « il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie »[3].
1.2. Devoir de confidentialité
Le nouvel article 1112-2 du Code civil dispose que « celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions de droit commun ».
Cet article consacre une jurisprudence bien établie, et est la contrepartie logique de l’obligation d’information renforcée évoquée ci-avant.
La conclusion de NDA[4] préalablement à l’ouverture des discussions ne sera pas pour autant abandonnée car il n’est pas inutile, en pratique, de définir là aussi précisément cette « information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations », ses modalités de divulgation, ainsi que la durée de ce devoir de confidentialité.
2. Phase 2 : l’offre, le pacte de préférence et la promesse unilatérale
2.1. L’offre
Le nouvel article 1114 du Code civil dispose que l’offre doit comprendre « les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. A défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation ».
Ainsi, une simple offre indicative, non-binding, ne devrait, sous réserve de ses termes, recevoir cette qualification et se trouver soumise aux nouvelles dispositions régissant l’offre.
Les nouveaux articles 1115 et 1116 du Code civil disposent ensuite que l’offre, telle que définie ci-avant, « peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire », et « ne peut être rétractée avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable ».
Il s’agit là aussi de la consécration d’une jurisprudence fermement établie.
2.2. Le pacte de préférence
Le nouvel article 1123 du Code civil dispose que « lorsqu’un contrat est conclu avec un tiers en violation d’un pacte de préférence, le bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice subi. Lorsque le tiers connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, ce dernier peut également agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu ».
Sous l’empire du droit antérieur, le principe était l’allocation de dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur[5]. Ce principe connaissait toutefois une exception de taille : depuis un célèbre arrêt rendu le 26 mai 2006 par la Cour de cassation siégeant en Chambre mixte, le bénéficiaire d’un pacte de préférence était en droit d’exiger l’annulation du contrat conclu avec un tiers en méconnaissance de ses droits, et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur, sous réserve que ce tiers ait eu connaissance, à l’occasion de la conclusion du contrat litigieux, à la fois (i) de l’existence du pacte de préférence, et (ii) de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir.
Cette position se trouve ici confirmée. L’innovation réside dans l’introduction d’une action interrogatoire au profit dudit tiers : le nouvel article 1123 du Code civil prévoit en effet ensuite que « le tiers peut demander par écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir. L’écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat ».
2.3. La promesse unilatérale
Le nouvel article 1124 du Code civil dispose que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis. Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul ».
Ce texte met fin aux atermoiements doctrinaux sur la question de la révocation d’une promesse pendant son délai d’option, en adoptant une position claire, contraire à celle dégagée par une jurisprudence pourtant relativement constante sur ce point[6]. Dorénavant, la révocation de la promesse pendant le délai d’option est sans effet.
3. Phase 3 : l’exécution
3.1. Faculté de révision
Le nouvel article 1195 du Code civil dispose que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. »
Autrefois impossible en vertu d’une jurisprudence constante depuis la célèbre affaire du Canal de Craponne[7], sauf à ce que les parties l’aient anticipé par l’insertion dans leurs accords d’une MAC clause[8], la survenue d’un évènement significatif particulièrement défavorable pour l’une des parties entre le signing et le closing peut désormais être invoquée pour solliciter un rééquilibrage des prestations et engagements réciproques.
Ces MAC clauses devraient toutefois avoir encore de beaux jours devant elles car face à un texte aussi imprécis, les parties auront tout intérêt soit (i) à définir ce « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie », soit (ii) à en écarter expressément l’application.
3.2. Exécution en nature
Le nouvel article 1221 du Code civil dispose que « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ».
Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation admettait parfois des exécutions forcées d’un coût manifestement disproportionné au regard du manquement du débiteur et de leur intérêt pour le créancier : la Haute Juridiction avait ainsi un jour pu admettre la démolition puis la reconstruction d’une maison, en raison d’une insuffisance de niveau de 0,33 mètre par rapport aux stipulations contractuelles…[9] Le législateur fait preuve ici de pragmatisme en limitant le recours à l’exécution en nature.
[1] Cf. notamment l’article intitulé « Réforme du droit des contrats : les répercussions sur les pratiques contractuelles en matière de distribution » publié dans notre e-newsletter de Juillet / Août 2016 et l’article intitulé « Entrée en vigueur le 1er octobre 2016 de la réforme du droit des obligations. Les nouveautés qui ont retenu notre attention » publié dans notre e-newsletter de septembre 2016.
[2] Article 1134, al. 3 anc. du Code civil : « elles [les conventions] doivent être exécutées de bonne foi. »
[3] Article 1112-1 nouv. du Code civil.
[4] Non-disclosure agreements ou accords de confidentialité.
[5] Article 1142 anc. du Code civil : « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »
[6] Voir notamment Cass. civ. 3e, 15 déc. 1993, n°91-10.199 : tant que les bénéficiaires n’ont pas déclaré acquérir, l’obligation du promettant ne constitue qu’une obligation de faire, de sorte que la levée d’option, postérieure à la rétractation du promettant, exclut toute rencontre des volontés réciproques.
[7] Cass. civ. 6 mars 1876, de Gallifet c/ Cne de Pelissanne : le juge judiciaire ne peut modifier la convention des parties en raison d’un changement de circonstances.
[8] Material adverse change clause.
[9] Cass. civ. 3e, 11 mai 2005, n°03-21.136.