Droits voisins pour les éditeurs de presse : nouvelle condamnation de Google à une amende de 250 millions d’euros
Alphabet Inc, Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France (ci-après désignées « Google ») ont accepté de régler une nouvelle amende conséquente de 250 millions d’euros à l’Autorité de la concurrence pour non-respect de leurs engagements au titre des droits voisins[1].
Pour rappel, la loi n°2019-775 du 24 juillet 2019 « tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse », transposant la Directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique[2], vise à garantir une rémunération équitable aux agences et éditeurs de presse pour leurs contenus repris sur les plateformes en ligne.
En pratique, cela offre la possibilité pour les éditeurs de pouvoir exiger une rémunération lorsque des extraits d’articles, des images ou des vidéos issus de leurs publications sont utilisés par des moteurs de recherche ou des agrégateurs de contenus.
Dès l’adoption de cette loi, un bras de fer s’était enclenché entre Google et les éditeurs de presse, ces derniers accusant Google d’abuser de sa position dominante et de piller sans contrepartie financière leurs contenus.
L’Autorité de la concurrence avait été saisie en novembre 2019 et, par une décision historique en date du 9 avril 2020[3], prononcé des mesures d’urgence visant à contraindre Google de négocier de bonne foi avec les éditeurs de presse et de présenter des offres de rémunération pour la reprise de leurs contenus. L’Autorité avait souligné que les pratiques de Google constituaient un abus de position dominante en ce qu’elles visaient à contourner les obligations légales imposées par la loi de 2019 sur les droits voisins. Google avait accepté de prendre de nouveaux engagements en faveur des agences et éditeurs de presse.
Le non-respect des engagements par Google
Malgré cette décision, Google a été accusé de ne pas respecter pleinement ses engagements. En septembre 2020, plusieurs organisations représentant les éditeurs de presse ont saisi l’Autorité de la concurrence, arguant que Google continuait à imposer des conditions unilatérales et à retarder les négociations.
L’Autorité a constaté par une décision en date du 12 juillet 2021[4] le non-respect des injonctions. En effet, Google faisait échec aux négociations avec les éditeurs et agences de presse en leur proposant de conclure un contrat de licence global obligeant les éditeurs de presse à accorder à Google l’accessibilité intégrale de leurs articles, en excluant du champ d’application de la loi de 2019 sur les droits voisins les éditeurs ne disposant pas d’une certification « Information Politique et Générale » (ou « IPG), et en refusant aux agences de presse le bénéfice d’une rémunération de leurs contenus repris par les éditeurs de presse.
L’Autorité de la concurrence a infligé une amende de 500 millions d’euros à Google. L’Autorité a également exigé que Google présente sous un délai de deux mois une offre de rémunération conforme aux attentes des éditeurs de presse, sous peine de nouvelles sanctions.
Les nouveaux engagements de Google
A la suite de cette décision, Google a présenté une série de nouveaux engagements prévoyant notamment :
- Une extension du champ d’application de ses engagements à tous les éditeurs, certifiés IPG ou non,
- La transmission des informations aux éditeurs et agences de presse nécessaires à l’évaluation transparente de la rémunération proposée par Google,
- La négociation de bonne foi des accords sur la base de critères transparents, objectifs et non discriminatoires,
- La possibilité en cas d’échec des négociations de saisir un tribunal arbitral, aux frais exclusifs de Google, qui serait chargé de déterminer le montant de la rémunération,
- La désignation d’un mandataire chargé du suivi des négociations.
Ces engagements de Google, lesquels s’appliquent pour une durée de cinq ans, ont été acceptés par l’Autorité de la Concurrence le 21 juin 2022[5].
Nouvelle amende prononcée par l’Autorité de la concurrence à l’encontre de Google
Le 15 mars 2024, l’Autorité de la concurrence a condamné une nouvelle fois Google pour un montant de 250 millions d’euros.
Selon l’Autorité, plusieurs engagements pris par Google en 2022 n’ont pas été respectés, tels que :
- La transmission des informations aux éditeurs et agences de presse nécessaires à l’évaluation transparente de la rémunération proposée par Google,
- La négociation de bonne foi des accords sur la base de critères transparents, objectifs et non discriminatoires,
- La prise de mesures pour que les négociations n’affectent pas les autres relations économiques existant entre Google et les éditeurs ou agences de presse.
L’Autorité justifie également sa sanction par l’utilisation par le robot conversationnel Bard, devenu Gemini, de contenus journalistiques sans en informer les éditeurs.
A cet égard, l’utilisation par les systèmes d’intelligence artificielle de contenus en violation du droit d’auteur risque dans les années à venir de générer des contentieux, les éditeurs de presse ayant déjà intenté aux Etats-Unis des actions en justice à l’égard d’Open AI pour violation de leurs droits d’auteur[6][7].
Google s’étant engagé à ne pas contester les faits, elle a accepté la somme infligée par l’Autorité de la Concurrence.
Vers un renforcement de la loi de 2019 ?
Une proposition de loi visant à renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse a été enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 février 2024[8].
L’article 1er de cette proposition vise à renforcer la procédure de négociation des droits voisins en demandant la publication d’un décret prévoyant la liste des éléments devant obligatoirement faire l’objet d’une transmission des plateformes vers les acteurs du monde de la presse. Il est également demandé d’inscrire dans la loi un délai maximum pour la transmission des éléments de négociation. En l’absence de respect de ce délai, l’entreprise incriminée pourrait se voir imposer une amende allant jusqu’à 2% de son chiffre d’affaires global.
Il est également demandé la création d’une procédure de médiation par l’Autorité de la concurrence en cas d’absence de conclusion d’un accord dans un délai d’un an à compter de l’ouverture des négociations. Si aucune issue n’est trouvée, il est demandé que l’Autorité soit habilitée à déterminer elle-même les conditions de rémunération.
La proposition de loi a été renvoyée pour examen à la Commission des affaires culturelles et de l’éducation.
[1] Décision 24 – D- 03 du 15 mars 2024
[2] Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique
[3] Décision 20-MC-01 du 9 avril 2020
[4] Décision 21-D-17 du 12 juillet 2021
[5] Décision 22-D-13 du 21 juin 2022
[6] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/12/27/le-new-york-times-poursuit-en-justice-microsoft-et-openai-createur-de-chatgpt-pour-violation-de-droits-d-auteur_6207946_4408996.html
[7] https://www.nytimes.com/2023/12/27/business/media/new-york-times-open-ai-microsoft-lawsuit.html
[8] Assemblée nationale, proposition de loi n°2169 visant à renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse