Durée de prescription de l’action en contrefaçon de droits d’auteur et durée de protection des droits
Just because of you, la musique du générique du film Les bronzés font du ski, a conduit la Cour de cassation à revenir sur sa jurisprudence, dans un arrêt du 3 juillet 2013, en énonçant que « si le droit moral de l’artiste-interprète est imprescriptible et son droit patrimonial ouvert pendant cinquante ans, les actions en paiement des créances nées des atteintes qui sont portées à l’un ou à l’autre sont soumises à la prescription de droit commun » d’une durée de cinq ans depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008[1].
Le 18 septembre 1979, Monsieur Jean-Denis Perez a participé, en tant que soliste, à une séance d’enregistrement de l’œuvre musicale Just because of you, écrite et composée par Pierre Bachelet pour le film culte Les bronzés font du ski. Pour cette prestation, Monsieur Jean-Denis Perez avait perçu, à l’époque, une rémunération de 2000 Francs.
Le 13 novembre 2003, 24 ans plus tard, l’artiste-interprète assigna la société Tinacra, productrice du film, en reconnaissance et indemnisation de ses droits d’artiste-interprète, son nom n’étant jamais apparu sur le générique ni sur les pochettes du disque ultérieurement édité, aucune part aux produits des ventes ne lui ayant été reversée de surcroît.
La Cour d’Appel de Versailles a fait droit à ces demandes et rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société défenderesse qui soutenait que l’action engagée était prescrite.
Rappelons que si le Code de la propriété intellectuelle édicte clairement que la prescription des actions en contrefaçon en matière de propriété industrielle est d’une durée de trois ans, il reste muet sur le délai de prescription des actions destinées à protéger les droits d’auteur ou les droits voisins des droits d’auteur, tels les droits des artistes-interprètes.
En revanche, le Code de la propriété intellectuelle énonce les règles de prescription concernant l’existence et la jouissance des droits patrimoniaux et moraux attachés aux droits d’auteur et droits voisins des droits d’auteur.
Cette lacune des textes a créé une incertitude jurisprudentielle à laquelle il a été mis fin par l’arrêt commenté.
Dans un arrêt du 29 septembre 2010, la Cour d’Appel de Versailles a considéré que l’action engagée par Monsieur Jean-Denis Perez n’était pas prescrite :
- par application de l’article L.211-4-1° du code de la propriété intellectuelle qui dispose que la durée des droits patrimoniaux de l’artiste-interprète est de cinquante années à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de l’interprétation ;
- et par application de l’article L.212-2 du même code selon lequel « l’artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation. Ce droit inaliénable et imprescriptible est attaché à sa personne ».
Les juges d’appel ont ainsi refusé de distinguer la durée des droits moraux et patrimoniaux de l’artiste-interprète, de la durée du délai de prescription de l’action destinée à protéger ces mêmes droits et rejeté l’application de l’ancienne prescription décennale de droit commun prévue par l’ancien article 2270-1 du Code civil.
Les juges du fond suivaient une jurisprudence ancienne qui assimilait la durée de protection des droits à la durée de l’action en assurant la protection.
Illustre cette jurisprudence, un arrêt du 17 janvier 1995 de la première chambre civile qui avait jugé que « l’exercice par l’auteur du droit de propriété intellectuelle qu’il tient de la loi, et qui est attaché à sa personne en qualité d’auteur, n’est limité par aucune prescription »[2].
L’attendu de principe ainsi édicté était repris tel quel dans un second arrêt du 6 mai 1997[3].
Cette jurisprudence était soutenue par une partie de la doctrine qui considérait qu’il y aurait « paradoxe à admettre l’imprescriptibilité du droit, tout en lui refusant sa sanction »[4].
Par arrêt du 3 juillet 2013, la Cour de cassation revient sur cette jurisprudence en cassant l’arrêt précité de la Cour d’Appel de Versailles.
Ce revirement de jurisprudence entérine une tendance déjà adoptée par certaines juridictions du fond.
Ainsi, dans un arrêt du 16 mai 2008, la Cour d’Appel de Paris a jugé « qu’il convient de distinguer la prescription du droit lui-même qui est imprescriptible, de la prescription de l’action visant à sanctionner une atteinte à ce dernier » et qu’en conséquence, « l’action en contrefaçon qui vise à sanctionner l’atteinte portée aux droits de l’auteur tant moraux que patrimoniaux se prescrit selon les règles du droit commun »[5].
Cet arrêt avait été vivement critiqué par une partie de la doctrine qui, rappelant l’attendu de principe précité posé en 1995 par la Cour de cassation, énonçait :
« C’est bien de l’exercice du droit et non de son existence ou sa jouissance dont il est question : par conséquent, si les mots ont un sens, l’interprétation restrictive de la portée de l’imprescriptibilité fulminée par l’article L.121-1 nous paraît incompatible avec cet attendu de principe, aussi bien qu’avec l’économie générale de la loi sur les droits d’auteur »[6].
Malgré ces vives critiques, la Cour de cassation suit le courant annoncé par l’arrêt de la Cour d’appel de Paris de 2008 et revient sur sa jurisprudence de 1995, en faisant désormais une distinction claire entre d’une part, la durée des droits et d’autre part, la durée de l’action en contrefaçon.
Il en résulte que l’imprescriptibilité des droits moraux y étant attachés n’emporte pas imprescriptibilité de l’action en contrefaçon qui est soumise au droit commun.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, la prescription de l’action est soumise aux règles édictées par l’article 2224 du Code civil qui dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Si l’artiste-interprète a un droit perpétuel et inaliénable au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation, il dispose d’un délai de cinq ans pour dénoncer toute atteinte à ce droit.
La Cour de cassation n’a toutefois pas fermé la porte à toute possibilité d’indemnisation de l’artiste-interprète Jean-Denis Perez, en renvoyant les parties devant la Cour d’Appel de Paris pour que l’affaire soit à nouveau jugée.
Monsieur Jean-Denis Perez pourra ainsi obtenir, devant les juges du fond nouvellement saisis, réparation du préjudice subi au titre du non-respect de ses droits d’artiste-interprète, pendant les dix années ayant précédé l’introduction de son action en 2003.
[1] Cass. civ 1. 3 juillet 2013, n°10-27.043
[2] Cass. civ 1. 17 janvier 1995, n°91-21.123
[3] Cass. civ 1. 6 mai 1997, RIDA oct. 1997.231
[4] De la prescription en droit d’auteur, Frédéric Pollaud-Dulian, RTD Civ. 1999 p. 585
[5] CA Paris, 4e chambre, section B, 16 mai 2008, n°06/04646
[6] Droit moral. Prescription. Action en contrefaçon. Frédéric Pollaud-Dulian, RTD com. 2008 p.553