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Publié le 30 octobre 2020 par Pauline Kubat

Exequatur d’une décision américaine en France : attention, le désintérêt du défendeur pour la procédure aux Etats-Unis peut coûter cher

Dans une décision du 16 septembre 2020, la Cour de cassation s’est prononcée sur la conformité du droit californien à l’ordre public international de procédure français. Par application combinée de plusieurs règles procédurales californiennes, un défendeur français s’était vu priver d’une voie de recours. La Cour de cassation, intervenant à l’occasion de la procédure d’exequatur de la décision américaine, a néanmoins considéré qu’il n’y avait pas d’atteinte à l’ordre public international français.

Décryptage de cet arrêt aux incidences surprenantes.

Historique du litige

La société américaine Paragon, distributrice de logiciels informatiques, et la société française XT Soft, société de conseil en informatique, étaient partenaires.

Elles étaient liées depuis 1996 par un contrat de licence portant sur la commercialisation et la distribution de produit informatiques.

Un différend est apparu concernant le montant des redevances dues par XT Soft (et visiblement restées impayées).

Conformément à la clause attributive de juridiction stipulée dans le contrat de licence, Paragon a assigné XT Soft devant la Cour de district de Californie en responsabilité et paiement de diverses sommes.

L’assignation a été régulièrement signifiée en France à XT Soft mais celle-ci a choisi de ne pas s’impliquer dans la procédure et la Cour de district de Californie a donc rendu une décision par défaut le 22 septembre 2014 en faveur de Paragon.

XT Soft a été condamnée par la juridiction américaine au paiement de 502.391,15 dollars.

Selon la loi californienne, XT Soft disposait alors d’un an à partir de la date de la décision pour faire appel (et non pas, nuance qui a son importance, à partir de la notification de cette décision, comme en France).

Paragon, de façon aussi habile que déloyale, n’a pas notifié la décision à XT Soft dans le délai d’un an.

Le délai d’appel a donc expiré et la voie de recours s’est éteinte pour XT Soft.

Paragon a alors attrait XT Soft devant les juridictions françaises afin d’obtenir l’exequatur de la décision américaine le 16 mars 2016.

Sauf que … les juges du fond français ne l’entendirent pas de cette oreille. Le 25 janvier 2019, la Cour d’appel de Versailles a rejeté la demande d’exequatur de Paragon.

Motif : irrespect de l’ordre public international de procédure.

Bref rappel sur les conditions de l’exequatur d’une décision étrangère en France

Avant d’aller plus loin, petit rappel sur l’exequatur en droit français.

L’exequatur, c’est la décision par laquelle la juridiction française compétente autorise l’exécution en France d’un jugement ou d’un acte étranger[1].  

En effet, en l’absence de convention internationale (comme c’est le cas entre la France et les Etats-Unis), les jugements étrangers ne peuvent être exécutés sur le territoire français que dans des conditions légales déterminées[2],à savoir plus précisément, ils doivent avoir été déclarés exécutoires par un juge français[3].

Pour accorder l’exequatur, le juge français ne « rejuge » pas l’affaire mais va seulement vérifier qu’une série de conditions, établies par la jurisprudence, sont réunies.

Ces conditions, cumulatives et fixées par la jurisprudence[4], sont au nombre de trois :

  • La compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi ;
  • La conformité à l’ordre public international de fond et de procédure ;
  • L’absence de fraude à la loi.

Dans le litige opposant Paragon et XT Soft, la question principale qui s’est posée au juge français, était de savoir s’il n’y avait pas de contrariété à l’ordre public international de procédure.

Sur ce point, la Cour de cassation a déjà précisé que la contrariété à l’ordre public international de procédure d’une décision étrangère ne pouvait être admise que s’il était démontré que les intérêts d’une partie ont été effectivement compromis par une violation des principes fondamentaux de procédure[5].

Pour revenir à notre affaire, est-ce que le droit californien serait contraire à l’ordre public international de procédure, ce qui justifierait un refus d’exequatur ?

Pour les juges du fond, c’était le cas. L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles considérait ainsi, dans sa décision du 25 janvier 2019, que « l’absence d’exigence légale d’une notification en bonne et due forme alliée à la circonstance que le délai de recours court dès le prononcé est de nature à priver le défendeur de tout recours effectif et cette absence de garantie procédurale contrevient aux droits à un procès équitable et à un recours effectif garantis par les articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales »[6].

La Cour de cassation, dans sa décision du 16 septembre 2020, n’a pas suivi ce raisonnement.

La décision rendue par la Cour de cassation le 16 septembre 2020

Il est vrai que la situation était singulière.

Le fait que d’une part le droit californien fasse courir le délai de recours à partir du prononcé de la décision (et non à partir de sa notification) et d’autre part que la notification ne soit pas obligatoire a abouti à une situation problématique pour XT Soft, qui s’est vue in fine privée de la possibilité d’exercer une voie de recours.

Sous cet angle, effectivement il y a un problème au niveau des droits de la défense et du procès équitable.

Mais la Cour de cassation envisage les choses différemment.

S’il est vrai que XT Soft s’est vue privée d’une voie de recours, du fait d’un usage habile du droit californien par Paragon, la Cour considère néanmoins que « les décisions américaines pouvaient ne pas révéler d’atteinte à l’ordre public international de procédure » et qu’il n’était pas démontré une atteinte aux droits au procès équitable et au recours effectif de XT Soft dans la mesure où celle-ci avait eu connaissance de l’assignation et de l’instance devant la juridiction californienne.  

La Cour tend ici vers une appréciation particulièrement souple de l’ordre public international de procédure puisqu’elle considère en définitive qu’un droit étranger qui « peut » porter atteinte aux droits de la défense dans certaines situations reste conforme à l’ordre public international de procédure s’il ne les viole pas à coup sûr.

La Haute juridiction française avait déjà retenu une telle approche, en considérant par exemple que n’est pas contraire à l’ordre public procédural le défaut d’indication des voies de recours dans la signification de la décision étrangère, dès lors que le défendeur avait eu connaissance de l’instance étrangère [7].

A demi-mot, la Cour de cassation sanctionne ici finalement le désintérêt du justiciable pour la procédure à l’étranger. S’il s’était un tant soit peu intéressé à la procédure aux Etats-Unis, il aurait pu exercer une voie de recours en temps utile.

Mais est-ce certain ? Rien ne permet de l’affirmer.

Finalement, le droit californien aboutit, quoi qu’en dise la Cour de cassation, à une insécurité juridique réelle.

Et ceci conduit en l’espèce à valider les manœuvres procédurales déloyales de la partie adverse, ce qui reste pour le moins contestable…

En conclusion, ne vous croyez pas à l’abri d’une procédure initiée contre vous à l’étranger. Et si vous souhaitez ne pas y intervenir, veillez malgré tout à vérifier au plus tôt les possibilités et délais de recours qui vous sont ouverts (pour ne pas vous faire piéger comme XT Soft).


[1] Fasc. Lexis 360, EXEQUATUR – Reconnaissance et exécution des jugements et actes étrangers – 15 février 2010, Paul LAROCHE DE ROUSSANE

[2] Article 509 du Code de procédure civile français

[3] article L111-3 du Code des procédures civiles d’exécution français

[4] Arrêt Munzer, Cass. 1ère civ., 7 janvier 1964 ; Arrêt Bachir, Cass. 1ère civ. 4 oct. 1967 ; Arrêt Cornelissen, Cass.1ère civ., 20 février 2007)

[5] Cass. 1ère civ. 19 septembre 2007

[6] Cass. 1ère civ. 16 septembre 2020, n°19-11.621

[7] Cass. 1rère civ. 29 novembre 1994