Garantie des engagements des filiales en droit français
Les sociétés mères sont souvent appelées à garantir les engagements de leurs filiales à l’égard des tiers. Cette garantie peut revêtir diverses formes mais les plus fréquemment utilisées sont le cautionnement, la garantie autonome et la lettre d’intention.
Les conditions de validité d’une garantie peuvent varier selon le type de société, à savoir société à risque limité ou société à risque illimité octroyant ladite garantie. Par ailleurs, les sociétés anonymes présentent une spécificité dans la mesure où l’autorisation préalable du conseil d’administration, ou le cas échéant du conseil de surveillance, est nécessaire à l’octroi de tout aval, caution ou garantie. D’autres limites, enfin, peuvent résulter de la nature même de la garantie donnée.
Pour rappel, ces garanties sont définies comme suit :
- Le cautionnement, défini aux articles 2288 et suivants du code civil, par lequel la caution s’engage personnellement à payer le créancier en cas de défaillance du débiteur. Le cautionnement présente un caractère accessoire à l’obligation principale entre le créancier et le débiteur et la caution peut ainsi opposer au créancier certaines exceptions tirées du contrat de base afin de retarder le paiement ou refuser de payer le créancier.
- La garantie autonome définie aux articles 2321 et suivants du Code civil est l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme à première demande du bénéficiaire, sans pouvoir retarder le paiement ou opposer de quelconques exceptions. La garantie autonome est juridiquement indépendante de l’obligation principale et de la relation entre le donneur d’ordre et le bénéficiaire.
- La lettre d’intention est définie par l’article 2321 du Code civil comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ».
Les conditions de validité d’une garantie peuvent varier selon le type de société, à savoir société à risque limité ou société à risque illimité octroyant ladite garantie (1). Par ailleurs, les sociétés anonymes présentent une spécificité dans la mesure où l’autorisation préalable du conseil d’administration, ou le cas échéant du conseil de surveillance, est nécessaire à l’octroi de tout aval, caution ou garantie (2). D’autres limites, enfin, peuvent résulter de la nature même de la garantie donnée (3).
1. Conditions de validité d’une garantie selon le type de société octroyant ladite garantie
En droit français, les conditions de validité d’une garantie varient en fonction du type de société octroyant la garantie, à savoir les sociétés à risque illimité (1.1) ou les sociétés à risque limité (1.2)
1.1 Sociétés à risque illimité
Les sociétés à risque illimité[1] ne sont pas engagées par les actes qui n’entrent pas dans leur objet social statutaire. Aussi, la conformité d’une garantie à l’objet social d’une société à responsabilité illimitée a donné lieu à une jurisprudence fournie.
De plus, selon la jurisprudence, la garantie octroyée par une société à risque illimité, pour être valide, ne doit pas contrarier l’intérêt social du garant[2]. Bien qu’aucune définition précise de l’« intérêt social » n’ait été consacrée par la jurisprudence, les tribunaux français se réfèrent généralement à la notion de communauté d’intérêts entre le garant et le débiteur pour établir l’existence de l’« intérêt social ». A titre d’exemple, il a été jugé que l’absence de contrepartie pour le garant, ou une garantie créant un déséquilibre entre l’engagement du garant et le bénéfice que le garant peut en retirer, ou une garantie excédant la capacité financière du garant, serait considérée comme contraire à l’intérêt social du garant.
1.2 Sociétés à risque limité
En droit français, les sociétés à risque limité[3] sont engagées même par les actes de leurs mandataires sociaux qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elles ne prouvent que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances[4].
Ce principe juridique a donné lieu à une jurisprudence désormais bien établie concernant la validité des garanties, selon laquelle le garant est lié par une garantie même si celle-ci est contraire à son intérêt social et/ou à son objet social. Cela étant, et en dépit de la position ferme ici rappelée, la jurisprudence relative à la nullité des actes passés par les sociétés à risque limité avec les tiers pour contrariété avec l’intérêt social ne s’est toujours pas tarie et continue d’alimenter de nombreuses décisions[5].
2. Cas particulier de la société anonyme : autorisation préalable du conseil d’administration/conseil de surveillance
Les cautions, avals et garanties donnés par des sociétés anonymes autres que celles exploitant des établissements bancaires ou financiers doivent faire l’objet d’une autorisation préalable du conseil d’administration (ou du conseil de surveillance le cas échéant). L’autorisation ne peut être donnée qu’au Directeur Général de la société.
L’autorisation n’est requise que pour garantir les engagements pris par des tiers et non ceux de la société elle-même[6]. Il est cependant de jurisprudence constante qu’une filiale est considérée comme un tiers[7].
Si les cautions, avals et garanties ont été consentis sans autorisation préalable du conseil, l’engagement est inopposable à la société et ne peut faire peser sur elle aucune obligation[8]. Aucune ratification ne peut intervenir postérieurement.
Il convient de noter que les modalités de l’autorisation préalable varient selon que la garantie porte sur les engagements pris par une société « contrôlée » (2.1.) ou non (2.2).
2.1 Garantie des engagements pris par une société « contrôlée »
En ce qui concerne la garantie des engagements pris par une société « contrôlée »[9] par le garant, le conseil d’administration (ou de surveillance selon le cas) de la société anonyme garante peut autoriser les cautions, avals et garanties globalement et sans limitation de leurs montants. Il peut également autoriser le directeur général à accorder, globalement et sans limitation de leurs montants, des garanties à la même société contrôlée, sous réserve que ce dernier en rende compte au conseil au moins une fois par an[10].
L’autorisation donnée par le conseil d’administration (ou de surveillance le cas échéant) peut être annuelle, ou sans limite de temps à condition que le directeur général en rende compte au conseil au moins une fois par an.
2.2 Garantie des engagements pris par un tiers autre qu’une société « contrôlée »
Lorsqu’il s’agit de garantir des engagements pris par tout tiers autre qu’une société « contrôlée[11] » par la société, l’autorisation doit être donnée pour un montant limité. Les cautionnements, avals et garanties sont alors librement accordés par le directeur général jusqu’à ce que le plafond fixé par le conseil soit atteint. Toutefois, le conseil d’administration (ou de surveillance le cas échéant) de la société anonyme garante peut également, dans la limite du plafond global, fixer, par engagement, un montant au-delà duquel la caution, l’aval ou la garantie de la société requièrent son autorisation préalable.
3. Limitations tenant à la nature même de la garantie
D’autres limitations liées à la nature même de la garantie en jeu sont susceptibles d’empêcher sa mise en œuvre.
3.1 Les limites de l’efficacité du cautionnement en droit français
Pour rappel, celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même.
Le cautionnement présente un caractère accessoire à l’obligation principale entre le créancier et le débiteur, ce qui entraîne les conséquences suivantes :
- Le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur, ni être contracté sous des conditions plus onéreuses,
- La caution peut opposer au créancier les exceptions tirées du contrat de base et dont le débiteur principal pourrait se prévaloir à l’encontre du bénéficiaire du cautionnement, afin de retarder le paiement, ou refuser de payer le bénéficiaire (inexécution par celui-ci de ses obligations contractuelles ou nullité du contrat de base) ;
- La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s’opérer en faveur de la caution (par exemple, à l’occasion de l’ouverture d’une procédure collective du débiteur, en l’absence de déclaration par le créancier de la créance garantie, la caution est déchargée de son obligation, peu important la nature de celle-ci, si elle aurait pu tirer un avantage effectif du droit d’être admise dans les répartitions et dividendes prévus dans le cadre de la procédure collective du débiteur et susceptibles de lui être transmis par subrogation[12]);
- La caution est libérée lorsque l’obligation principale s’éteint.
3.2 Les limites de l’efficacité de la garantie autonome en droit français
3.2.1 Fraude ou abus manifeste du bénéficiaire ou collusion frauduleuse avec le donneur d’ordres
En droit français, le garant est dispensé de payer la garantie en cas de fraude ou d’abus manifeste du bénéficiaire ou de collusion frauduleuse de celui-ci avec le donneur d’ordres[13].
La fraude, l’abus manifeste ou encore la collusion entre le donneur d’ordres et le bénéficiaire peuvent résulter par exemple :
- D’une demande de paiement du garant par le bénéficiaire alors que le débiteur principal a déjà exécuté ses obligations,
- De la production de documents falsifiés par le bénéficiaire au garant afin d’obtenir le paiement,
- D’une demande de paiement du garant par le bénéficiaire alors que ce dernier a rompu le contrat,
- De tout accord de collusion entre le débiteur principal et le bénéficiaire pour nuire délibérément au garant.
3.2.2 Scission/fusion de la société bénéficiaire
Il convient enfin de garder à l’esprit qu’une garantie autonome en droit français ne peut être mise en œuvre que par le bénéficiaire désigné. Sauf convention contraire, cette garantie ne suit pas l’obligation garantie. Par conséquent, une garantie autonome n’est pas transmise en cas de scission ou fusion de la société qui en bénéficie[14].
****
La réforme du droit français des sûretés, consacrée par l’ordonnance 2021-1192 du 15 septembre 2021, avec une entrée en vigueur au 1er janvier 2022 poursuit un objectif de simplification et de modernisation du droit français des sûretés[15]. Cela étant, et bien que le régime du cautionnement ait été revu en profondeur par l’ordonnance 2021-1192, il semblerait que les nouveautés induites par la réforme n’aient pas de véritable impact sur le cadre légal applicable aux garanties des engagements des filiales en droit français.
[1] En droit français, les formes sociales suivantes sont à risque illimité : sociétés en nom collectif, société en commandite simple, sociétés civiles
[2] Cass. Com. 8 nov. 2011, n° 10-24.438
[3] En droit français, les formes sociales suivantes sont à risque limité : sociétés anonymes, sociétés par actions simplifiée, sociétés à responsabilité limitée, sociétés en commandite par actions
[4] Pour les SARL : article L.223-18 du Code de commerce ; pour les SA : article L.225-35 du Code de commerce ; pour les SAS : article L.227-6 du Code de commerce
[5] Solutions concernant les SARL: Cass. com., 12 mai 2015, n° 13-28.504 ; Cass. com., 14 févr. 2018, n° 15-24.146 ; Cass. com., 16 oct. 2019, n° 18-19.373; Solutions concernant les SAS: Cass. com., 19 sept. 2018, n° 17-17.600 ; Cass. com., 14 févr. 2018, n° 16-16.013
[6] Cass.com. 11-2-1986; Cass. Com. 15-1-2013
[7] Cass. Com. 25-2-2003
[8] Cass. Com. 15/10/1991; Cass. Com. 15/01/2013 n°11-27.648
[9] Contrôle exclusif au sens de l’article L.233-16, II du Code de commerce
[10] Article L.225-35 alinéa 4 du Code de commerce
[11] Au sens de l’article L.233-16, II (contrôle exclusif)
[12] Cass com 19-2-2013, n°11-28.423
[13] Art. 2321 du Code civil
[14] Cass. Com. 31-1-2017 n°15-19.158
[15] Cf. article intitulé Réforme du droit français des sûretés : simplification et modernisation publié suer notre Blog au mois d’août 2021