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Publié le 1 août 2012 par Soulier Avocats

Google suggest, un outil pouvant orienter l’internaute sur le chemin de la contrefaçon

Dans un arrêt du 12 juillet 2012[1], la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que la fonctionnalité Google suggestions orientant l’internaute vers des sites de téléchargement illégal d’œuvres protégées, offre les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins.

Le moteur de recherches Google ne se contente pas d’orienter, il anticipe, prédit et suggère.

À mesure que l’internaute saisit ses termes de recherche, l’outil d’orientation Google, par le biais d’un algorithme, affiche des requêtes similaires basées sur les activités de recherche les plus courantes des autres internautes. Si l’utilisateur est connecté sur son compte Google, seront également suggérées les requêtes similaires précédemment effectuées par cet internaute.

A titre d’exemple, l’utilisateur souhaitant accéder au site google maps pourra se contenter de saisir la lettre g dans le champ de recherche Google, la fonction saisie semi-automatique du moteur de recherche proposera automatiquement à l’internaute, parmi d’autres suggestions, les mots google maps, google traduction etc. Cette fonction permet de faciliter les recherches en évitant la saisie du mot dans son entier ou encore la saisie d’un mot mal orthographié.

La fonctionnalité Google suggestions propose également des critères de recherche supplémentaire en association au terme saisi, auxquels l’internaute n’aurait pas spontanément pensé.

Par exemple, l’internaute en recherche d’information sur le Président Obama saisissant la requête « Barack Obama », se verra suggérer la requête « Barack Obama twitter », lui permettant d’accéder au compte twitter du Président Obama.

C’est sur cette dernière fonctionnalité que la Haute juridiction s’est penchée pour en sanctionner certaines dérives.

Le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) représente en France des sociétés de l’industrie phonographique et compte parmi ses membres, des producteurs de phonogrammes ainsi que des cessionnaires de droits d’artistes-interprètes.

Le SNEP a fait constater, par voie d’huissier, que la fonctionnalité Google suggestions suggérait systématiquement d’associer à la saisie de requêtes portant sur des noms d’artistes ou sur des titres de chansons ou d’albums les mots-clés « Torrent », « Megaupload » ou « Rapidshare », qui sont pour le premier, un système d’échanges de fichiers et pour les deux autres, des sites d’hébergement de fichiers, offrant la mise à disposition au public et permettant le téléchargement des enregistrements de certains artistes-interprètes.

Le SNEP a demandé aux juges du fond d’ordonner à Google la suppression des termes « Torrent », « Megaupload » et « Rapidshare » des suggestions proposées par le moteur de recherche et, subsidiairement, de leur interdire de proposer sur ledit moteur de recherche des suggestions associant ces termes aux noms d’artistes et/ou aux titres d’albums ou de chansons.

Le SNEP invoquait à l’appui de sa demande l’article L.336-1 du Code de la propriété intellectuelle, issu de la loi Hadopi I du 12 juin 2009, qui dispose que : « En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, (…) des organismes de défense professionnelle visés à l’article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».

La Cour d’Appel de Paris a rejeté les demandes du SNEP, dans un arrêt du 3 mai 2011[2], pour les raisons suivantes :

  • Les sites suggérés ne sont pas en eux-mêmes illicites dès lors que les fichiers figurant sur ces sites ne sont pas tous nécessairement destinés à procéder à des téléchargements illégaux ;
  • La suggestion automatique de ces sites ne peut générer une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin que si l’internaute se rend sur le site suggéré et télécharge un phonogramme protégé ce qui constitue un acte volontaire de l’internaute dont les sociétés Google ne peuvent être déclarées responsables ;
  • La suppression des termes litigieux rend simplement moins facile la recherche de ces sites mais n’est pas de nature à empêcher le téléchargement illégal d’œuvres protégées.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt ainsi rendu au motif que :

« Le service de communication au public en ligne des sociétés Google (…) offrait les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins, et (…) les mesures sollicitées tendaient à prévenir ou à faire cesser cette atteinte par la suppression de l’association automatique des mots-clés avec les termes des requêtes, de la part des sociétés Google qui pouvaient ainsi contribuer à y remédier en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux, sans, pour autant, qu’il y ait lieu d’en attendre une efficacité totale ».

  • Un service offrant les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins :

L’intérêt de l’arrêt ici commenté réside dans la notion de « moyen » développée par la Cour.

Selon la loi Hadopi invoquée par le SNEP, l’intervention des Tribunaux sera justifiée si l’« atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin (est) occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».

La Cour de cassation considère que le service en ligne qui « offre les moyens » d’une telle atteinte, l’ « occasionne ».

La Cour entend ainsi le terme « occasionner » au sens de « donner l’occasion de » ou encore « offrir les moyens de », ce qui permet d’assouplir le lien de causalité entre le contenu du service de communication au public et l’atteinte au droit d’auteur.

L’assimilation reste audacieuse dans la mesure où seul le téléchargement illégal par l’internaute provoque véritablement l’atteinte.

  • Les mesures sollicitées tendent à prévenir ou à faire cesser les atteintes aux droits des auteurs ou aux droits voisins, sans, pour autant, qu’il y ait lieu d’en attendre une efficacité totale :

Statuant sur la constitutionnalité de l’article L.336-1 du Code de la propriété intellectuelle, le Conseil constitutionnel avait considéré :

« qu’en permettant aux titulaires du droit d’auteur ou de droits voisins, (…), de demander que le tribunal de grande instance ordonne, à l’issue d’une procédure contradictoire, les mesures nécessaires pour prévenir ou faire cesser une atteinte à leurs droits, le législateur n’a pas méconnu la liberté d’expression et de communication ; qu’il appartiendra à la juridiction saisie de ne prononcer, dans le respect de cette liberté, que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause ; que, sous cette réserve, l’article 10 n’est pas contraire à la Constitution »[3].

Les mesures sollicitées par le SNEP au titre de l’article L.336-1 du Code de la propriété intellectuelle doivent donc être ordonnées sielles sont strictement nécessaires à la préservation des droits en cause.

Lucide quant à l’efficacité limitée des mesures sollicitées, qui n’ont pas pour effet de faire cesser les atteintes, la Cour de cassation n’en écarte pas pour autant l’application, considérant qu’elles tendent à prévenir ces atteintes, en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux.

La Cour de cassation adopte une interprétation extensive de l’article L.336-1 du Code de la propriété intellectuelle qui octroie aux Tribunaux la possibilité d’ordonner « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin ».

La suppression de l’association automatique des mots-clés est-elle véritablement de nature à prévenir le téléchargement illégal d’œuvres protégées ?

Il est douteux que l’internaute en quête de téléchargement illégal ait véritablement besoin des suggestions Google pour parvenir à ses fins.

Il est à noter enfin que la mesure visée par la Cour consiste en la suppression de l’association automatique des mots-clés avec les termes des requêtes (nom d’album, d’artiste ou de chanson) et non pas la suppression des termes « Torrent », « Megaupload » et « Rapidshare » des suggestions proposées par le moteur de recherche Google – mesure sollicitée à titre principal par le SNEP.

En effet, imposer la suppression pure et simple des termes litigieux des suggestions Google, serait contraire au principe de proportionnalité rappelé par la Cour dans un arrêt du même jour mettant en cause le moteur de recherche Google image[4].

La Cour a rappelé à cette occasion que les sociétés Google ne pouvaient être soumises « à une obligation générale de surveillance des images qu’elles stockent et de recherche des reproductions illicites (consistant) à leur prescrire, de manière disproportionnée par rapport au but poursuivi, la mise en place d’un dispositif de blocage sans limitation dans le temps ».

Il est ainsi fortement suggéré au moteur de recherche Google de ne plus indiquer le chemin de la contrefaçon, quand celui-ci n’est pas directement sollicité, sans qu’il lui soit toutefois imparti une obligation générale de surveillance.

 


 [1] Cass. civ 1., 12 juillet 2012, n°11-20358

[2] CA Paris, 3 mai 2011, n°10/19845, Gaz. Pal., 15 oct. 2011, p. 35

[3] Cons. Const., 10 juin 2009, n°2009-580

[4] Cass. civ 1., 12 juillet 2012, n°11-15165