Inopposabilité des conditions générales qui n’ont pas été acceptées
Par arrêt du 3 mai 2016[1], la Cour d’Appel de Versailles donne une nouvelle illustration d’une jurisprudence établie de longue date selon laquelle les conditions générales d’une partie n’entrent dans le champ contractuel que si elles ont été acceptées, au moment de la formation du contrat, par celui à qui l’on entend les opposer.
Cet arrêt n’est pas sans rappeler une décision analogue de la Cour d’Appel de Versailles du 5 janvier 2016[2], où nous intervenions en tant que conseil de celui à qui l’on a tenté d’opposer une clause attributive de compétence stipulée dans ses propres conditions générales d’achat.
Ces deux décisions de la Cour d’Appel de Versailles, toutes deux publiées par l’éditeur LexisNexis, nous apportent différents enseignements tout en rappelant les principes fondamentaux du droit des contrats.
Arrêt du 3 mai 2016 de la Cour d’Appel de Versailles
La société ALTITUDE TÉLÉCOM était un fournisseur de solutions télécom pour les entreprises.
La société ITS INTEGRA propose quant à elle des solutions d’hébergement et d’infogérance à ses clients. Dans le cadre de son activité, elle a souscrit auprès de la société ALTITUDE TÉLÉCOM, le 25 mars 2011, un contrat d’hébergement, portant entre autres sur la mise à disposition d’un box privatif et la fourniture d’un accès à internet, assorti d’une durée minimale d’engagement de trois années.
La société ITS INTEGRA a adressé à la société COMPLETEL venant aux droits de la société ALTITUDE TÉLÉCOM, le 10 juillet 2012, un courrier lui annonçant sa volonté de résilier les services d’hébergement et les services associés, lui reprochant un manquement à son obligation de conseil et d’assistance.
La société COMPLETEL a saisi le Tribunal de commerce de Nanterre pour contester cette résiliation du contrat.
A l’appui de son assignation, la société COMPLETEL soutenait que la résiliation anticipée du contrat n’était pas conforme aux conditions de résiliation telles qu’énoncées par ses conditions générales de vente, le préavis de trois mois requis par leur article 14.1.1 n’ayant pas été respecté, et réclamait à ce titre la pénalité prévue à l’article 14.1.3 de ces mêmes conditions générales.
Pour affirmer que la société ITS INTEGRA avait nécessairement eu connaissance des conditions générales, la société COMPLETEL s’appuyait sur la rubrique Définitions du contrat, laquelle stipulait : « En complément des définitions des Conditions Générales de Vente et des Conditions Particulières Hébergement, les termes suivants utilisés dans les présentes conditions particulières auront la signification qui suit (…) ».
Pour juger les conditions générales produites par la société COMPLETEL inopposables à la société ITS INTEGRA, la Cour d’Appel de Versailles a au contraire retenu que :
« Ces conditions générales, qui ne sont ni signées, ni paraphées par la société ITS INTEGRA, ne sont évoquées que de manière tout à fait accessoire dans le contrat, qui ne précise à aucun moment qu’elles lui ont été remises, qu’elle en a pris connaissance, qu’elle les a acceptées et qu’elles font ainsi partie intégrante de la relation contractuelle, peu important à cet égard la prétendue qualité de professionnelle avertie de cette société. »
A l’appui de son arrêt du 3 mai 2016, la Cour rappelle ainsi que :
- Pour que des conditions générales soient opposables, la preuve de leur connaissance et de leur acceptation doit être rapportée, ce qui sera notamment le cas si les conditions générales sont signées et nullement le cas si le contrat principal ne fait qu’« évoquer de manière tout à fait accessoire» les conditions générales ;
- La qualité de professionnel averti de celui à qui l’on tente d’opposer les conditions générales est indifférente.
Arrêt du 5 janvier 2016 de la Cour d’Appel de Versailles
Dans cette affaire, nous représentions l’acheteur d’un outil industriel à qui l’on tentait d’opposer la clause attributive de compétence insérée dans ses conditions générales d’achat en vigueur à l’époque du contrat de vente de l’outil litigieux.
Le vendeur soutenait avoir accepté les conditions générales d’achat de l’acheteur lors de la formation du contrat ce qui les rendait opposables à l’acheteur.
Ce cas était singulier dans la mesure où le vendeur tentait de se prévaloir non pas de ses conditions générales de vente mais des conditions générales d’achat de l’acheteur.
L’acheteur que nous représentions rétorquait qu’au contraire, ne les ayant nullement acceptées, le vendeur ne pouvait se prévaloir des conditions générales d’achat pour déroger aux règles de droit commun de compétence des tribunaux telles qu’édictées aux articles 42 et 46 du Code de procédure civile.
Les instruments contractuels étaient nombreux et contradictoires.
Tout d’abord, un devis du vendeur du 7 février 2001 indiquait qu’une éventuelle commande serait exécutée selon ses conditions générales de vente qui sont réputées connues de l’acheteur.
Puis la commande du 17 mai 2001 de l’acheteur mentionnait au début de la commande que celle-ci était passée « selon conditions générales d’achat ».
Lesdites conditions générales d’achat précisent qu’elles « font partie intégrante de la commande passée par l’acheteur (la société) à une entreprise ( le fournisseur), que leur acceptation est une condition essentielle de la formation de la commande, qu’elles prévalent sur les conditions de vente du fournisseur », et mentionnent dans l’article 20 que « toutes les difficultés ou litiges intervenus entre la société et le fournisseur à l’occasion de l’interprétation ou de l’exécution de la commande ou de ses suites sont de la compétence des tribunaux de Nanterre ».
Enfin, l’accusé réception de la commande, le 28 mai 2001, indique en caractères, certes petits mais lisibles en bas du document, que « la commande visée par le présent document est régie par les conditions générales de vente (…), qui ont été adressées par le devis référencé et que vous avez acceptées du fait de votre présente commande et dont extrait figure au verso du présent document ».
Le vendeur soutenait que seule les conditions générales d’achat étaient applicables et que celles-ci avaient été acceptées notamment lors de la saisine ultérieure du Tribunal de commerce de Nanterre aux fins d’expertise en application de la clause attributive de compétence qu’elles contenaient.
L’acheteur que nous représentions soutenait au contraire que ni ses conditions générales d’achat, ni les conditions générales de vente du vendeur étaient applicables, dès lors que le vendeur n’avait pas accepté les conditions générales d’achat de l’acheteur qui quant à lui n’avait nullement accepté les conditions générales de vente du vendeur.
C’est cette dernière thèse qui a été adoptée par la Cour d’Appel de Versailles qui a retenu, à l’appui de son arrêt du 5 janvier 2016, que :
- Le renvoi aux conditions générales de vente dans l’accusé de commande du vendeur ne peut s’analyser comme « une clause de style comme allégué par le vendeur » ;
- La connaissance et l’acceptation des conditions générales doit avoir lieu au moment de la formation du contrat, peu importe donc que le vendeur ait pu manifester après la formation du contrat sa volonté d’être lié par les conditions générales de l’acheteur ;
- la commande de l’acheteur du 17 mai 2001 et l’accusé réception de cette commande par le vendeur, le 28 mai 2001, comportent des clauses attributives de compétences contraires, que celles-ci ne peuvent dès lors trouver à s’appliquer en l’absence de tout accord des parties sur l’acceptation de l’une ou l’autre de ces clauses.
La Cour a ainsi rappelé la jurisprudence rendue au visa de l’article 48 du Code de procédure civile selon laquelle la clause attributive de compétence qui déroge aux règles de compétences territoriales « n’est opposable qu’à la partie qui en a eu connaissance et l’a acceptée au moment de la formation du contrat »[3].
C’est dans la droite lignée de cette jurisprudence et dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation qu’une cour d’appel a également estimé qu’une clause attributive de compétence figurant sur des imprimés non signés portant conditions générales de vente n’avait pas été acceptée[4].
La Cour a enfin rappelé que les clauses inconciliables figurant sur les instruments contractuels respectifs des parties s’annulent mutuellement et la compétence se détermine par application de l’article 42 et 46 du code de procédure civile[5].
EN PRATIQUE
Pour rendre ses conditions générales opposables, il est recommandé, quand bien il s’agit d’un contrat conclu entre professionnels, de constituer la preuve de la connaissance et de l’acceptation des conditions générales d’achat ou de vente par son cocontractant au moment de la formation du contrat.
Une telle preuve sera établie :
- si les conditions générales sont expressément annexées au contrat principal,
- si les conditions générales sont signées et paraphées par celui à qui l’on souhaite les opposer,
- s’il n’existe aucun document de nature contractuel renvoyant à des conditions générales distinctes et dont les termes sont contradictoires etc.
L’impact de la réforme du droit des contrats
Suite à la publication de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, les dispositions relatives à l’opposabilité des conditions générales seront régies, à compter du 1er octobre 2016, par l’article 1119 du Code civil reproduit ci-après.
« Art. 1119.-Les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées.
En cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet.
En cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières. »
Le nouvel article 1119 du Code civil ne viendra donc pas changer l’état de la jurisprudence précitée.
[1] CA VERSAILLES 3 mai 2016 RG 15/02478
[2] CA VERSAILLES 5 janvier 2016 RG 15/03359
[3] Com. 28 février 1983, n°78-10813
[4] Com. 4 octobre 1988, n°86-18648
[5] Cass. com., 20 nov. 1984, n°83-15956 et Civ. 1ère, 28 mars 1995, N°93-13.237