La campagne présidentielle d’Eric ZEMMOUR : une annonce qui sort du cadre, certes, mais du cadre légal aussi
Voici un clip de campagne présidentielle qui a fait le buzz. En voulant montrer la France, son histoire, son savoir et sa culture, Eric ZEMMOUR a illustré son propos de moults images et ce sans aucune autorisation des titulaires des droits sur les œuvres citées. Pouvait-il se prévaloir de l’exception de courte citation ou encore de la liberté d’expression pour faire échec au droit d’auteur ?
Pour le Tribunal judiciaire de Paris, la réponse est non ; les ayants droits doivent être dédommagés et le clip retiré. Mais les juges n’auraient-ils pas pu écarter toute contrefaçon au motif que les très brefs passages litigieux n’étaient qu’accessoires au discours politique ?
Le candidat à l’élection présidentielle a voulu faire original. L’annonce de sa candidature sous forme de vidéo a quelque peu emprunté à l’image du Général de Gaulle, un texte déclamé, sur un ton grave, avec la France à l’honneur. Mais pas seulement… Ses « emprunts » se succèdent sur fond de 7ème symphonie de Beethoven ; le journal Le Monde les aurait quantifiés à hauteur de 114, pas moins. Images de personnalités publiques de tous horizons, extraits de films, scènes de rue, les illustrations défilent au rythme des paroles.
Certaines des personnes citées ou montrées à l’écran à titre de fond visuel des propos du candidat ne s’en sont pas émues. D’autres, en revanche, comme les ayants-droits des films « Un singe en hiver », « Quai des brumes » et « Jeanne d’Arc », ainsi que du documentaire « Louis Pasteur portrait d’un visionnaire », ont décidé de saisir la justice.
Leurs mises en demeure respectives de mettre un terme immédiat à toute exploitation des extraits de ces œuvres audiovisuelles, adressées en novembre 2021, étaient en effet restées lettres mortes. N’entendant pas laisser perdurer la diffusion de la vidéo « je suis candidat à l’élection présidentielle » sur Internet, ils ont demandé à être autorisés à agir à jour fixe, une procédure judiciaire d’urgence. Ce choix procédural leur a permis de plaider le 27 janvier 2022 et qu’un jugement soit rendu le 4 mars dernier[1], sans qu’il s’agisse pour autant d’un simple référé, l’affaire étant tranchée au fond.
Ont ainsi été assignés en contrefaçon non seulement Monsieur Eric ZEMMOUR et son association RECONQUETE ! (anciennement LES AMIS D’ERIC ZEMMOUR), éditrice du site Internet « zemmour22.fr » mais aussi le réservataire du site internet « lesamisdericzemmour.fr », du fait de la diffusion de la vidéo litigieuse sur les sites précités, sur Facebook et sur les plateformes YouTube et Dailymotion.
Les nombreux demandeurs étaient notamment composés des sociétés de production GAUMONT et EUROPACORP, ainsi que par des co-auteurs des films susvisés ou leurs héritiers.
Ils avaient pour demandes de faire juger que la reprise non autorisée d’extraits de ces films était constitutive de contrefaçon. Ils sollicitaient en conséquence que soient ordonnées leur suppression de la vidéo litigieuse sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard et la publication d’un communiqué. Ils demandaient en outre l’allocation à leur profit de dommages et intérêts et de frais irrépétibles, devant respectivement réparer le préjudice subi et compenser les frais de procédure engagés.
En matière de contrefaçon, il faut distinguer les droits patrimoniaux qui sont détenus par les producteurs des œuvres audiovisuelles concernées (par voie de cession de la part des auteurs) et le droit moral qui reste détenu par les co-auteurs de celles-ci, lequel est incessible mais se transmet aux héritiers.
La diffusion non autorisée d’images viole le droit d’auteur y afférent en son élément patrimonial (atteinte aux droits de représentation et reproduction suivant la forme d’exploitation en cause). Mais elle peut également violer le droit moral des auteurs, s’agissant ici du non-respect de leur droit de paternité (défaut de mention du nom de l’auteur) et de l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre (détournement de la destination du film qui n’est pas censé illustrer une campagne électorale).
Sur la contrefaçon, les défendeurs ont excipé de l’exception de courte citation et ont brandi la liberté d’expression.
Or le premier argument ne fonctionne pas et ce à plusieurs égards.
Certes, il est tentant car les extraits litigieux sont effectivement de courte durée. Pour autant, ce critère est insuffisant :
« les extraits utilisés, bien que suffisamment brefs puisqu’ils ne durent chacun, que quelques secondes alors qu’ils sont issus de longs métrages, ne peuvent toutefois être considérés comme justifiés par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de la vidéo litigieuse ».
Le Tribunal a en effet relevé qu’ils ne constituent qu’une illustration, un fond visuel, à un discours politique. Le juge s’est référé au contenu de ce discours pour exclure toute polémique ou information au sens où les images litigieuses ne servent pas une argumentation, ne permettent pas « d’approfondir une analyse » et « ne visent donc nullement un but exclusif d’information immédiate en relation directe avec les œuvres dont ils sont issus ». En clair, les œuvres reproduites ne sont pas le sujet du discours du candidat, elles ne font qu’illustrer certains mots ou références, comme « Jeanne d’Arc » par exemple. La seule information est la candidature de Monsieur Eric ZEMMOUR à l’élection présidentielle.
De plus, l’exception de courte citation ne peut jouer que si le nom des auteurs est indiqué. Or ce n’était pas le cas ici, puisque seul était accessible un lien sur les plateformes renvoyant vers le titre du film et le nom du titulaire de la chaîne YouTube dont les extraits étaient issus. Cette seule référence ne respecte pas les exigences légales en la matière.
Le Tribunal a tout autant rejeté l’argument fondé sur la liberté d’expression, certes consacrée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) mais qui se trouve elle-même limitée par le nécessaire « respect des autres droits fondamentaux tels que le droit de propriété, dont découle le droit d’auteur ».
Pour autant, on ne saurait tirer de cette affirmation que le droit d’auteur est supérieur à la liberté d’expression, le jugement ici commenté s’inscrivant dans la droite ligne de la Cour de cassation[2] en indiquant qu’il « convient alors d’opérer une balance des intérêts entre les différents droits et libertés fondamentaux, et partant, au cas d’espèce, entre le droit d’auteur et la liberté d’expression ».
Pour tendre vers cet équilibre périlleux, sujet à une libre et subjective interprétation, les juges s’appuient ici sur la nécessité des « emprunts » litigieux pour illustrer le discours politique du candidat et cette approche de l’interchangeabilité des images condamne indubitablement ce dernier. En effet, « d’autres extraits ou images libres de droits auraient pu être tout aussi efficacement utilisés pour illustrer son propos » et « la suppression des extraits litigieux n’entraînerait aucune modification du propos d’Eric ZEMMOUR ».
Plus concrètement, une image libre de droit ou autorisée de Jeanne d’Arc aurait pu tout à fait être reproduite au sein de la vidéo à la place de l’extrait du film du même nom, d’autant que c’était bien le personnage historique qui était cité par le candidat et non pas celui du film ni le film lui-même.
En conséquence, il n’y a pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et les défendeurs ont agi avec une légèreté ici sanctionnée, dans la mesure où il ne ressort pas du jugement une quelconque justification du choix opéré s’agissant des extraits utilisés.
Il est cependant étonnant que la théorie de l’accessoire n’ait pas été évoquée. En effet, eu égard à la brièveté des extraits reproduits et au nombre total d’images utilisées au sein de la vidéo, dont le Tribunal admet qu’il s’agit de simples illustrations, il aurait pu être soutenu que les extraits litigieux n’étaient donc qu’accessoires au sujet principal, reconnu comme étant l’annonce de la candidature à l’élection présidentielle.
Rappelons à cet égard les termes de l’arrêt de principe rendu par la Cour de Cassation en la matière, à propos de l’aménagement de la Place des Terreaux[3] :
« Mais attendu qu’ayant relevé que, telle que figurant dans les vues en cause, l’œuvre de MM. X… et Y… se fondait dans l’ensemble architectural de la place des Terreaux dont elle constituait un simple élément, la cour d’appel en a exactement déduit qu’une telle présentation de l’œuvre litigieuse était accessoire au sujet traité, résidant dans la représentation de la place, de sorte qu’elle ne réalisait pas la communication de cette œuvre au public ».
En matière audiovisuelle, la même Cour[4] a exclu toute contrefaçon d’une méthode de lecture utilisée en classe au sein du film « Être et avoir ».
Elle a considéré qu’il s’agissait d’une inclusion fortuite, s’agissant de brèves séquences, bien que sur 22 plans et en plein écran ; l’œuvre en question n’étant pas reproduite pour elle-même.
Dans notre cas, s’il avait été saisi d’un tel argument, le juge aurait dû apprécier si l’œuvre tierce avait été incluse pour elle-même. C’est a priori douteux au moins pour Jeanne d’Arc et Pasteur qui sont simplement cités en tant qu’illustres personnages.
Quant au droit moral, le seul défaut de mention du nom des auteurs a ici suffi à caractériser la violation de leur droit de paternité.
Sur l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre, le Tribunal a rappelé que l’exploitation des œuvres objet de la contrefaçon sous forme d’extraits ne constituait pas en tant que tel une atteinte au droit moral. Il convient alors de démontrer en quoi l’utilisation litigieuse a dénaturé l’œuvre première. En l’espèce, cette dénaturation est caractérisée du fait du détournement des œuvres contrefaites de leur finalité première « qui est de distraire ou d’informer » pour être exploitées à des fins politiques.
En conséquence, les demandeurs ont été jugés bien fondés à réclamer la réparation de leurs préjudices respectifs qui peuvent être évalués suivant différentes méthodes, les juges prenant en compte distinctement :
- les conséquences économiques négatives de l’atteinte dénoncée (gain manqué et perte subie notamment),
- le préjudice moral,
- les bénéfices réalisés par le contrefacteur.
A titre alternatif, le juge peut allouer à titre de dommages et intérêts une enveloppe forfaitaire supérieure à la redevance qui aurait été due (en sus du préjudice moral).
C’est cette dernière méthode qui a été ici retenue. Il en coûtera donc aux défendeurs, in solidum, la somme globale de 50.000 euros en réparation du préjudice causé, outre 20.000 euros au titre de l’article 700 du CPC (pour couvrir les frais d’avocat).
Et le Tribunal a également ordonné la cessation de la diffusion de la vidéo litigieuse qui ne serait pas expurgée des extraits des œuvres ainsi contrefaites, sous astreinte. A ce jour, la vidéo en question n’est plus accessible sur les plateformes (en cas tout cas en France).
Quant à la demande de publication judiciaire, le Tribunal ne l’a pas jugée nécessaire compte tenu de la médiatisation de l’affaire. La question pourra alors se poser de la latitude laissée aux demandeurs de communiquer eux-mêmes sur la décision rendue, dès lors qu’ils en assument les frais. En effet, si l’on ne peut contraindre les défendeurs à publier quoi que ce soit sur leurs sites et réseaux sociaux, les ayants droits des auteurs des œuvres contrefaites pourraient-ils procéder à la publication payante d’un communiqué sans prendre un risque judiciaire ? Le principe de publicité des débats devrait le permettre mais les tribunaux veillent néanmoins à empêcher tout abus de droit en la matière.
La presse se fait l’écho de ce qu’un appel aurait été formé à l’encontre de cette condamnation. Celle-ci n’en est pas moins, dans l’attente, exécutoire de droit. A suivre donc…
[1] Tribunal judiciaire de Paris, 3e Chambre 2e Section, 4 mars 2022, RG 22/00034
[2] Cour de cassation, Chambre civile 1, 15 mai 2015, 13-27.391 : cassation au visa de l’article 10, alinéa 2, de la CEDH, pour n’avoir pas « expliqué de façon concrète en quoi la recherche d’un juste équilibre entre les droits en présence commandait la condamnation qu’elle prononçait »
[3] Cour de Cassation, Chambre civile 1, 15 mars 2005, pourvoi N°03-14.820
[4] Cour de Cassation, Chambre civile 1, 12 mai 2011, pourvoi N°08-20.651