La Commission européenne propose des règles plus strictes pour lutter contre la corruption dans l’UE et dans le monde
Le 3 mai dernier, la Commission européenne a présenté un train de mesures constituant une étape importante dans la lutte contre la corruption au niveau de l’Union européenne et des États membres.
Les mesures proposées ont pour objet de prévenir la corruption et d’instaurer une culture de l’intégrité, érigent en infraction pénale tous les délits couverts par la Convention des Nations Unies contre la Corruption et harmonisent les sanctions dans l’ensemble de l’Union européenne. Elles visent à établir un régime de sanctions spécifique dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune ayant pour but de cibler les actes graves de corruption dans le monde.Les indices mondiaux de corruption placent de nombreux États membres de l’Union européenne (« UE ») parmi les pays considérés comme les moins corrompus au monde.
Toutefois, la corruption reste un sujet de préoccupation important pour l’ensemble des citoyens et des instances européennes car elle porte gravement atteinte à nos démocraties et à nos économies, sape nos institutions, affaiblit leur crédibilité, et joue un rôle de catalyseur de la criminalité organisée et d’ingérences étrangères hostiles.
Selon certaines estimations, la corruption coûterait au moins 120 milliards d’euros par an à l’économie de l’UE. Ses effets négatifs mettent à mal les efforts déployés pour instaurer la bonne gouvernance et la prospérité ainsi que pour atteindre les objectifs de développement durable des Nations Unies.
C’est dans ce contexte que la Présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, avait souligné dans son discours sur l’état de l’Union de 2022[1] la nécessité de prendre des mesures décisives contre la corruption, et s’était engagée à agir pour une modernisation du cadre législatif européen de lutte contre la corruption.
Le train de mesures présenté le 3 mai dernier vient concrétiser cet engagement. Il consiste en :
- une communication sur la lutte contre la corruption dans l’UE[2],
- une proposition de directive relative à la lutte contre la corruption au moyen du droit pénal[3], et
- une proposition du Haut Représentant[4], soutenue par la Commission, visant à établir un régime de sanctions spécifique dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune.
Communication sur la lutte contre la corruption dans l’UE
La communication donne un aperçu du cadre de lutte contre la corruption au niveau de l’UE et de la façon dont pourrait être davantage intégrer la lutte contre la corruption dans l’élaboration des politiques de l’Union.
Elle expose les efforts déployés par l’UE pour contribuer à la prévention, à la détection et à la lutte contre la corruption.
Les axes de travail définis dans cette communication représentent un engagement fort de l’UE à intensifier ses efforts pour lutter contre la corruption et pour œuvrer à l’élaboration d’une approche stratégique globale au moyen d’une stratégie anticorruption européenne.
L’une des premières étapes dans ce processus consistera à mettre en place un « réseau européen de lutte contre la corruption » destiné à servir de catalyseur pour la prévention de la corruption dans l’ensemble de l’UE.
Ce réseau devra élaborer des bonnes pratiques et des orientations pragmatiques dans divers domaines d’intérêt commun. Il soutiendra également une collecte plus systématique de données et d’éléments de preuve pouvant servir de base solide aux actions de lutte contre la corruption et au suivi de la réussite de ces actions.
Il s’appuiera sur l’expérience acquise en travaillant avec les services répressifs et les autorités publiques, et réunira toutes les parties prenantes concernées, y compris les praticiens, les experts et les chercheurs, ainsi que des représentants de la société civile et des organisations internationales.
L’une de ses premières tâches sera de cartographier les zones à haut risque communes d’ici à 2024.
Les travaux de ce réseau alimenteront une stratégie anticorruption au niveau de l’UE, qui sera élaborée en consultation avec le Parlement européen et le Conseil, afin de maximiser l’impact et la cohérence des actions entreprises au niveau communautaire.
La communication détaille également les règles en matière d’éthique, d’intégrité et de transparence mises en place pour prévenir la corruption au sein des institutions de l’UE et insiste sur le fait que ce cadre doit être appliqué avec rigueur et cohérence, et actualisé en permanence.
Proposition de Directive relative à la lutte contre la corruption au moyen du droit pénal
La législation pénale dont dispose actuellement l’UE pour lutter contre la corruption est fragmentée et de portée limitée, de sorte que les types d’infractions de corruption et les sanctions appliquées varient considérablement d’un État membre à l’autre.
Les dispositions de droit pénal visant à lutter contre la corruption ne sont harmonisées que dans une mesure limitée et ne couvrent que le versement de pots-de-vin. D’autres infractions de corruption, telles que le détournement ou le trafic d’influence, ne font pas encore l’objet d’un rapprochement. De plus, les différences entre les législations nationales amoindrissent l’efficacité de la lutte contre la corruption, en particulier dans les affaires transfrontières, lesquelles ne cessent de croître.
La proposition de Directive vise donc à mettre à jour le cadre existant de l’UE en matière de lutte contre la corruption selon les axes suivants.
Prévenir la corruption et instaurer une culture de l’intégrité
La proposition de Directive impose aux États membres de mener des campagnes d’information et de sensibilisation, de mettre en œuvre des programmes de recherche et d’éducation, et de prendre des mesures pour sensibiliser le public à la dangerosité de la corruption, y compris en encourageant la société civile et les organisations de terrain à participer aux efforts de lutte contre la corruption.
Elle leur demande de veiller à ce que des outils de prévention essentiels soient en place, notamment des règles efficaces en matière d’accès à l’information, de divulgation et de gestion des conflits d’intérêts dans le secteur public, de divulgation et de vérification des avoirs des fonctionnaires, ainsi que des dispositions régissant les interactions entre le secteur privé et le secteur public.
Elle oblige les États membres à garantir le degré le plus élevé de transparence et de responsabilisation dans l’administration publique et le processus décisionnel public ainsi qu’à mettre en place des organes anti-corruption spécialisés et garantir des ressources et une formation adéquates aux autorités chargées de la prévention et de la lutte contre la corruption.
Un seul acte juridique pour tous les délits de corruption et toutes les sanctions
La proposition de Directive vise à mettre à jour et à harmoniser les règles de l’UE relatives aux définitions et aux sanctions applicables aux infractions de corruption afin de garantir la mise en place de normes élevées et assurer une meilleure application de la législation.
Elle intègre tous les délits couverts par la convention des Nations Unies[5] contre la corruption dans le droit de l’UE et étend ainsi la liste des infractions de corruption de l’UE, à titre d’exemples, au détournement, au trafic d’influence, à l’abus de fonctions, ainsi qu’à l’obstruction à la justice et à l’enrichissement illicite lié aux délits de corruption, au-delà des délits de corruption plus classiques.
Pour la première fois au niveau de l’UE, la proposition de Directive regroupe les dispositions anti-corruption tant pour le secteur public que pour le secteur privé dans un seul et même acte juridique.
Afin de remédier aux différences importantes existant entre les législations des États membres en matière de sanction, la proposition de Directive définit des niveaux de sanction cohérents et fixe le niveau minimum de la peine maximale des infractions de corruption. A titre d’exemple, le trafic d’influence, l’abus de fonction et le détournement devront être passibles d’une peine d’emprisonnement maximale d’au minimum six ans, alors d’actuellement, les sanctions maximales pour l’infraction de détournement vont de 3 mois en Espagne à 15 ans en Grèce.
Enfin, la proposition de Directive définit des circonstances aggravantes et atténuantes. Des circonstances aggravantes pourraient s’appliquer, par exemple, lorsque l’auteur de l’infraction est un haut fonctionnaire ou est responsable de l’application de la loi. A l’inverse, les circonstances atténuantes pourraient inclure les situations dans lesquelles l’auteur de l’infraction coopère avec la justice en dénonçant ses complices et/ou autres auteurs de l’infraction poursuivie.
Assurer l’efficacité des enquêtes et des poursuites dans les affaires de corruption
La proposition de Directive impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires afin notamment de :
- mettre à la disposition des personnes, unités ou services chargés des enquêtes ou des poursuites concernant les infractions pénales de corruption des outils d’enquête efficaces, tels que ceux qui sont utilisés dans la lutte contre la criminalité organisée ou d’autres formes graves de criminalité ;
- lever, au moyen d’une procédure efficace et transparente préalablement établie par la loi, fondée sur des critères clairs et conclue dans un délai raisonnable, l’immunité ou les privilèges en matière d’enquête et de poursuites accordés en vertu du droit national pour les infractions de corruption ;
- faire en sorte que les personnes physiques et morales déclarées responsables d’infractions de corruption soient passibles de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives.
Elle fixe également la durée minimale des délais de prescription entre huit et quinze ans, en fonction de la gravité de l’infraction de corruption, dans le but de permettre de détecter ces infractions, de mener des enquêtes et poursuites et de prendre des décisions de justice en la matière pendant une période suffisamment longue après leur perpétration.
Proposition du Haut Représentant visant à établir un régime de sanctions spécifique dans le cadre de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune
La Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC) de l’UE vise à maintenir la paix et renforcer la sécurité internationale, conformément aux principes de la charte des Nations Unies.
La Commission européenne utilise le budget de la PESC pour répondre rapidement et de manière agile aux conflits et aux crises extérieures, pour renforcer les capacités des pays partenaires et pour protéger l’UE et ses citoyens.
La proposition du Haut Représentant vise à compléter la panoplie de mesures restrictives (sanctions) relevant de la PESC par un régime de sanctions spécifique pour cibler les actes graves de corruption dans le monde entier.
Les sanctions prises par l’UE contribuent à la réalisation des principaux objectifs de la PESC, qui consistent notamment à préserver la paix, à renforcer la sécurité internationale, à soutenir et conforter la démocratie, le droit international et le respect des droits de l’homme.
Actuellement, l’UE dispose de cadres visant la corruption en dehors de l’UE dans seulement deux pays tiers.
Grâce à la proposition du Haut Représentant, l’UE sera en capacité de cibler les actes de corruption graves dans le monde entier, où qu’ils se produisent.
En termes concrets, ce nouveau cadre permettra à l’Union d’adopter des mesures restrictives lorsque des actes de corruption portent gravement atteinte ou risquent de porter gravement atteinte aux objectifs de la PESC.
Par exemple, la corruption passive ou active d’un fonctionnaire ou le détournement ou l’appropriation frauduleuse de biens par un fonctionnaire, y compris le blanchiment des produits de ces actes, pourraient constituer de graves actes de corruption, en particulier dans un pays qui figure sur la liste de l’UE comme pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales, ou dans un pays dont les dispositifs nationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme présentent des carences stratégiques qui font peser une menace significative sur le système financier de l’UE.
Pour reprendre les termes de Josep Borrell, Haut Représentant, lors de la présentation du train de mesures anti-corruption le 3 mai dernier :
« le nouveau régime de sanctions PESC (…) est une preuve manifeste de notre détermination à intensifier notre action en matière de prévention et de lutte contre la corruption, tant au sein de l’UE qu’au-delà, et à utiliser tous nos instruments à cette fin. Notre message est clair : l’Union n’accepte pas de traiter avec ceux qui se livrent à la corruption, où que ce soit ».
[1] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/SPEECH_22_5493
[2] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52023JC0012
[3] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52023PC0234
[4] Le Haut Représentant (« HR ») de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité élabore et mène la politique étrangère et de sécurité commune (« PESC ») de l’Union européenne, notamment la politique de sécurité et de défense commune, préside le Conseil des Affaires étrangères, dirige l’Agence européenne de défense, et assume l’un des postes de vice-président de la Commission européenne.
[5] https://www.unodc.org/documents/treaties/UNCAC/Publications/Convention/08-50027_F.pdf