La prestation compensatoire et le devoir de secours : « divorce » jurisprudentiel de deux concepts juridiques
Un arrêt récent de la Cour de cassation vient apporter une précision quant aux critères d’appréciation de la disparité dans les conditions de vie respectives des époux en matière de prestation compensatoire.
L’avantage accordé à l’un des époux durant la procédure de divorce au titre du devoir de secours ne doit pas être pris en considération pour rejeter une demande de prestation compensatoire.
Dans un arrêt récent du 13 avril 2022[1], la première Chambre civile de la Cour de cassation a rappelé un principe en matière de fixation de prestation compensatoire, en considérant que « le juge ne peut prendre en considération, pour apprécier le droit d’un époux à prestation compensatoire, l’avantage constitué par la jouissance gratuite du domicile conjugal, accordé, au titre du devoir de secours, à l’époux qui demande une prestation compensatoire ».
La prestation compensatoire, prévue par les articles 270 et suivants du Code civil, a pour vocation de compenser la disparité créée par la rupture du mariage dans les conditions de vie respectives des époux.
A titre liminaire, il convient de rappeler que la prestation compensatoire ne concerne que les couples mariés, et qu’une telle demande ne peut donc être formulée qu’à l’occasion d’une procédure de divorce.
Toute demande ultérieure serait en outre déclarée irrecevable.
La liste des critères énoncés aux termes de l’article 271 du Code civil, permettant de fixer la prestation compensatoire, n’est pas exhaustive.
Par voie de conséquence, la jurisprudence nous éclaire sur les critères à retenir pour apprécier la disparité dans les conditions de vie des époux.
A cet effet, la première Chambre civile de la Cour de cassation a jugé que les avantages accordés à un époux durant la procédure de divorce ne doivent pas être pris en compte dans la fixation de la prestation compensatoire.
En l’espèce, la Cour d’appel de Paris avait rejeté la demande de prestation compensatoire de l’épouse considérant que cette dernière avait bénéficié, au titre du devoir de secours, de la jouissance gratuite du domicile conjugal pendant la procédure de divorce, soit durant 7 ans.
Il convient de préciser que le devoir de secours et la prestation compensatoire n’ont pas la même finalité.
Dans le cadre de la procédure de divorce, le Juge aux Affaires Familiales peut fixer des mesures provisoires au titre du devoir de secours, en prenant en considération l’état de besoin de l’époux demandeur.
Ce devoir de secours peut s’illustrer notamment par le versement d’une pension alimentaire à l’un des époux, et /ou l’attribution de la jouissance gratuite du domicile conjugal.
Lorsque le divorce est définitif, les mesures fixées au titre du devoir de secours prennent fin.
Dans le cadre du prononcé du divorce, le Juge aux Affaires Familiales fixe la prestation compensatoire, laquelle revêt un caractère alimentaire, mais également un caractère indemnitaire.
C’est dans ces conditions que la Première Chambre civile de la Cour de cassation rappelle que les avantages obtenus au titre du devoir de secours durant la procédure de divorce ne doivent pas être pris en compte pour rejeter une demande de prestation compensatoire.
Autrement dit, les Juges du fond ne peuvent pas prendre en considération les mesures provisoires fixées dans le cadre d’une procédure de divorce pour apprécier la disparité créée par la rupture du mariage dans les conditions de vie respectives des époux.
Conformément à l’article 271 du Code civil, la disparité s’apprécie au jour du prononcé du divorce, et en fonction de son évolution dans un avenir prévisible.
La Première Chambre civile de la Cour de cassation semble donc faire une appréciation stricte des termes de l’article 271 du Code civil en refusant de prendre en compte un avantage qui disparaîtra dans un avenir prévisible.
Au-delà des critères énoncés par le Code civil, plusieurs méthodes de calcul ont été élaborées par des professionnels du droit, afin de permettre d’aiguiller et de rationaliser les montants de prestation compensatoire qui peuvent être alloués dans le cadre de la procédure de divorce.
Néanmoins, le rôle du Juge reste primordial dans l’appréciation in concreto des critères légaux et jurisprudentiels pour appréhender l’existence d’une disparité dans les conditions de vie respectives des époux, et la chiffrer.
[1] Cour de cassation, Civile 1ère, arrêt du 13 avril 2022 – pourvoi n°20-22.807