La privation des droits de vote dans les sociétés cotées n’est pas inconstitutionnelle
Saisi en décembre 2013 par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil Constitutionnel vient de juger (Décision n° 2013-369 QPC du 28 février 2014) que la sanction de privation automatique des droits de vote, prévue à l’article L. 233-14 al. 1 et 2 du Code de Commerce en cas de non-respect des règles de franchissements de seuil dans les sociétés cotées, est conforme à la Constitution.
L’occasion de rappeler ici la règlementation relative aux déclarations de franchissements de seuils, que la décision récente du Conseil Constitutionnel vient ici fortement conforter.
1. Déclarations de franchissement de seuils
La qualité de l’information et l’identification de la composition du capital social des sociétés cotées constituent des conditions essentielles au bon fonctionnement du marché. La règlementation applicable aux déclarations de franchissements de seuils participe de cette transparence de l’actionnariat des sociétés cotées.
- Aux termes de l’article L. 233-7-I al. 1 du Code de commerce, toute personne physique ou morale, agissant seule ou de concert qui vient à posséder un nombre d’actions représentant plus d’une certaine fraction du capital et des droits de vote[1]d’une société ayant son siège social sur le territoire français et dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé ou non réglementé (Alternext ou marché libre), doit en informer la société ainsi que l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui en informe le marché. Cette information doit également être donnée par celui qui franchit ces mêmes seuils à la baisse. L’information doit être adressée à la société au plus tard avant la clôture des négociations du quatrième jour de bourse suivant le jour du franchissement du seuil de participation (Article R. 233-1 du Code de commerce).
- Sur les marchés réglementés, la personne soumise à obligation d’information au titre de l’article L. 233-7-I al. 1 du Code de commerce est tenue, à l’occasion du franchissement de certains seuils légaux (10%, 15%, 20% et 25% du capital et des droits de vote), de déclarer les objectifs qu’elle a l’intention de poursuivre au cours des six mois à venir (article L. 233-7-VII du Code de commerce).
Cette déclaration d’intention doit être adressée à la société et doit parvenir dans un délai de cinq jours de bourse à l’AMF, laquelle porte cette information à la connaissance du public. En cas de changement d’intention dans le délai de six mois à compter du dépôt de cette déclaration, une nouvelle déclaration motivée doit être adressée à la société et à l’AMF sans délai. Par ailleurs, en cas de changement d’intention au-delà du délai de 6 mois, le déclarant doit immédiatement en informer le public aux termes d’un communiqué (article 223-7 et 223-9 du Règlement général AMF). - En plus des seuils légaux définis aux termes de l’article L. 233-7-I1 du Code de commerce, les statuts peuvent prévoir des obligations de déclaration de franchissement de seuil complémentaires, pour des détentions inférieures à 5%, sans que l’écart entre les fractions ne puisse être inférieur à 0,5% du capital social et des droits de vote (article L. 233-7-III du Code de Commerce). L’information d’un franchissement de seuil statutaire doit être communiquée à la seule société (et non pas à l’AMF) par la personne qui a franchi le seuil.
2. Conséquences du franchissement de seuils
Le non-respect des obligations de déclaration de franchissement de seuils peut être lourd de conséquences pour l’actionnaire défaillant.
Privation des droits de vote :
S’agissant des seuils légaux, l’article L. 233-14 du Code de commerce prévoit que,
- (i) l’actionnaire[2] qui n’a pas déclaré un franchissement à la hausse des divers seuils de détention du capital ou des droits de vote dans les délais prévus, est privé de manière automatique, et pendant les deux ans qui suivent la régularisation de sa déclaration, des droits de vote aux assemblées générales de la société pour les actions excédant la fraction qui aurait dû être déclarée ;
- (ii) par ailleurs, le président de la société, un actionnaire ou l’AMF peut demander au tribunal de commerce qu’il suspende, pour un durée de cinq ans maximum, tout ou partie des droits de vote de l’actionnaire défaillant.
A la différence de la suspension automatique décrite au point (i) ci-dessus, la suspension facultative visée au point (ii) et prononcée par un juge consulaire peut s’appliquer en cas de non déclaration de franchissement de seuil à la baisse. Néanmoins, les tribunaux refusent généralement d’appliquer cette suspension lorsque l’intention frauduleuse de la part de la personne n’ayant pas déclaré le franchissement n’est pas établie (absence de volonté de dissimulation).
Lorsque le franchissement concerne un seuil statutaire inférieur à 5%, les statuts de la société peuvent prévoir que la suspension ne s’appliquera qu’à la demande d’un ou de plusieurs actionnaires détenant une fraction du capital ou des droits de vote de la société émettrice au moins égale à la plus petite fraction du capital dont la détention doit être déclarée (article L. 237-7-VI).
Autres sanctions :
En matière pénale, le paragraphe I de l’article L. 247-2 du Code de commerce punit d’une amende de 18.000 euros le fait pour les présidents, les administrateurs, les membres du directoire, les gérants ou les directeurs généraux des personnes morales, ainsi que pour les personnes physiques de ne pas satisfaire aux obligations déclaratives de l’article L. 233-7 du Code de commerce.
En matière administrative, l’absence de déclaration par la personne ayant franchi un seuil ou la déclaration inexacte constitue un manquement à la bonne information du public si le fait dissimulé, s’il était révélé, serait de nature à influer sur le cours des instruments financiers concernés (Règlement général AMF, article 223-2 et 621-1) et peut en conséquence être sanctionnée pécuniairement par l’AMF.
En matière civile, les délibérations d’une assemblée à laquelle aurait voté un actionnaire qui n’aurait pas déclaré un franchissement de seuil peuvent être annulées sur le fondement de l’article L. 235-2-1 du Code de commerce.
3. Constitutionnalité de la privation des droits de vote dans les sociétés cotées
Privée de ses droits de vote au sein de la société DOMIA GROUP (Euronext) en février 2008 au cours d’une assemblée générale, en raison de la non-déclaration d’un franchissement de seuil, la société de droit suisse MADAG a assigné la société DOMIA GROUP en vue d’obtenir l’annulation de cette suspension.
Saisie de cette affaire dans le courant de l’année 2013, la Cour de cassation a soumis à l’examen du Conseil Constitutionnel les deux griefs de la société MADAG à l’encontre de la sanction de l’article L. 233-14 du Code de commerce, fondés sur la violation de deux principes posés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (« DDH »), à savoir (i) de la nécessité et de l’individualisation des peines (article 8 de la DDH) et (ii) de l’inviolabilité du droit de propriété (article 17 de la DDH).
- (i) Sur le premier grief de la société MADAG, le Conseil Constitutionnel, après avoir rappelé que le principe de la stricte nécessité des peines ne s’appliquait qu’aux peines et aux sanctions ayant le caractère d’une punition, a considéré que la suspension temporaire des droits de vote ne s’analysait pas comme une mesure répressive mais comme une règle de bon fonctionnement et de protection de la société contre les prises de participation occultes. Dès lors, l’argument tiré de la violation de l’article 8 de la DDH était inopérant;
enfin,
- (ii) Pour écarter le grief tiré de l’atteinte au droit de propriété, le Conseil Constitutionnel a jugé que le dispositif de l’article L. 233-14 du Code de commerce poursuivait un but d’intérêt général (faire obstacle aux prises de participation occultes afin de renforcer le respect des règles assurant la loyauté dans les relations entre la société et ses membres et la transparence des marchés) et que l’atteinte au droit de propriété était limitée (ne concerne qu’une fraction des droits de vote – est limitée dans le temps – les droits patrimoniaux ne sont pas concernés dès lors que l’actionnaire demeure propriétaire et que la suspension temporaire n’affecte pas le cessionnaire).
[1] 5%, 10%, 15%, 20%, 25%, 30%, 33,33%, 50%, 66,66%, 90% ou 95%
[2] C’est l’actionnaire et non pas les actions qui est frappé de la sanction. Ainsi :
(i) en cas de cession, les actions cédées ne sont pas privées du droit de vote chez l’acquéreur ;
(ii) en cas de fusion absorption, la privation automatique des droits de vote se transmet à la société absorbante en raison de la transmission universelle de patrimoine.