La rupture conventionnelle sous surveillance
La rupture conventionnelle du contrat à durée indéterminée, créée par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, a rencontré un grand succès. 230.095 conventions ont été signées au cours de l’année 2009 et 191.309 d’entre elles, soit 83.14%, ont bien été homologuées par les Directions Départementales du Travail.
Deux circulaires du 22 juillet 2008 (Circulaire DGT n° 2008-11 relative à l’examen de la demande d’homologation d’une rupture conventionnelle d’un contrat à durée indéterminée) et du 17 mars 2009 (Circulaire DGT n° 2009-04 relative à la rupture conventionnelle d’un contrat à durée indéterminée) ainsi qu’une Instruction DGT 2009-25 du 8 décembre 2009 ont déjà été publiées aux fins d’amener les précisions et compléments nécessaires, notamment au regard du montant de l’indemnité minimale due au salarié.
Une Instruction DGT n°2 du 23 mars 2010, relative à l’incidence d’un contexte économique difficile sur la rupture conventionnelle d’un contrat de travail à durée indéterminée, nous amène à faire le point sur la pratique et le bon usage de la rupture conventionnelle.
1. La rupture conventionnelle dans sa pratique usuelle :
A l’usage, on peut constater que les entreprises comme les salariés ont parfois tendance à oublier certains « détails » tels que ceux ci-après évoqués.
Délais obligatoires
Si ce dispositif paraît satisfaire les salariés comme les employeurs, il n’en reste pas moins que ce mode de rupture impose de respecter scrupuleusement les délais légaux.
Dès lors, face à une demande de rupture de contrat devant prendre effet à très court terme, l’entreprise doit être ferme et rappeler au salarié que les délais légaux (délai de rétractation des parties d’une part, délai d’instruction de la demande d’homologation par la Direction Départementale du Travail d’autre part) sont impératifs.
Il en va de la validité de la rupture.
Rupture conventionnelle et transaction
Ce mode de rupture ne saurait se confondre avec une transaction, et ce même dans le cas où l’entreprise déciderait d’allouer au salarié une indemnité supérieure au minimum applicable.
Formalisme de la convention :
Si les parties peuvent effectivement se contenter de signer le formulaire proposé par l’administration (« Rupture conventionnelle d’un contrat de travail à durée indéterminée et formulaire de demande d’homologation »), qui comporte dans le cadre 3 « Convention de rupture » la possibilité d’insérer d’éventuelles clauses relatives aux conditions de la rupture, la pratique nous démontre qu’il est souvent nécessaire de compléter ce formulaire par un protocole écrit et détaillé qui permettra aux deux parties de soulever toutes les questions pouvant amener des difficultés lors de la prise d’effet de la rupture et notamment lors de l’établissement du solde de tout compte.
Il nous paraît par exemple indispensable de faire mention de la liste des éléments de rémunération qui seront versés au salarié : nombre de jours de congés payés, de repos compensateurs ou RTT, les primes qui seront , en tout ou en partie, versées ou, le cas échéant, l’absence de droit à versement de certains éléments de rémunération, le sort des outils professionnels et leur date de restitution, etc.
Il est en effet rappelé que la rupture conventionnelle ne comporte aucun préavis. Les parties fixent d’un commun accord la date de fin de contrat de travail et doivent, le cas échéant, gérer contractuellement la situation du salarié entre la date de signature de la convention et sa prise d’effet. Légalement, le contrat de travail doit se poursuivre tout à fait normalement.
Dans la pratique, l’une ou l’autre partie assimile parfois cette période intermédiaire à une période de préavis et l’on voit régulièrement des dispenses d’activité au titre de cette phase. Si les parties souhaitent mettre en œuvre certaines modalités spécifiques au regard de l’exécution du contrat de travail (congé sans solde, congé spécial rémunéré, mise en œuvre du Droit Individuel à la Formation), elles devront impérativement le contractualiser dans ce protocole afin d’éviter tout malentendu et par là même toute difficulté lors de la prise d’effet de la rupture.
Mais nous mettons en garde les entreprises contre toute pratique de dispense d’activité au titre de la période comprise entre la signature de la convention et la date de rupture envisagée pour le contrat de travail.
Car contrairement aux cas de licenciement ou de démission pour lesquels la cessation des relations contractuelles est certaine, tel n’est pas le cas de la rupture conventionnelle.
Il est donc important pour les deux parties de tenir compte de l’aléa lié à l’homologation administrative et de ne pas trop anticiper sur la date de rupture comme sur son principe même. Des chiffres évoqués plus haut, il ressort que 16.86 % des conventions n’ont pas été homologuées en 2009. Entreprises et salariés tirent parfois trop vite les conséquences de la signature de leur accord. Or ce dernier n’a vocation à prendre effet que sous condition de l’homologation administrative.
2. Le refus d’homologation pour cause économique :
L’instruction DGT n° 2 précitée vise le cas des refus d’homologation dus au contexte économique.
Si elle rappelle que « la rupture conventionnelle ne doit pas conduire à contourner les règles du licenciement collectif pour motif économique », elle fait cependant mention explicite du principe selon lequel une telle rupture peut intervenir quand bien même une entreprise rencontre des difficultés économiques et procède à des licenciements et que, sauf indices spécifiques évoqués ci-après, les Directeurs du Travail n’ont pas à rechercher la motivation de la rupture conventionnelle.
Les Directeurs du Travail doivent cependant vérifier l’existence ou non d’un possible détournement de procédures de licenciements économiques. Ce détournement peut être révélé par les indices suivants :
- recours massif à la rupture conventionnelle,
- dans une entreprise ou un groupe confronté à un « contexte économique difficile » susceptible de conduire à un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE).
La circulaire précise que la fréquence des demandes d’homologations et/ou le dépassement, par cumul de ruptures conventionnelles et de licenciements économiques, des seuils applicables en termes d’obligation de mise en œuvre d’un PSE constitueraient des indices d’un détournement de procédure.
Nous rappelons que les seuils en termes de nombre de licenciements économiques qui imposent un PSE sont :
- 10 licenciements sur une même période de 30 jours ;
- 10 licenciements réalisés au cours des trois mois précédant tout nouveau licenciement ;
- 18 licenciements au cours d’une même année civile.
Les Directeurs du Travail prendront en compte tout document et toute information utiles (demandes de chômage partiel, procès-verbaux des réunions de comité d’entreprise, etc.)
S’agissant d’entreprises ou de groupes installés dans différents départements, il devra y avoir des échanges entre les Directions Départementales concernées.
3. Analyse et commentaires de l’Instruction DGT n°2 :
Cette instruction n’apporte aucune nouveauté quant au fond. En effet, la circulaire précitée du 17 mars 2009 précisait déjà : « Enfin, il convient d’être particulièrement vigilant sur les ruptures conventionnelles qui seraient conclues en vue de contourner les garanties en matière de licenciements économiques et collectifs. Un contexte économique difficile pour l’entreprise, voire un PSE circonscrit à d’autres emplois, ne sont pas à eux seuls suffisants pour exclure l’application de la rupture conventionnelle. Le caractère coordonné et organisé des ruptures conventionnelles peut, en revanche, constituer un indice additionnel. »
Les Directions Départementales du Travail n’ont d’ailleurs par attendu la récente instruction pour refuser l’homologation des ruptures conventionnelles qui leur paraissaient relever d’un possible détournement.
Si la liberté contractuelle des parties souhaitant rompre un contrat de travail par cette voie n’est pas remise en cause, cette liberté ne doit pas avoir pour effet de priver le salarié concerné des garanties spécifiques prévues en matière de licenciement économique, et leur liberté ne saurait avoir pour conséquence de priver les autres salariés de ces droits, et plus particulièrement d’un PSE. Il est en effet tentant pour une entreprise de « répartir » les suppressions d’emplois entre ruptures conventionnelles et un licenciement économique de moins de dix salariés n’imposant pas de PSE.
Les refus d’homologation relèvent de la seule compétence du juge prud’homal comme tout litige relatif à la rupture conventionnelle, à l’exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif ainsi que stipulé par l’article L.1237-14 du Code du travail.
Le Conseil de Prud’hommes n’est cependant pas pour autant compétent pour procéder à l’homologation d’une rupture conventionnelle. S’agissant d’une annulation contentieuse, l’annulation d’un refus d’homologation par le Conseil a pour effet de ressaisir la Direction du Travail à qui il appartient de statuer en tenant compte de l’autorité de la chose jugée (Circulaire DGT n°2009-04 du 17 mars 2009).
Si certains Conseils de Prud’hommes se sont arrogé ce droit, cette voie semble très déconseillée car il convient de garantir la validité de la procédure et donc l’homologation administrative aux fins de garantir l’exonération fiscale et sociale de l’indemnité de rupture.