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Publié le 1 juin 2012 par Soulier Avocats

La Saga Viveo : l’absence de motif économique n’engendre pas la nullité du plan de sauvegarde de l’emploi

Dans un arrêt « Vivéo » du 3 mai 2012 très attendu (Cass. soc. 3 mai 2012 n° 11-20.741, Sté Viveo France c/ Comité d’entreprise de la société Viveo France), la Chambre sociale de la Cour de cassation a réaffirmé avec fermeté qu’une procédure de licenciement ne pouvait être annulée « en considération de la cause économique du licenciement », la validité du plan de sauvegarde de l’emploi étant indépendante de cette cause. Les praticiens ont poussé un grand « ouf » de soulagement à la lecture de cet arrêt, qui, à défaut de régler la délicate question de l’appréciation du motif économique, a le mérite de maintenir une certaine stabilité juridique.

La société Vivéo Group, œuvrant dans le secteur de la conception, la commercialisation, l’installation et la maintenance de logiciels bancaires, est rachetée en décembre 2009 par un concurrent, Temenos. En février 2010, le comité d’entreprise de Vivéo France est convoqué pour une procédure d’information-consultation sur un projet de restructuration engendrant la suppression de 64 des 180 emplois. Sont joints à cette convocation, une note économique et un plan de sauvegarde de l’emploi (ci-après « PSE »). Le comité d’entreprise conteste le motif économique de cette restructuration et porte l’affaire devant le TGI de Paris afin de demander l’annulation de la procédure de licenciement.

Par jugement en date du 11 janvier 2011, le TGI de Paris déboute le comité d’entreprise Vivéo de sa demande de nullité du PSE estimant qu’il « n’appartient pas au juge, saisi d’une nullité de la procédure de licenciement pour violation des dispositions légales, d’apprécier dans le cadre de cette action, les motifs économiques invoqués par l’employeur ». Le comité d’entreprise interjette appel.

En vertu de l’article L. 1235-10 du Code du travail, seule l’absence ou l’insuffisance (en termes de mesures concrètes et précises de nature à éviter ou à tout le moins à limiter le nombre de licenciements) du plan de sauvegarde de l’emploi soumis aux représentants du personnel entraîne la sanction de la nullité de la procédure de licenciement pour motif économique.

Pourtant, en dépit de cette disposition légale claire du Code du travail, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 12 mai 2011 (CA Paris 12 mai 2011 n° 11-1547 : BS 11/11 inf. 947), s’était livrée à une interprétation toute personnelle de l’article L. 1235-10 afin de conclure à la nullité du PSE et avait ainsi annulé la procédure de licenciement collectif en se fondant sur le défaut de motif économique de l’opération.

Faisant valoir que l’absence de motif économique véritable « vide de sa substance [la] consultation et prive de fondement légal le projet économique du chef d’entreprise », la Cour d’appel avait estimé que le législateur avait implicitement mais nécessairement entendu appliquer la sanction de la nullité du PSE à ce cas de figure précis.

Cet arrêt qui a fait couler beaucoup d’encre, avait provoqué un véritable tollé chez les praticiens qui n’avaient pas manqué d’alerter les pouvoirs publics sur les risques engendrés par une telle jurisprudence, à savoir :

  • un risque de recrudescence des recours en annulation des PSE (y compris en référé), ce qui aurait généré une grande insécurité juridique,
  •  A l’inverse d’une nullité pour insuffisance de mesures contenues dans le PSE, une nullité pour défaut de motif économique aurait conduit à l’impossibilité pour l’entreprise de présenter un nouveau PSE à bref délai car le motif économique, par principe, ne peut être changé. Ainsi, on se serait retrouvé dans une situation où seuls les PSE présentés à la veille d’un dépôt de bilan auraient été susceptibles d’être considérés comme « valables », ce qui, dans ce cas, offre des chances très minimes de « sauvegarder l’emploi » alors même que l’objet d’un PSE est de contenir des mesures pour tenter de limiter les suppressions de poste,
  • On assisterait sans aucun doute en pratique à une multiplication des cas « d’évitement » des PSE (en ayant recours par exemple au CDD, travail temporaire, sous-traitance, à des ruptures au fil de l’eau etc.) alors que bon nombre de groupes internationaux essayent déjà d’éviter au maximum la mise en place d’un PSE.

Pour l’ensemble de ces raisons, il est manifeste qu’une remise en cause systématique des PSE est contre-productive.

Attendu, et aujourd’hui applaudi par les praticiens, l’arrêt de la Cour de cassation du 3 mai dernier est « clair et net ». La Cour reprend effectivement la lettre de la loi considérant que « la procédure de licenciement ne peut être annulée en considération de la cause économique du licenciement, la validité du plan étant indépendante de la cause du licenciement ».

La Cour a précisé son raisonnement dans un communiqué : « cette délimitation du champ de nullité résulte de la prise en compte de la volonté du législateur qui, par la loi du 27 janvier 1993, entendait faire du PSE le moyen d’éviter les licenciements, l’absence de cause économique n’ouvrant droit qu’au paiement de dommages et intérêts au bénéfice du salarié licencié ».

En réalité, la Cour de cassation ne fait qu’appliquer sa propre jurisprudence constante, souhaitant laisser une part de discrétion au chef d’entreprise quant aux choix économiques et stratégiques lui incombant :

  • Dans un arrêt du 8 décembre 2000, la Cour, statuant en Assemblée Plénière, avait refusé au juge du fond le droit de contrôler le choix effectué par l’employeur entre les différentes solutions susceptibles d’assurer la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise (Cass., Ass. Plen. 8 décembre 2000, n° 97-44.219, SAT).
  • Le 3 octobre 2001, la Cour précisait que, dans le cadre du contrôle d’un plan social, il n’appartient pas au juge d’apprécier les choix économiques de l’employeur ayant conduit à la mise en œuvre dudit plan(Cass. soc., 3 octobre 2001, n° 00-15.267).
  • Puis, le 20 mars 2007, la Cour affirmait que la question de la pertinence d’un PSE est indépendante de celle de la cause du licenciement(Cass. soc. 20 mars 2007 n° 04-47.562, Delecroix c/ Sté 3M France).

L’arrêt du 3 mai 2012 s’inscrit dans la ligne droite de cette jurisprudence et est donc cohérent.

Cette position est également conforme à celle du Conseil constitutionnel qui, dans une décision du 12 janvier 2002 sur la loi de modernisation sociale (Cons. Const. 2001-455 DC 12 janvier 2002 : RJS 3/02 n°275), avait précisé que « en subordonnant les licenciements économiques à des «difficultés économiques sérieuses n’ayant pu être surmontées par tout autre moyen », la loi conduit le juge non seulement à contrôler, comme c’est le cas sous l’empire actuel de la législation, la cause économique des licenciements décidés par le chef d’entreprise issue des procédures prévues par le code du travail, mais encore à substituer son appréciation à celle du chef d’entreprise quant au choix entre les différentes solutions possibles. Le cumul des contraintes que cette définition fait ainsi peser sur la gestion de l’entreprise a pour effet de ne permettre à l’entreprise de licencier que si sa pérennité est en cause ; en édictant ces dispositions, le législateur a porté à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l’objectif poursuivi du maintien de l’emploi ».

Il apparaît que la Cour de cassation, comme le Conseil constitutionnel, ne voit pas le PSE comme la première étape inévitable d’un licenciement massif mais plutôt comme une alternative favorable à celui-ci. La Cour semble ainsi favoriser la liberté du chef d’entreprise afin qu’il puisse y avoir recours, avant précisément d’arriver à une situation catastrophique. C’est ce raisonnement qui la conduit à limiter l’immixtion du juge à ce stade de la procédure et donc, à la cassation de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 mai 2011.

Suite à l’arrêt d’appel, l’avocat du comité d’entreprise de Vivéo avait déclaré « les juges ont osé imposer ce que le législateur n’a jamais eu le courage de voter ». Il annonce aujourd’hui qu’il plaidera la théorie de l’inexistence du motif économique devant la Cour d’appel de renvoi de Versailles, et souhaite une intervention du législateur afin de prévoir expressément ce cas de nullité dans la loi. En réalité, même si la Cour d’appel de Versailles faisait droit à sa demande, l’attendu de la Cour de cassation est tellement clair que le deuxième pourvoi donnerait sans doute lieu à une cassation sans renvoi. Quant à l’intervention du législateur dans ce sens, la jurisprudence du Conseil constitutionnel précitée encadre fortement toute intervention possible au regard de la liberté d’entreprendre.

D’un autre côté, si les praticiens sont soulagés par la solution retenue par la Cour de cassation, ils s’accordent également pour dire qu’il est temps de réformer notre droit du licenciement économique issu de cinq lois d’inspiration fort différente (1975, 1989, 1993, 2002 et 2005) et d’une jurisprudence foisonnante.

En réalité, si cet arrêt met fin aux inquiétudes des travaillistes quant au nouveau cas de nullité du PSE qu’avait reconnu la Cour d’appel, il ressuscite de nombreuses problématiques plus générales quant à l’esprit du droit du licenciement économique français aujourd’hui.

On peut en effet regretter que la question du niveau d’appréciation du motif économique ne fasse pas l’objet de plus amples débats. En effet, depuis l’arrêt Videocolor (Cass. soc. 5 avril 1995,Thomson Vidéocolor,RJS 5/95 n° 497), l’appréciation du motif économique se fait au niveau du groupe et non de l’entreprise.

Dans l’affaire Vivéo, la Cour d’appel avait, dans la suite de son raisonnement, effectivement rappelé que l’appréciation devait se faire au niveau du groupe avant de conclure que le motif économique au cas d’espèce était inexistant. Pour autant, la Cour de cassation n’est pas revenue sur ce point.

Considérant qu’aucun autre pays européen ne retient le niveau du groupe (à l’exception des Pays-Bas mais uniquement concernant le montant de l’indemnité), une intervention législative ou jurisprudentielle pour «revenir à un niveau plus concret, celui de l’entreprise » s’avère nécessaire.

Par ailleurs, les procédures sont trop longues, trop contraignantes et leur efficacité en termes d’employabilité et de reclassement discutable.

L’heure semble donc être venue de remettre à plat le droit français du licenciement économique.

A bon entendeur, salut !