La visite douanière effectuée dans des locaux de prestataires de services postaux et des entreprises de fret express n’est pas soumise à la constatation d’indices préalables de la commission d’une infraction
Imaginez que des douaniers pénètrent dans vos locaux pour procéder à des vérifications sur de potentielles infractions sans le moindre commencement de preuve concernant ces infractions hypothétiques.
Le droit de visite douanière de l’article 66 du Code des douanes permet cette pratique.
Usant de leur pouvoir de visite douanière, les agents des douanes de Marseille ont découvert au sein des locaux des sociétés Chronopost et UPS des colis comprenant des marchandises contrefaisantes.
Un individu considéré comme destinataire de ces marchandises contrefaisantes a été poursuivi pour détention de marchandises contrefaisantes sans document justificatif régulier, importation à des fins commerciales de marchandises présentées sous une marque contrefaisante et vente ou mise en vente de marchandises présentées sous une marque contrefaisante sur un réseau de communication au public en ligne.
Les juges de première instance ont fait droit à une exception de nullité présentée par le conseil de cet individu et ont annulé les procès-verbaux de constat établis et l’ensemble de la procédure subséquente au motif que ces procès-verbaux ne mentionnaient pas l’existence d’une information préalable permettant d’établir que les locaux des sociétés renfermaient ou étaient susceptibles de renfermer des envois contenant des marchandises relevant d’une infraction au code des douanes.
Le ministère public, l’administration des douanes et la société victime des contrefaçons ont interjeté appel de la décision.
Par un arrêt en date du 27 janvier 2021, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné l’individu destinataire des marchandises contrefaisantes à 18 mois d’emprisonnement dont 6 mois avec sursis, 5 ans d’interdiction de gérer, une amende douanière et des mesures de confiscation.
Le condamné a formé un pourvoi en cassation contre cette décision.
Dès lors, la visite permise par l’article 66 du code des douanes est-elle conditionnée à la constatation préalable d’indices laissant présumer la présence d’envois litigieux ou la caractérisation d’une infraction prévue par le Code des douanes ?
Dans son arrêt du 26 janvier 2022, la Cour de cassation répond à cette question par la négative.
Dans son arrêt du 27 janvier 2021, la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence estimait que les agents des douanes ont un pouvoir de police administrative qui leur permet de contrôler tous colis en vue de la recherche d’éventuelles infractions sans qu’ils n’aient besoin de préciser leur connaissance quant à la présence d’envois litigieux ou n’aient à caractériser en quoi l’ouverture des colis serait nécessaire du fait de tel ou tel indice.
Cette position est confirmée par les juges du Quai de l’Horloge.
Pour définir ce pouvoir de police la jurisprudence utilise un critère finaliste, prenant en compte l’intention des autorités de police. « Il y a donc acte de police judiciaire ou de police administrative selon que les décisions ou opérations (ou même les abstentions) à qualifier sont ou non en relation avec une infraction pénale déterminée. Si elles sont liées à une telle infraction, elles relèvent de la police judiciaire (CE, sect., 11 mai 1951, Consorts Baud). Sinon, elles relèvent de la police administrative (T. confl. 7 juin 1951, Dame Noualek) »[1].
Un droit de visite général des marchandises
Ainsi les agents des douanes en visitant les locaux des services postaux en vue de rechercher d’éventuelles infractions opéreraient une mission de police administrative. En effet le caractère indéterminé de l’infraction recherchée permet de comprendre ce pouvoir conféré aux agents des douanes. La Cour de cassation confirme cette analyse et précise que les agents des douanes ont un droit de visite général des marchandises qui peut se déduire des travaux parlementaires effectués lors de la modification de l’article 66 du code des douanes par la loi du 11 mars 2014 (qui avait pour objectif d’encadrer ce droit très large) et de l’article 60 du Code des douanes qui fixe un droit de visite général et qui dispose :
« Pour l’application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes »[2].
Ainsi, la Cour de cassation, comme la Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme qu’il est possible d’effectuer la visite douanière prévue par l’article 66 du Code des douanes sans qu’il soit nécessaire d’avoir des indices préalables concernant la commission des infractions.
Cette position confère un pouvoir extraordinaire aux agents des douanes qui, sous réserve de respecter les dispositions formelles de l’article 66 du Code des douanes, peuvent pénétrer dans des locaux privés pour rechercher des infractions au Code des douanes sans avoir la nécessité de prouver l’existence d’indices laissant supposer la commission de telles infractions.
Cette visite dans les locaux des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express qui pourrait être assimilée à une sorte de fouille ou même des perquisitions ne bénéficie pourtant ni des garanties de la première (la fouille préventive de l’article 78-2-2 du Code de procédure pénale devant être réalisée par exemple sur réquisition écrite du Procureur de la république), ni de celles de la seconde (qui ne permet une visite sans l’assentiment de la personne suspectée que dans le cadre de l’enquête de flagrance).
Cet arrêt questionne sur l’étendue des pouvoirs des douanes, même si l’on connait le droit de visite générale des agents des douanes que la doctrine qualifie de « forme la plus ostensible de l’activité des agents des douanes »[3].
Un droit de visite général s’arrêtant aux lettres de correspondances
Il faut enfin remarquer que la Cour de cassation précise que le droit de visite générale des agents des douanes octroyé par l’article 66 du Code des douanes connait pour limites les lettres contenant des correspondances. En effet, pour celles-ci la jurisprudence a déjà pu juger que la saisie d’une correspondance postale adressée à un particulier pour procéder à l’ouverture de l’enveloppe et au contrôle de son contenu est assimilable à une perquisition ou à une visite domiciliaire. Dès lors, hors les prévisions de l’article 66 du Code des douanes, le contrôle du contenu d’un envoi postal devant le domicile de son destinataire par des agents des Douanes est irrégulier en l’absence d’infraction douanière flagrante[4].
Le refus de la nullité de la visite de l’article 66 du Code des douanes du fait de l’absence d’information relevant une infraction au Code des douanes
En tout état de cause, il s’avère qu’en l’état du droit positif, l’existence d’une information préalable permettant d’établir que les locaux des sociétés renfermaient ou étaient susceptibles de renfermer des envois contenant des marchandises relevant d’une infraction au code des douanes n’est pas nécessaire aux agents de douanes pour effectuer une visite douanière sur le fondement de l’article 66 du Code des douanes. En conséquence ne constitue pas une nullité l’absence d’une telle information préalablement à la visite prévue par l’article 66 du Code des Douanes.
[1] Fiche d’orientation, Police Administrative, Dalloz 2021
[2] article 60 du Code des douanes
[3] v. Rép. pén. Dalloz, vo Douanes, par C.-J. Berr, n° 140
[4] Cass. crim., 4 mars 1991, n° 90-82.002.