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Publié le 1 février 2011 par Soulier Avocats

Le droit de l’agent commercial au versement d’une indemnité de rupture : revue de la jurisprudence récente

En préambule, le versement d’une indemnité de rupture à l’agent commercial à la cessation de ses relations contractuelles avec le mandant est un droit prévu par l’article L. 134-12 du Code de commerce, destiné à réparer le préjudice subi par l’agent résultant de la perte pour l’avenir des revenus tirés de l’exploitation de la clientèle commune. Ces dispositions étant d’ordre public, les parties ne peuvent y déroger[1].

Toutefois, l’indemnité de rupture n’est pas due lorsque la cessation du contrat (i) est provoquée par une faute grave de l’agent, (ii) résulte de l’initiative de l’agent (sauf si la cessation est justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l’âge, l’infirmité ou la maladie de l’agent par suite desquelles la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée), ou (iii) résulte de la cession, par l’agent, du contrat à un tiers, avec l’accord du mandant[2].

La jurisprudence est régulièrement amenée à rappeler et compléter les conditions dans lesquelles le droit à l’indemnité de rupture peut recevoir application (1), et à se prononcer sur l’existence d’une faute grave susceptible de priver l’agent commercial de ladite indemnité (2).

1. Conditions d’application du droit à l’indemnité de rupture

Les juges qui veillent au respect du principe du versement d’une indemnité de rupture à l’agent commercial en font une application relativement large.

  • Ainsi la Cour d’Appel de Paris a-t-elle récemment rappelé que le droit à l’indemnité de rupture est applicable aux contrats d’agence commerciale à durée déterminée, et que le non renouvellement de ce dernier à son échéance ne fait donc pas perdre à l’agent son droit à indemnité[3].

Au cas d’espèce, une société avait conclu un contrat d’agence commerciale d’une durée de trois ans avec un ancien salarié. La société n’avait pas renouvelé le contrat à l’arrivée de son terme et avait refusé de verser une indemnité à l’agent commercial en se prévalant d’une clause contractuelle selon laquelle l’indemnité était due seulement en cas d’accroissement de la clientèle. La Cour d’Appel de Paris, rappelant que l’indemnité de rupture avait pour vocation de réparer le préjudice résultant de la perte pour l’avenir des revenus tirés de l’exploitation de la clientèle commune, et ce, même si la rupture était intervenue à échéance d’un contrat à durée déterminée, a jugé que l’agent commercial avait droit à cette indemnité. La Cour a également rappelé que toute clause qui supprimerait ou réduirait l’indemnité ou la subordonnerait à certaines conditions est réputée non écrite, pour écarter la clause invoquée par le mandant.

  • De même, les juges du fond ont eu l’occasion de rappeler que l’agent commercial pouvait prétendre à la perception de l’indemnité de rupture, alors même que celui-ci ne serait pas immatriculé au registre spécial des agents commerciaux[4].

Cette jurisprudence est constante depuis l’adoption de la loi du 25 juin 1991 ayant transposé la directive n°86/653/CEE du 18 décembre 1986, qui fait obstacle à toute règlementation nationale qui subordonnerait la validité d’un contrat d’agence commerciale à l’inscription du professionnel sur un registre prévu à cet effet. L’obligation d’immatriculation de l’agent commercial sur un registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce dans le ressort duquel il est domicilié, édictée par l’article R. 134-6 du Code de commerce, n’est donc qu’une simple mesure de police professionnelle qui n’a

pas d’influence sur les relations de l’agent et de son mandant, et sur le droit de l’agent à l’indemnité de rupture[5].

  • Enfin, la Cour de Cassation a été amenée à préciser que l’article L. 134-12 alinéa 3 du Code de commerce, qui prévoit le versement d’une indemnité de rupture aux ayants droit de l’agent commercial lorsque la cessation du contrat est causée par le décès de ce dernier, n’opérait pas de distinction entre les causes de décès de l’agent.

La Cour en a déduit que le suicide de l’agent commercial n’était pas une rupture du contrat d’agence commerciale résultant de l’initiative de l’agent (au sens de l’article L. 134-13, 2e du Code de commerce), et que l’indemnité de rupture était due aux ayants droit de ce dernier[6].

  • Toutefois, la Cour de Cassation reste exigeante quant au respect du formalisme imposé à l’agent commercial pour la notification de sa demande de versement d’indemnité de rupture au mandant.

En effet, la Cour de Cassation a, très récemment, apporté quelques précisions relatives à l’application pratique de l’article L. 134-12 alinéa 1 du Code de commerce, lequel prévoit que « L’agent commercial perd le droit à réparation s’il n’a pas notifié au mandant, dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat, qu’il entend faire valoir ses droits. »

La Haute Juridiction a précisé que le point de départ du délai d’un an dont dispose l’agent pour notifier au mandant qu’il entend faire valoir ses droits à indemnité court à compte de la date de cessation effective du contrat d’agence commerciale, et non à compter de la fin du préavis prévu par le contrat si cette date est différente.

En l’espèce, le mandant avait mis fin au contrat pour le 24 février, date à laquelle l’agent avait arrêté d’exécuter ses prestations, alors qu’aux termes du contrat, la fin du délai de préavis coïncidait avec la fin du mois civil. L’agent avait notifié ses droits au mandant le 27 février de l’année suivante. La Cour a considéré cette demande comme tardive car la cessation effective était intervenue au 24 février de l’année précédente[7].

2. L’existence d’une faute grave de l’agent commercial : une jurisprudence évolutive

L’existence d’une faute grave commise par l’agent commercial est très souvent invoquée par le mandant pour tenter de s’exonérer du paiement de l’indemnité de rupture. Les conditions dans lesquelles un tel argument est susceptible d’aboutir font l’objet d’une jurisprudence variée et évolutive.

Ainsi, la Cour de Cassation a, au cours de l’année 2010, eu l’occasion de préciser que le mandant qui avait mis fin au contrat d’agence commerciale, pouvait échapper au paiement de l’indemnité de rupture, s’il invoquait une faute grave de son agent pendant l’exécution du contrat, mais dont il n’avait eu connaissance qu’après la résiliation[8].

Au cas d’espèce, l’agent commercial avait poursuivi son mandant, qui avait mis fin au contrat d’agence sans invoquer de faute grave, en paiement de l’indemnité de rupture. L’agent commercial avait bénéficié d’un préavis ce qui démontrait selon lui, que le mandant ne considérait pas son attitude comme suffisamment grave pour rendre impossible le maintien du lien contractuel. La Cour a considéré que les faits délictueux découverts par le mandant après la rupture des relations contractuelles étaient susceptibles de justifier la résiliation du contrat pour faute grave.

Il est intéressant de noter que cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une autre décision rendue par la Haute Juridiction six mois auparavant, par laquelle cette dernière avait considéré qu’un agent commercial, à qui le mandant reprochait une faute grave – la faiblesse de son chiffre d’affaires causée par le fait qu’il était l’agent d’une entreprise concurrente – pouvait ne pas perdre son droit à indemnité de rupture, dès lors que le mandant en avait eu connaissance avant la rupture du contrat et les avait tolérées.[9] En l’espèce, le mandant pensait que les manquements duraient depuis deux ans lorsqu’il a rompu le contrat. Cet arrêt a ainsi limité la possibilité pour le mandant de se prévaloir de manquements professionnels à l’encontre de son agent commercial lors de la cessation de leurs relations contractuelles.

Ainsi, la Cour de Cassation reconnaît au mandant le droit de ne pas verser l’indemnité de rupture à l’agent en cas de faute grave commise par ce dernier pendant l’exécution du contrat, dès lors que le mandant en a eu connaissance avant la résiliation du contrat et s’en est prévalu immédiatement, ou qu’il n’en a eu connaissance qu’après la résiliation du contrat.

Cependant, cette jurisprudence a récemment été nuancée par la Cour de Justice des Communautés Européennes qui, interrogée par voie préjudicielle, a considéré qu’un agent commercial ne pouvait pas être privé de son indemnité de rupture lorsqu’il avait commis un manquement grave pendant la période de préavis ouverte suite à la notification de la résiliation du contrat.[10]

Si les juridictions françaises ne se sont pas encore prononcées sur les conséquences d’une faute grave commise par l’agent commercial pendant la période de préavis, la position de la CJUE peut laisser supposer une remise en cause de la jurisprudence de la Cour de Cassation précitée ayant admis la résiliation pour faute grave pour des faits commis au cours de l’exécution du contrat mais découverts par le mandant après la résiliation.

 


[1] Article L. 134-16 du Code de commerce.

[2] Article L. 134-13 du Code de commerce.

[3] CA Paris, 9 décembre 2010, n°09-18151.

Dans le même sens, voir Cass. Com., 23 avril 2003, n°01-15.639 ; Cass. Com., 25 juin 2002, n°1257 : RJDA 12/02 n°1260.

[4] CA Versailles, 21 octobre 2010, n°2010-023439.

[5] A cet égard, il est intéressant de noter l’adoption du Décret n°2010-1310 du 2 novembre 2010, entré en vigueur le 5 novembre 2010, qui modifie l’article R. 134-6 du Code de commerce (i) en dispensant de l’obligation d’immatriculation les agents commerciaux domiciliés à l’étranger qui ne disposent en France d’aucun établissement et n’y exercent leur activité que de façon temporaire et occasionnelle, et (ii) en supprimant l’obligation de tout agent commercial de requérir le renouvellement de son immatriculation initiale, laquelle demeure valable jusqu’à la cessation de son activité d’agent.

[6] Cass. Com., 23 novembre 2010, n°09-17.167.

[7] Cass. Com., 18 janvier 2011, n°09-72.510.

[8] Cass. Com., 1er juin 2010, n°09-14.115.

[9] Cass. Com., 8 décembre 2009, n°08-17.749.

[10] CJUE, 28 octobre 2010, aff. 203-09.