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Publié le 1 décembre 2011 par Soulier Avocats

Le droit des marques à l’épreuve d’internet : utilisation de la marque d’un concurrent dans le cadre d’un service de référencement payant

Le droit des marques et le droit commercial doivent sans cesse s’adapter et appréhender les nouvelles pratiques dont le développement d’Internet a permis l’émergence. Il est ainsi nécessaire de concilier les intérêts des sociétés désireuses de se protéger contre des pratiques commerciales déloyales et de protéger leur marque, avec ceux d’une concurrence libre sur le marché.

La décision de la Cour de Luxembourg du 22 septembre 2011, opposant la société INTERFLORA, spécialisée dans la livraison de fleurs, et la société MARKS & SPENCER, l’un des principaux détaillants au Royaume-Uni, en est une illustration récente.

Les sociétés INTERFLORA et MARKS & SPENCER sont concurrentes sur l’activité de vente et livraison de fleurs. INTERFLORA est une marque nationale au Royaume-Uni et est également inscrite comme marque communautaire.

Le service de référencement payant « AdWords » de Google permet à des opérateurs économiques de faire apparaître des liens promotionnels vers leur site lorsque les internautes utilisent les mots-clés sélectionnés par les opérateurs auprès de « AdWords ».

Dans le cadre de ce service, MARKS & SPENCER a sélectionné le terme « INTERFLORA » ainsi que des variantes de ce terme et des expressions le contenant. Les internautes qui entrent ce mot, une variante ou une expression le contenant dans le moteur de recherche Google voient ainsi apparaître sur leur écran un lien promotionnel vers le site de MARKS & SPENCER.

La société INTERFLORA, qui souhaite s’opposer à cette utilisation de sa marque par la société  MARKS & SPENCER, a introduit un recours pour violation de ses droits de marque devant la High Court of Justice of England and Wales.

La juridiction saisie a sollicité de la CJUE qu’elle se prononce sur cette pratique tendant, pour une société, à utiliser la marque de son concurrent dans le cadre d’un service de référencement payant tel que le service « AdWords » de Google.[1]

La protection des fonctions de la marque

La Cour se prononce en premier lieu sur le fondement des articles 5§1, a) de la directive 89/104 et 9§1, a) du règlement 40/94, qui confèrent au titulaire d’une marque un droit exclusif et lui permettent d’interdire à des tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ou d’un signe qui crée un risque de confusion dans l’esprit du public, du fait de son identité ou de sa similitude avec la marque et de l’identité ou de la similitude des produits et services visés.

La Cour devait ainsi apporter les éléments permettant de répondre à la question de savoir si le titulaire d’une marque peut interdire à un concurrent d’utiliser sans son consentement sa marque comme mot clé pour faire afficher des annonces pour des produits ou services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée.

Pour y répondre, elle va vérifier s’il est porté atteinte à l’une des fonctions de la marque, à savoir notamment indication d’origine du produit ou service, publicité, investissement.

La fonction d’origine de la marque

En premier lieu, il est porté atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque lorsque l’annonce ne permet pas, ou permet seulement difficilement, à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée au titulaire ou, au contraire, d’un tiers.

La Cour indique qu’un tel risque de confusion existe lorsque l’annonce suggère l’existence d’un lien économique entre l’annonceur et le titulaire de la marque ou qu’elle reste suffisamment vague sur l’origine des produits ou services, avec pour conséquence qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif ne peut savoir, au regard du lien et du message promotionnel l’accompagnant, si l’annonceur est tiers par rapport au titulaire de la marque.

La Cour ne répond cependant pas à la question de savoir si la fonction d’origine a été effectivement atteinte dans le cas d’espèce mais laisse à la juridiction de renvoi le soin de se prononcer. Elle lui suggère toutefois les éléments à prendre en considération. Notamment, la juridiction de renvoi pourra apprécier si l’internaute est censé savoir que le service de livraison de fleurs de MARKS & SPENCER ne relève pas du réseau INTERFLORA. Le fait que le réseau INTERFLORA est composé d’un grand nombre de détaillants ne présentant pas d’homogénéité en termes de taille et de profil commercial pourrait conduire l’internaute à avoir des difficultés à identifier si l’annonceur en cause fait partie du réseau.

La fonction de publicité de la marque 

La Cour se prononce de manière lapidaire sur la question en rappelant sa jurisprudence antérieure[2] selon laquelle l’usage  d’un signe  identique  à une marque  détenue par une autre

personne dans le cadre d’un service de référencement ne porte pas atteinte à la fonction de publicité de la marque.

En effet, un tel usage peut certes avoir des répercussions sur l’emploi publicitaire de la marque ; ainsi, son titulaire pourra être amené à payer un prix plus élevé s’il veut voir référencée en premier sa marque par le service « AdWords » si sa marque a été également choisie comme mot clé par le concurrent. Pour la Cour cependant, la seule circonstance que le titulaire de la marque doive intensifier ses efforts publicitaires ne suffit pas à considérer qu’une atteinte à la fonction de publicité de la marque est constituée.

La fonction d’investissement de la marque

La Cour estime que l’atteinte à la fonction d’investissement est constituée lorsque l’usage par le tiers de la marque d’un concurrent gêne de manière substantielle l’emploi, par le titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs.

La Cour ne confère à la fonction d’investissement qu’un intérêt limité, puisqu’elle considère qu’un concurrent ne peut se voir interdire l’usage de la marque d’un titulaire lorsque cela conduit ce dernier à devoir adapter ses efforts pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser les consommateurs ; plus encore, il n’y a pas non plus d’atteinte lorsque l’usage de la marque par le concurrent conduit certains consommateurs à se détourner des produits ou services de la marque.

 L’atteinte à la marque sous l’angle du comportement commercial déloyal

La Cour se réfère ensuite aux articles 5§2 de la directive et 9§2 du règlement, qui autorisent le titulaire d’une marque à interdire à des tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire à la marque, lorsque l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou porte préjudice à ce caractère distinctif ou à cette renommée.

La Cour définit ces notions :

  • Il y a atteinte au caractère distinctif ou « dilution » lorsque l’aptitude de la marque à identifier les produits ou les services pour lesquels la marque est enregistrée se trouve affaiblie ;
  • Il y atteinte à la renommée de la marque ou « ternissement » lorsque la force d’attraction de la marque est diminuée ;
  • Le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou « parasitisme » se réfère non plus au préjudice subi par le titulaire de la marque mais à l’avantage tiré par le tiers de l’usage d’un signe identique ou similaire à la marque. Pour la Cour, cela inclut les cas d’exploitation manifeste dans le sillage de la marque renommée.

En l’espèce, c’est sur les notions de dilution et de parasitisme et non de ternissement que la juridiction de renvoi a sollicité l’intervention de la Cour. 

Dilution

Selon la Cour, il y a dilution lorsque la marque ne suscite plus, dans l’esprit des consommateurs, une association immédiate avec une origine commerciale spécifique.

La sélection par un concurrent d’un signe identique ou similaire à la marque dans le cadre d’un service de référencement sur Internet ne porte cependant pas en soi atteinte au caractère distinctif de la marque.

Dès lors que l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif est en mesure de comprendre que les produits ou services ne proviennent pas du titulaire de la marque, le caractère distinctif n’est pas atteint.

La Cour revient donc au raisonnement retenu afin de déterminer l’existence d’une atteinte à la fonction d’origine de la marque : dès lors que l’internaute peut identifier qu’il s’agit d’un opérateur indépendant et non d’un opérateur économiquement lié au titulaire de la marque, l’atteinte n’est pas constituée.

Ainsi, l’utilisation de la marque du concurrent ne porte pas atteinte en soi au caractère distinctif de la marque. Il n’y aura atteinte que si les internautes ont des difficultés à identifier que l’annonce provient d’un opérateur indépendant du titulaire de la marque.

On peut en conclure que lorsqu’il y aura atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque, il y aura également dilution.

Parasitisme

 La Cour relève enfin que lorsque la marque est renommée, il est probable qu’un nombre important d’internautes utilisent le nom de cette marque comme mot clé pour effectuer des recherches sur Internet.

Ainsi, l’opérateur qui utilise la marque du concurrent dans le cadre d’un service de référencement sur Internet cherche à tirer un avantage du caractère distinctif et de la renommée de la marque, avantage réel dès lors que les internautes achètent les produits du concurrent. En outre, l’annonceur ne paie aucune compensation aux titulaires des marques pour l’usage qu’il en fait.

Un tel raisonnement devrait conduire la Cour à sanctionner ces pratiques.

Elle relève pourtant qu’une telle utilisation n’est que susceptible de « s’analyser comme un usage par lequel l’annonceur se place dans le sillage d’une marque renommée afin de bénéficier de son pouvoir d’attraction, de sa réputation et de son prestige, ainsi que d’exploiter, sans aucune compensation financière et sans devoir déployer des efforts propres à cet égard, l’effort commercial déployé par le titulaire de la marque pour créer et entretenir une image de marque ».

Il y aura bien parasitisme si les produits sont des imitations des produits du titulaire de la marque. En revanche, il y a selon la Cour « concurrence saine et loyale » lorsque la publicité ne fait que proposer une alternative aux produits ou services du titulaire de la marque, sans être une simple imitation, sans causer de dilution ou de ternissement et sans porter atteinte aux fonctions de la marque.

Bien que la Cour renvoie à la juridiction nationale le soin de décider si en l’espèce, l’atteinte aux droits de marque est constituée, elle semble considérer que l’usage, par un opérateur économique, de la marque d’un concurrent dans le cadre d’un service de référencement payant n’est susceptible d’être sanctionné que sur le terrain de l’atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque ou de l’atteinte au caractère distinctif.

On aurait pu penser que la Cour accorderait une protection plus importante aux titulaires de marques déposées contre l’usage fait de celles-ci par des concurrents, qui profitent nécessairement des efforts des titulaires de la marque afin d’attirer les consommateurs vers leurs propres produits.

 


[1] La Cour a rendu sa décision au regard de la directive 89/104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques et du règlement 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, applicables à l’époque des faits. La Cour a cependant précisé que les interprétations qu’elle donne sont transposables aux nouveaux textes, à savoir la Directive 2008/95 et le Règlement 207/2009.

[2] CJUE, 23 mars 2010, Google France et Google, C-236/08 à C-238/08 ; CJUE, 25 mars 2010, BergSpechte, C-278/08.