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Publié le 29 juin 2018 par Soulier Avocats

Le droit du travail face aux enjeux de l’intelligence artificielle : Tome 1 d’une trilogie

La technologie numérique a déjà modifié les méthodes de travail. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle (IA), nous ne sommes qu’au début d’une mutation sans équivalent non seulement du marché du travail et de l’emploi mais également de la relation de travail. Qu’entend-on exactement par impact de l’IA sur les relations de travail ? Qui dit relations de travail, dit droit du travail.

Or, le droit du travail devrait pouvoir être utilisé comme outil juridique permettant d’accompagner les transformations évidentes générées par la présence de l’IA dans l’entreprise. Il s’agit donc de réfléchir aux pistes d’adaptation de notre droit du travail afin d’anticiper et de permettre une transition en douceur vers le nouveau monde.

Cet article constitue la première partie d’une trilogie articulée autour de la vie du contrat de travail embauche/ exécution du contrat de travail / rupture du contrat de travail. Cette première partie est essentiellement consacrée – outre l’introduction – aux questions liées à la fin du contrat de travail : en effet selon un discours alarmiste dominant, l’IA va supprimer des emplois. Notre droit du travail actuel prévoit-il des garde-fous contre ce « risque inéluctable » (selon certains) ?

Dans un article intitulé « L’IA sonnera-t-elle le glas du travail humain ? » publié dans notre e-newsletter d’avril 2018, Chems Idrissi s’interrogeait sur la question de l’impact de l’IA sur l’emploi et le marché du travail.

Elle indiquait que selon de nombreuses études, moins de 10% des emplois seraient réellement menacés de disparaître.

Comme le relève l’économiste Nicolas Bouzou dans son livre « on entend l’arbre tomber mais pas la forêt pousser » les grandes mutations technologiques bouleversent certes nos sociétés, mais avant de les transformer et d’accroître le bien-être de tous. Selon lui, chaque innovation loin de freiner l’économie, implique en elle-même la création de nouveaux emplois.

Par ailleurs, dans son rapport publié le 12 janvier 2017, intitulé « Automatisation, numérisation et emploi », le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) relève aussi que 50 % des emplois pourraient voir leur contenu modifié par le développement des outils numériques et l’automatisation : il s’agit en particulier des métiers de services (conducteurs, employés de l’hôtellerie et de la restauration, aides à domicile, avocats – les robots lawyers existent déjà…).

Ainsi, l’on s’accorde à dire que l’IA va créer de nouveaux métiers mais également transformer les tâches et les métiers.

Et qui dit impact de l’IA sur les emplois, dit également impact sur la relation de travail…

Et c’est là qu’intervient le droit du travail ma spécialité – puisqu’il s’agit de l’ensemble des règles régissant les relations entre un employeur et les travailleurs, donc les relations de travail.

Qu’entend-on exactement par impact de l’IA sur le droit du travail et sur les relations de travail ? S’agit-il d’appliquer le droit du travail au robot ? Faudra-t-il instaurer un droit aux 35 heures pour les robots ? Les robots ont-ils droit aux congés payés ? Des arrêts maladie pour les robots en surchauffe ?? Et je ne parle même pas du congé maternité appliqué au robot…

Non ! Bien évidemment le droit du travail ne peut régir le travail des robots. En revanche, le droit du travail devrait pouvoir être utilisé comme outil juridique permettant d’accompagner les transformations évidentes générées par la présence de l’IA dans l’entreprise. Autrement dit, le droit du travail qui régit les relations de travail peut instaurer un nouveau cadre/encadrement afin d’anticiper et d’intégrer la mutation évidente liée à l’apparition de l’IA dans le monde du travail.

Il s’agit donc de réfléchir aux pistes d’adaptation de notre droit afin d’anticiper et de permettre une transition en douceur vers le nouveau monde.

En bonne juriste, j’ai construit un plan en trois parties basé sur les trois phases de la vie du contrat de travail : embauche/ exécution du contrat de travail / rupture du contrat de travail.

Et en bonne avocate, je suis dotée de l’esprit de contradiction et je vais donc présenter la vie du contrat en sens inverse en commençant par la fin/rupture du contrat de travail.

 

  1. FIN/RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL : AU SECOURS ! L’IA VA SUPPRIMER DES EMPLOIS. NOTRE DROIT DU TRAVAIL ACTUEL PREVOIT-IL DES GARDES-FOUS CONTRE CE « RISQUE INLECTUABLE » (SELON CERTAINS) ?

Ceux qui cultivent la culture du catastrophisme seront satisfaits ; à la question : « notre droit du travail prévoit-il des garde-fous contre le risque de suppression d’emploi ? », la première réponse est NON ! Au contraire……

1. Les mutations technologiques : motif autonome de licenciement

Selon le code du travail, les mutations technologiques (acquisition de nouveaux outils entraînant de nouvelles méthodes de travail, informatisation) peuvent justifier un licenciement économique !

La suppression ou la transformation d’emploi ou la modification du contrat de travail n’a pas à être liée à des difficultés économiques.

L’article L. 1233-3 du code du travail stipule en effet : « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

(…)

2° à des mutations technologiques »

Des entreprises en parfaite santé économique seraient donc susceptibles de justifier des réductions d’effectif par des seuls investissements dans la robotique et l’intelligence artificielle.

 

2. Les garde-fous prévus par la Loi pour limiter les suppressions de poste

Il existe quand-même quelques garde-fous – non pas pour empêcher les suppressions de poste motivées par des mutations technologiques – mais pour les limiter…

Obligations de l’employeur :

  • L’employeur est tenu – lorsque les mutations technologiques sont importantes et rapides – d’établir un plan d’adaptation au bénéfice des salariés. Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés.
  • Le licenciement ne peut intervenir qu’après recherches de reclassement du salarié sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise. L’employeur a donc une obligation de rechercher un emploi disponible au sein du groupe en France.

A NOTER : Avant de supprimer le poste, il est possible de tenter d’imposer une modification du poste au salarié pour motif économique. Le mécanisme juridique existe déjà : en cas de refus du salarié concerné, l’employeur peut alors le licencier pour motif économique (mutation technologique). Un salarié peut donc se voir imposé une réduction de son temps de travail ou une modification de ses fonctions au motif de la mutation technologique : il peut refuser mais s’il refuse, son licenciement sera fondé.

 

3. Bilan/perspective : vers une évolution du droit du licenciement économique ?

L’on peut raisonnablement imaginer que les juges de demain seront vigilants sur les efforts faits par les entreprises en matière d’adaptation des salariés quand ils auront à se prononcer sur le bien-fondé du licenciement justifié par la mutation technologique. Tout particulièrement, dans un contexte de suppression de poste lié à l’introduction d’un nouvel outil de travail lié à l’IA. Il pourrait être créé une obligation de résultat de tentative d’adaptation du salarié à un nouveau poste avant toute mesure de licenciement.

De manière plus générale, l’on pressent déjà qu’il est nécessaire d’anticiper les évolutions d’emploi dans chaque secteur d’activité afin d’éviter les plans massifs de licenciement. La formation continue est un enjeu clef de la révolution numérique.

Cela m’amène au deuxième volet essentiel de la vie du contrat de travail : la période d’exécution du contrat de travail.

Dans cette deuxième partie, je tenterai de répondre à trois questions essentielles :

  • Quels outils juridiques déjà existants sont à la disposition des entreprises et des salariés afin de permettre la nécessaire adaptation en continue du salarié ?
  • Quel impact de l’IA pouvons-nous d’ores et déjà anticiper sur l’organisation du travail ?
  • Quel impact de l’IA pouvons-nous d’ores et déjà anticiper sur les conditions de travail ?

A suivre….