Le nouveau règlement d’exemption restrictions verticales est arrivé !
Adopté le 20 avril 2010, le nouveau règlement d’exemption restrictions verticales n°330/2010[1] entrera en vigueur le 1er juin prochain et s’appliquera jusqu’au 31 mai 2022 à tous les accords conclus après le 31 mai 2010. Durant une période transitoire d’une année (allant du 1er juin 2010 au 31 mai 2011), le nouveau règlement ne s’appliquera pas aux accords conclus avant le 31 mai 2010 et qui satisfont seulement aux conditions d’exemption prévues au précédent règlement 2790/1999.
Dans son ensemble, le nouveau règlement maintient la plupart des règles antérieures. Seront seulement ici détaillées les modifications principales apportées par le Règlement 330/2010, en ce qu’elles étendent ou restreignent, selon les cas, le droit au bénéfice de l’exemption. Dans certains cas de figure, le Règlement 330/2010 sera donc jugé plus restrictif ou plus disposé à la souplesse.
1-Accords susceptibles d’être exclus du bénéfice de l’exemption
a) accords dans lesquels la part de marché d’une des parties contractantes dépasse 30%
Dans l’ancien article 3§1du Règlement 2790/1999, un accord était exempté sous réserve de ne pas contenir de restrictions caractérisées au sens de l’article 4 dudit Règlement et « à condition que la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30% du marché sur lequel il vend les biens ou services contractuels » ; la part de marché détenue par l’acheteur n’étant à retenir que dans le cas d’un accord de fourniture exclusive (article 3§2).
Le nouveau dispositif prévoit toujours le seuil de 30% en deçà duquel l’exemption par catégorie s’applique, mais la différence tient à ce que le fournisseur et l’acheteur doivent, l’un et l’autre, ne pas dépasser ce seuil. Ainsi, aux termes du nouvel article 3§1 « l’exemption prévue s’applique à condition que la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30% du marché en cause sur lequel il vend les biens ou services contractuels ET que la part de marché détenue par l’acheteur ne dépasse pas 30% du marché en cause sur lequel il achète les biens ou services contractuels[2] ».
Ainsi, un accord vertical ne pourra plus bénéficier de l’exemption si l’un ou l’autre du fournisseur ou de l’acheteur détient une part de marché supérieure à 30% sur le marché considéré. Cela restreint considérablement le champ d’application de l’exemption. Par cette modification, la Commission entend surtout prendre en considération le sort des producteurs contraints par la grande distribution à accepter des contrats déséquilibrés.
Cette volonté de la Commission de prendre en compte la puissance d’achat de l’acheteur, via le seuil en part de marché, se retrouve d’ailleurs également dans les lignes directrices sur les restrictions verticales : une place particulière est accordée au traitement des primes de référencement (ou « redevances d’accès payables d’avance ») exigées par la grande distribution (points 203 à 208) et aux accords de gestion par catégorie (points 209 à 213).
Pour rappel, le fait pour un accord de ne pas bénéficier de l’exemption par catégorie (hypothèse qui risque de se présenter plus souvent au vu de la modification des seuils) ne le rend pas pour autant illégal ; les parties auront davantage à veiller aux restrictions stipulées dans leurs accords lesquelles seront nécessairement appréciées plus sévèrement dès lors que l’exemption par catégorie ne peut s’appliquer.
b) accords de franchise
Le Règlement d’exemption 2790/1999 s’appliquait par définition aux contrats de franchise, dans la mesure où il se substituait au règlement d’exemption précédent n°4087/88 concernant l’exemption à certaines catégories d’accords de franchise. Les lignes directrices accompagnant le Règlement 2790/1999 traitent d’ailleurs de l’application du règlement aux accords de franchise (points 42-44 et points 199-201).
Une modification apportée au nouveau Règlement n°330/2010 pourrait changer substantiellement la donne. En effet, en ajoutant le savoir-faire à la définition des droits de propriété intellectuelle (article 1, f) alors qu’il en était précédemment exclu (précédent article 1 e), la Commission ouvre la possibilité d’une exclusion des accords de franchise du champ d’application de l’exemption par catégorie.
En effet, la franchise se caractérise, entre autres, par la transmission d’un savoir-faire. Or, désormais le savoir-faire est intégré aux droits de propriété intellectuelle et un accord dont l’objet principal porterait sur ces droits ne saurait, aux termes de l’article 2§3 du Règlement, bénéficier de l’exemption : « l’exemption prévue (…) s’applique aux accords verticaux contenant des dispositions concernant la cession à l’acheteur ou l’utilisation par l’acheteur des droits de propriété intellectuelle, à condition que ces dispositions ne constituent pas l’objet principal de ces accords et qu’elles soient directement liées à l’utilisation, à la vente ou à la revente de biens ou de services par l’acheteur ou ses clients ».
Ainsi, les modifications apportées au système de l’exemption, via le Règlement n°330/2010, sont de nature à priver certains accords du bénéfice de l’exemption.
Pour contrebalancer l’application restreinte du bénéfice de l’exemption, la Commission offre, dans certains cas, la possibilité aux parties à un accord contenant des restrictions caractérisées la possibilité de combattre la présomption de non-exemption de telles clauses, consacrée jusque-là.
Modifications apportées aux restrictions caractérisées
Le nouveau Règlement n°330/2010 offre la possibilité à certaines restrictions caractérisées d’échapper à la non-exemption présumée sous l’ancien règlement (a) ; dans le même temps en revanche, la Commission inscrit clairement l’interdiction des ventes sur Internet parmi les restrictions caractérisées privant irrémédiablement un accord du bénéfice de l’exemption (b).
a) la possibilité de « rédemption » de certaines restrictions caractérisées
Aux termes du nouveau Règlement, les restrictions caractérisées de l’article 4 privent toujours l’accord vertical qui les contient du bénéfice de l’exemption, dans la mesure où (i) de telles restrictions font présumer que l’accord relève de l’article 101§1 du TFUE et (ii) il est peu probable que l’accord remplisse les conditions de l’article 101§3.
Toutefois, est introduite dans le Règlement 330/2010 (point 47 des nouvelles lignes directrices) la possibilité pour les entreprises « de démontrer l’existence d’effets favorables à la concurrence en vertu de l’article 101§3, dans un cas donné ». Les entreprises ont la possibilité d’établir que des gains d’efficience probables résultent de l’introduction dans leur accord de restrictions caractérisées.
Dans les lignes directrices (130/01), la Commission réitère (points 106 à 109), sans exhaustivité, la liste des motifs pouvant être invoqués par les parties pour justifier de restrictions verticales. Mais la véritable nouveauté du système d’exemption révisé consiste dans l’énumération, aux points 60 à 64 des lignes directrices, des « cas individuels de restriction de vente caractérisée susceptibles de ne pas relever de l’article 101§1 ou de remplir les conditions de l’article 101§3 ».
Au nombre de ces exemples de restrictions ne relevant pas de l’article 101§1 :
- l’interdiction des ventes passives sur le territoire d’un distributeur exclusif pendant deux ans, au vu des investissements réalisés par ce dernier pour lancer et établir une marque sur un nouveau marché ;
- la limitation des ventes actives hors d’un territoire faite à des distributeurs en cas d’introduction échelonnée d’un nouveau produit ou s’il s’agit de tester un nouveau produit sur un territoire déterminé ;
Au nombre de ces exemples de restrictions susceptibles de remplir les conditions de l’article 101§3 :
- la restriction imposée à un grossiste de ne pas vendre à des détaillants désignés situés sur le territoire d’autres grossistes pour prévenir un éventuel parasitisme, dans le cas où ces grossistes investissent dans des activités de promotion sur leur territoire ;
- le système de « double prix » (consistant à fixer un prix plus élevé pour des produits vendus par Internet que pour des produits destinés à être vendus autrement) peut parfois remplir les conditions de l’exemption lorsque ce double prix est justifié dans la mesure où les ventes en ligne entraînent pour le fabricant / le distributeur des coûts sensiblement plus importants que les autres formes de vente.
En outre, et s’agissant de l’interdiction des prix de vente imposés (autrefois une restriction caractérisée insusceptible d’être « sauvée »), les nouvelles lignes directrices prévoient, aux points 223 à 229, la possibilité pour les parties de se défendre en faisant valoir des gains d’efficience au sens de l’article 101§3, notamment en ce que les prix imposés peuvent parfois permettre aux distributeurs, dans le cadre du lancement d’un nouveau produit, d’augmenter leurs efforts de vente et les obliger à tenir compte de l’intérêt du fabricant à promouvoir le produit en question.
b) l’interdiction des ventes par Internet est une restriction caractérisée
Internet étant un moyen d’atteindre un plus grand nombre et une plus grande variété de clients, l’interdiction de vente par Internet est considérée comme une restriction de vente passive caractérisée interdite dans les quatre cas de figure suivants, détaillés au point 52 des nouvelles lignes directrices :
- le fait pour un distributeur exclusif d’empêcher les clients localisés sur un autre site exclusif de consulter son site Internet ou le fait de les renvoyer automatiquement sur les sites Internet du fabricant ou des autres distributeurs exclusifs ;
- le fait pour un distributeur exclusif de mettre un terme à une opération de vente par Internet lorsque les données de la carte de crédit du client révèlent qu’il n’est pas établi sur son territoire exclusif ;
- le fait que le distributeur limite la part de ses ventes réalisées par Internet ;
- e fait que le distributeur paie un prix plus élevé pour des produits destinés à être revendus par Internet que pour des produits destinés à être revendus autrement.
Certains tempéraments viennent atténuer la rigueur de ces interdictions :
- l’interdiction de contraindre le distributeur à limiter la part de ses ventes via Internet (c) ne fait pas obstacle à ce le fournisseur (i) puisse exiger de l’acheteur qu’il vende une certaine quantité de produits à partir de son point de vente physique ou (ii) s’assure que l’activité du distributeur reste cohérente avec le modèle de distribution choisi ;
- l’interdiction faite d’imposer à un distributeur un prix plus élevé pour des produits à vendre sur Internet que pour les autres (d) n’exclut pas la possibilité pour le fournisseur de fixer une redevance fixe ou même le système de « double prix » dans le cas visé ci-dessus.
Par ailleurs, les nouvelles lignes directrices conservent les limites à la vente en ligne telles qu’identifiées dans le précédent système d’exemption :
- une restriction à la vente par Internet est compatible avec le règlement s’il apparaît que, dans un système de distribution exclusive, la promotion (via des bandeaux publicitaires) ou la réalisation des ventes sur Internet entraînerait la réalisation de ventes actives sur les territoires ou aux clients exclusifs d’autres distributeurs.
- dans un système distribution sélective, l’animateur du réseau (fournisseur) peut imposer des normes de qualité pour l’utilisation d’Internet aux fins de commercialisation de ses produits et exiger des distributeurs agréés qu’ils disposent d’un ou plusieurs points de vente physiques avant de bénéficier du droit de vendre par Internet.
Pour conclure, le nouveau Règlement d’exemption 330/2010 maintient le principe de l’exemption par catégorie inchangé, à quelques nuances près : toute entreprise a le droit de recourir au mode de distribution de son choix, à condition que les accords qu’elles concluent avec ses partenaires distributeurs n’incluent pas de restrictions caractérisées insusceptibles d’être justifiées et que, ni le producteur, ni le distributeur ne détienne une part de marché supérieure à 30%. Le nouveau système d’exemption tient également à faire la part belle à la distribution en ligne en facilitant et en protégeant le recours à ce mode de distribution pour les opérateurs économiques désireux de développer leurs ventes via Internet.
[1] Règlement UE n°330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101 § 3 (ancien article 81§3) du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées.
[2] Il sera relevé que le marché à retenir pour le calcul de la part de marché de l’acheteur n’est pas le marché aval mais uniquement le marché amont, celui sur lequel l’acheteur achète les biens ou services contractuels.