Le secteur de la santé sous étroite surveillance et contraint à plus de transparence
L’affaire du Médiator® a plongé la France dans un climat de suspicion sans précédent à l’égard de son système de santé et a considérablement écorné l’image de l’industrie du médicament et des entreprises de santé en général.
Conscient de la déflagration qu’a causée cette affaire, le législateur a souhaité adopter une loi visant à restaurer la confiance du public dans le système de sécurité sanitaire français, ce qui accroît davantage les contraintes et obligations à la charge des entreprises de santé dont il est attendu davantage de transparence.
La loi du 29 décembre 2011 repose en effet sur un pilier central : la transparence jugée indispensable à la prévention des conflits d’intérêt, aux effets particulièrement dévastateurs dans l’esprit du public.
D’où la mise en place, d’une part, d’une déclaration publique d’intérêts, sur un modèle unique, s’imposant – à peine de sanctions – à l’ensemble des membres de commissions, administrations, organismes de santé lesquels doivent déclarer les liens qu’ils ont pu entretenir « pendant les cinq années » précédant leur prise de fonctions avec des entreprises, des établissements ou des organismes dans le même secteur.
La seconde mesure visant, d’autre part, à contraindre les entreprises de santé à davantage de transparence réside dans une obligation de publication de toutes les conventions qu’elles passent avec des professionnels de santé, associations de patients, fondations, organes de presse spécialisée, sociétés savantes, sociétés et organismes de conseil.
La loi tend également à améliorer les mesures d’information aux consommateurs ainsi qu’à encadrer la publicité des dispositifs médicaux.
Par souci de lisibilité, le présent article porte exclusivement sur l’obligation de publication incombant aux entreprises de santé s’agissant des conventions qu’elles passent avec des professionnels de la santé. Nous aurons certainement l’opportunité de revenir, à l’occasion de prochains articles, sur les autres mesures proposées par la loi n°2011-2012 en vue de restaurer la confiance du public dans le système de santé français.
Pour mémoire, les accords entre industriels et professionnels de santé sont déjà soumis pour examen aux instances ordinales lesquelles ont à cœur de veiller à ce que l’indépendance et l’impartialité des praticiens (amenés à prescrire les produits mentionnés à l’article L.5311-1 du Code de la santé publique, ci-après « CSP ») ne soient pas compromises par les avantages financiers qui pourraient leur être octroyés par les industriels (I).
Désormais et du fait de la loi n°2011-2012, le contrôle sur ces conventions est encore renforcé : les entreprises de santé les ayant conclues ont notamment l’obligation de les rendre publiques, à peine de sanctions pénales (II).
Les conventions industriels – professions médicales déjà soumises à contrôle
Depuis la loi « anti-cadeaux », les conventions industriels – professions médicales font l’objet d’un contrôle strict, institué par le législateur, et mis en œuvre par les instances ordinales.
Ainsi, l’article L.4113-6 du CSP alinéa 1er instaure un principe général d’interdiction des avantages en nature ou en espèces octroyés « sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte » par les entreprises de santé (laboratoires, industriels) aux membres des professions médicales.
Deux dérogations à cette interdiction de principe concernent les avantages prévus dans le cadre d’activités de recherche ou de l’hospitalité offerte lors de manifestations promotionnelles ou scientifiques, lesquels sont licites sous réserve d’avoir fait l’objet de conventions écrites et d’avoir été soumises pour avis préalable au Conseil de l’Ordre compétent.
Mieux vaut, pour être approuvés, que les avantages octroyés au titre des activités de recherche ou de l’hospitalité apparaissent justifiés et proportionnés dans leur montant.
Des avantages qui n’apparaîtraient pas justifiés (ni au regard de l’activité dans le cadre de laquelle ils s’inscrivent, ni dans leur montant) devraient, dès lors, être considérés comme « interdits » au sens de l’alinéa 1er de l’article L.4113-6 du CSP ; les sanctions susceptibles d’être infligées tant aux membres des professions médicales en bénéficiant qu’aux entreprises les leur octroyant sont – au moins en théorie – très lourdes.
Ainsi, aux termes de l’article L.4163-2 alinéa 1 du CSP, les membres des professions médicales qui sont rendus bénéficiaires d’avantages « interdits » sont passibles d’une amende de 75.000 euros et d’une peine d’emprisonnement de deux ans, sans compter qu’une interdiction temporaire d’exercer la profession (10 ans) peut également être prononcée à leur encontre. Quant aux entreprises de santé ayant procuré de tels avantages, outre l’amende précitée qui peut être infligée à leur dirigeant, elles peuvent être passibles – si leur responsabilité pénale en tant que personne morale est retenue dans les conditions prévues à l’article 121-2 du Code pénal – d’une amende pouvant aller jusqu’à 375.000 euros (sans exclure le risque d’être interdite de gérer ou d’être exclue des marchés publics pour 5 années ou à titre définitif).
Il est donc vivement recommandé de prendre conseil auprès d’avocats ou juristes spécialisés au moment de la rédaction des conventions et avant même de les soumettre aux instances ordinales concernées, afin de s’assurer de la licéité de leur contenu.
Cette préconisation est, aujourd’hui plus que jamais d’actualité, compte tenu de l’évolution législative récente qui vient encore alourdir la responsabilité des entreprises de santé quant au contenu des conventions qui les lient aux membres des professions médicales et à leur publicité obligatoire.
Le contrôle des conventions industriels – professions médicales est encore renforcé par la loi n°2011-2012
La loi n°2011-2012 édicte trois séries de mesures, contraignant les entreprises de santé et les professionnels avec lesquels ils contractent à davantage de vigilance quant au contenu de ces conventions.
a) Extension du champ des interdictions
Le principe d’interdiction des avantages est désormais étendu aux associations regroupant les professionnels de santé (dont les sociétés savantes) et les étudiants (nouvel article L.4113-6 alinéa 1).
Cette extension suscite beaucoup de remous parmi les professionnels de santé et les associations dont l’existence se trouve menacée, dès lors qu’une grande partie de leur budget dépend des subsides et dons de l’industrie. Leur inquiétude est d’autant plus justifiée qu’elles ne semblent pas bénéficier des dérogations prévues aux alinéas 2 et 3 de l’article L.4113-6 du CSP, relatifs aux activités de recherche et à l’hospitalité offerte. La rédaction initiale de ces deux alinéas est, en effet, restée inchangée.
Le LEEM (association professionnelle regroupant les entreprises du médicament en France) s’en est ému en concluant que « l’extension du champ de l’interdiction des avantages aux associations, sans prévoir les dérogations corrélatives pour les activités de recherches et les hospitalités (…) conduit stricto sensu à interdire toutes les activités avec les associations de professionnels de santé ».
Il semble difficile de croire que le législateur – aussi soucieux qu’il soit de prévenir les conflits d’intérêts – ait projeté de priver ainsi de ressources bon nombre d’associations scientifiques, au risque de les voir disparaître les unes après les autres.
Une lettre du 25 janvier 2012 de la Direction Générale de la Santé (DGS) semble témoigner d’une prise de conscience tardive sur les conséquences qu’emporterait l’extension du principe d’interdiction des avantages aux associations (sans que ces dernières puissent bénéficier des dérogations corrélatives). Ainsi, la DGS s’est-elle exprimée : « l’intention du législateur est que les étudiants (…), les membres des professions médicales et les associations les représentant bénéficient tous du même traitement que ce soit pour le principe de l’interdiction, des dérogations et de la transparence ».
Du coup, le LEEM d’en conclure dans sa circulaire du 26 janvier 2012 : « (…) le LEEM a obtenu de la DGS un courrier précisant qu’elles [les associations] auront en fait les mêmes dérogations que les professionnels de santé. Il s’agirait donc d’un oubli et il y aura une « tolérance administrative » sur ce point ». Il serait donc toujours possible de conclure des conventions de recherche et d’hospitalité avec les associations scientifiques.
Reste à voir si et comment le décret d’application (toujours en attente de publication à ce jour) viendra atténuer les rigueurs de la loi ou remédier à cet oubli.
b) Obligation de soumettre toutes les conventions aux instances ordinales
Jusque-là, il était d’usage – en tout cas, c’est ce que nous préconisions – de soumettre toutes les conventions (et non pas uniquement celles relatives seulement aux prestations de recherches ou d’hospitalité) aux instances ordinales pour avis.
Désormais, cette obligation légale existe spécifiquement et a été insérée à l’alinéa 4 de l’article L.4113-6 du CSP par la loi n°2011-2012 : toutes les conventions passées, quelles qu’elles soient, entre entreprises et professionnels de santé doivent, avant leur mise en application, être soumises pour avis préalable aux instances ordinales (conseil départemental ou conseil national suivant leur champ d’application).
Aux termes du même nouvel alinéa, il appartiendra aux entreprises de soumettre les conventions concernées à l’instance ordinale compétente et de l’informer de la mise en application effective de la convention (ce qui aura pour mérite d’éclairer ladite instance sur la considération réservée à son avis, fût-il défavorable !).
c) Obligation de publication des conventions
Jusque-là et depuis 2010, les entreprises étaient obligées de fournir, chaque année, à la Haute Autorité de Santé (HAS) la liste des associations de patients qu’elles soutiennent et le montant des aides de toute nature qu’elles leur ont procurées l’année précédente (article L.1114-1 du CSP).
Dans le sillage du Sunshine Act américain, la loi n°2011-2012 prescrit désormais une obligation de publication des conventions conclues entre les industriels et les professionnels de santé.
Ainsi, aux termes de l’article L.1453-1 du CSP, les entreprises produisant ou commercialisant les produits mentionnés à l’article L.5311-1 (cf. note de bas de page 3) ainsi que celles « assurant des prestations associées à ces produits » doivent rendre publiques toutes les conventions qu’elles concluent avec les professionnels de santé, les associations de professionnels de santé, les étudiants se destinant aux professions de santé, les associations d’usagers, les établissements de santé, les fondations, les entreprises et organismes de presse spécialisée, les éditeurs de logiciels d’aide à la prescription et les personnes morales dédiées à la formation initiale des professionnels de santé.
En outre, cette obligation de publication s’impose à tous les avantages, en nature ou en espèces, que ces mêmes entreprises procurent aux professionnels de santé, à partir du moment où ces avantages atteindront un certain seuil fixé par décret.
Il convient de relever que cette nouvelle obligation légale est assortie d’une amende pénale de 45.000 euros, applicable au défaut de publication ; étant précisé que le contrevenant personne physique est également passible des peines complémentaires prévues à l’article L.1454-4 du CSP.
Pour les personnes morales rendues responsables pénalement (article L.1454-5 du CSP), l’amende prévue à l’article L.1454-3 du CSP pour défaut de publication peut atteindre 225.000 euros (avec les peines complémentaires d’usage).
A ce jour, le décret – tant attendu – n’est toujours pas paru : les modalités de publication, l’identité des autorités auxquelles adresser cette publication, la nature des informations à publier demeurent, pour l’heure, inconnues.
Pour autant, et c’est le problème, la loi a prévu, en son article 41 II, que : « les présentes dispositions s’appliquent à compter de la date de publication du décret pris pour l’application de l’article L. 1453-1 et au plus tard le 1er août 2012 pour les conventions appliquées ou conclues et les avantages accordés et rémunérations versées à compter du 1er janvier 2012 ».
Cela signifierait donc qu’à défaut de décret publié rapidement, ce qui est le cas, les entreprises devraient néanmoins se conformer aux exigences de publication prescrites à l’article L.1453-1 pour le 1er août 2012 (alors même qu’elles sont, pour le moment, dans le flou le plus total – en l’absence de décret – sur les modalités pratiques de publication)
A notre sens et suivant le principe de légalité des peines, la condamnation des entreprises ne s’étant pas conformées, au 1er août 2012, à l’obligation prescrite à l’article L.1453-1 du CSP, nous paraît, pour l’heure, improbable.
Toutefois, nous ne saurions que trop inviter les entreprises concernées par cette réforme à s’atteler sérieusement à la préparation de la liste des conventions qu’elles ont conclues avec les professionnels de santé, de manière à pouvoir accomplir les formalités de publication, dès que le décret d’application paraîtra.
De manière générale, nul doute que cette nouvelle obligation de publication engendrera, à la charge des entreprises, une importante réorganisation interne (en termes de personnels et de mise en place d’outils informatiques), pour gérer ces formalités de déclaration qui vont générer un surcroît de travail pour les entreprises.
En amont, un contrôle du contenu des conventions s’avère indispensable : la transparence étant désormais généralisée, une convention dont le contenu est illicite ne passera plus inaperçue…