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Publié le 11 décembre 2017 par Soulier Avocats

Le télétravail selon la Réforme du Droit du travail : un encadrement du dispositif qui ne va pas nécessairement dans le sens de la simplification

Le télétravail a décidemment le vent en poupe ! Déjà en 2012, nous décrivions dans notre article « Vers un développement du télétravail ? »[1] son entrée dans le Code du travail par la Loi du 22 mars 2012, et présentions ce mode d’organisation du travail comme un véritable phénomène de société. Aujourd’hui, le télétravail est une réalité dans le quotidien de nombreux salariés français, en particulier dans les grandes agglomérations.

C’est donc tout naturellement que la question du télétravail a été mise sur le tapis des négociations qui ont eu lieu cet été pour préparer la Réforme du Droit du travail. L’objectif était de rendre plus simple l’accès à ce mode d’organisation du travail en passe de devenir commun, et de prévoir un dispositif sécurisant pour les salariés. L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 est ainsi venue redéfinir le cadre juridique du télétravail mais sans réellement aller dans le sens de la simplification.

Selon un sondage réalisé par Vivastreet, site de petites annonces, environ 3 millions sur 26 millions d’actifs français travaillent actuellement au moins un jour à la maison. Ce mode d’organisation qui est déjà beaucoup utilisé par les groupes internationaux qui ont recours à des salariés isolés en France, se développe à grande vitesse dans tous les secteurs d’activités, même s’il existe, selon le sondage Vivastreet, des secteurs plus « éligibles » au télétravail que d’autres comme l’immobilier, l’informatique, les métiers du web et télécoms ou encore la comptabilité/gestion, dans des entreprises de toute taille.

C’est donc tout naturellement que la question du télétravail a été mise sur le tapis des négociations qui ont eu lieu cet été pour préparer la Réforme du Droit du travail. L’objectif était de rendre plus simple l’accès à ce mode d’organisation du travail en passe de devenir commun (selon une étude de la Fondation Concorde – un think tank libéral -6,7 millions d’actifs sont « éligibles » au télétravail) et de prévoir un dispositif sécurisant pour les salariés.

L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 est ainsi venue redéfinir le cadre juridique du télétravail mais sans réellement aller dans le sens de la simplification.

(i) Une nouvelle définition du télétravail

Le Code du travail désigne le télétravail comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication » (Art. L.1222-9 du Code du travail).

Auparavant, le Code du travail prévoyait que le télétravail devait se faire de « façon régulière ».

La suppression du caractère régulier du télétravail ouvre ainsi la possibilité de mise en place d’un télétravail ponctuel (lié par exemple à une situation familiale, des contraintes personnelles temporaires etc.). Le télétravail peut être prévu soit exclusivement à domicile, soit en alternance avec des périodes de travail dans les locaux de l’entreprise.

(ii) Un cadre juridique de mise en place du télétravail plus contraignant

La loi n’impose plus la mise en place du télétravail dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci.

  • Désormais, le télétravail permanent doit être mis en place par accord collectif ou à défaut par le biais d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social économique, s’il existe (art. L.1222-9 al.2 du Code du travail).

L’accord collectif applicable ou, à défaut, la charte élaboré(e) par l’employeur précise obligatoirement a minima :

1° Les conditions de passage en télétravail et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ;

2° Les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ;

3° Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;

4° La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.

A ces quatre conditions légales, s’ajoutent notamment les modalités de prise en charge des coûts du télétravail.

Au final, l’on notera que l’accord collectif ou la charte doivent contenir les clauses qui étaient jusqu’alors intégrées directement dans le contrat de travail ou l’avenant de télétravail.

Si ce nouveau dispositif de mise en place du télétravail par accord collectif ou chartre apparaît efficace pour les grandes entreprises et entreprises de taille moyenne, il représente en revanche une nouvelle contrainte sociale s’agissant de petites entreprises ou entreprises étrangères ayant un salarié ou quelques salariés isolé(s) sur le territoire français et qui se retrouvent dans l’obligation de conclure une charte d’entreprise pour parfois un seul télétravailleur !

L’autre contrainte de ce nouveau dispositif est qu’il fige les principales modalités du télétravail (comme la détermination des plages horaires de disponibilité du télétravailleur ou encore les modalités de prise en charge des coûts qui doivent impérativement figurer dans l’accord ou la charte) et crée une certaine rigidité, alors que ces modalités pouvaient auparavant être adaptées pour chaque cas spécifique de télétravail. Ainsi, au motif de créer de la « sécurité » pour les salariés, le nouveau dispositif prive finalement les deux parties d’une flexibilité dans la négociation des conditions particulières d’organisation du télétravail !

  • S’agissant du télétravail occasionnel, le Code du travail prévoit fort heureusement qu’il peut être formalisé entre le salarié et l’employeur « par tout moyen » (art. L.1222-9 al.3 du Code du travail). Ainsi, nul besoin de mettre en place un accord collectif ou une charte dans l’entreprise ni même de signer un avenant au contrat de travail pour accepter la demande ponctuelle d’un salarié de travailler exceptionnellement une journée de chez lui parce que son enfant est malade.

(iii) Une nouvelle obligation pour l’employeur : celle de motiver son refus

Le Code du travail entérine la possibilité pour l’employeur de refuser la demande d’un salarié éligible au télétravail. Néanmoins, ce droit au refus est assorti d’une obligation pour l’employeur de motiver sa décision. L’employeur doit ainsi donner une raison objective dans l’intérêt de l’entreprise, et non bien évidemment une raison fondée sur un motif discriminatoire. On voit déjà poindre le risque de développement d’un contentieux sur ce sujet, dans lequel les salariés contesteront le bien-fondé du refus de leur employeur en indiquant par exemple une discrimination par rapport à un autre salarié auquel le télétravail aurait été autorisé…

Il est toutefois possible pour l’employeur de fixer dans l’accord collectif ou la charte une catégorie de postes « éligibles » au télétravail (et a contrario de refuser l’accès au télétravail à certains postes). Dans ce cas, l’obligation de motivation du refus ne s’applique que pour les salariés qui occupent un poste « éligible » au télétravail dans les conditions prévues par l’accord collectif ou la charte (art. L.1222-9 al.6 du Code du travail).

(iv) Un risque accentué pour l’employeur en matière de sécurité au travail : l’instauration d’une  présomption d’accident du travail

Désormais, lorsqu’un accident survient sur le lieu et pendant le temps du télétravail, celui-ci est présumé être un accident du travail. Cette présomption s’applique aussi bien au télétravail régulier que ponctuel.

En conclusion, si ce nouveau dispositif ne fait qu’entériner des pratiques déjà existantes dans les grands groupes, il est à craindre qu’il ne freine les petites entreprises dans la mise en place d’un télétravail régulier /permanent. Le développement de contentieux liés aux situations de télétravail n’est pas à exclure non plus. Si la Réforme du Droit du travail va plutôt dans le sens de la flexibilisation, le dispositif de télétravail semble toutefois ne pas s’inscrire dans cette tendance. Espérons que cette tentative bienveillante de « sécurisation » du télétravail (a priori favorable aux salariés) n’ait pas l’effet inverse de celui escompté et conduise à une diminution du télétravail en France, ce qui serait contraire aux tendances actuelles en France et partout dans le monde.

[1] Vers un développement du télétravail ?, Entreprise & Carrières, juillet 2012.