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Publié le 29 mai 2020 par Anaëlle Idjeri

Le Tribunal de Commerce de Paris considère que le Covid-19 constitue un cas de force majeure

Le 20 mai dernier, le Président du Tribunal de commerce de Paris statuant en référé a considéré que les conditions de la force majeure prévue par l’accord-cadre signé par EDF et TOTAL DIRECT ENERGIE étaient réunies et a ordonné à EDF d’accepter la suspension de cet accord-cadre.

Avant d’être débattue devant le Tribunal de commerce, la clause de force majeure avait déjà été débattue devant le juge des référés du Conseil d’Etat le 17 avril dernier.

Pour rappel, la conclusion d’un accord-cadre est un préalable au droit pour un fournisseur alternatif d’acheter de l’énergie auprès d’EDF au titre de l’ARENH (« Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique »).

Or, la déclaration de l’état de crise sanitaire en mars 2020 a provoqué une diminution considérable de la consommation et des prix de marché de l’électricité. Les fournisseurs d’énergie ne pouvant plus écouler l’énergie achetée à EDF par anticipation pour l’année 2020, ont été contraints de la vendre à bas prix sur les marchés.

Dans ces circonstances, un certain nombre de fournisseurs alternatifs ont choisi d’invoquer en référé devant le Conseil d’Etat la clause de force majeure prévue dans le contrat-cadre selon laquelle « la force majeure désigne un évènement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables ».

Le 26 mars 2020, la Commission de Régulation de l’Energie (« CRE ») a constaté l’existence d’un désaccord entre EDF et les bénéficiaires de l’ARENH et a considéré que les conditions de la force majeure n’étaient pas réunies refusant ainsi de corriger les volumes devant être livrés au titre du dispositif.

Un recours pour excès de pouvoir et une requête en référé aux fins de suspension provisoire ont été présentés au Conseil d’Etat. Le 17 avril 2020, la demande de suspension provisoire a été rejetée considérant que les requérants ne caractérisaient pas l’urgence nécessitant que la délibération soit suspendue, d’autant plus que, selon elle, une solution amiable pouvait toujours être trouvée. La procédure au fond se poursuit.

C’est dans ce contexte que TOTAL DIRECT ENERGIE a – en tant que bénéficiaire de l’ARENH – saisi le Tribunal de commerce de Paris en référé.

TOTAL DIRECT ENERGIE considérait que l’opposition d’EDF d’accepter l’existence d’un cas de force majeure, et en conséquence de suspendre le contrat-cadre, constituait un trouble manifestement illicite, dans la mesure où ledit contrat prévoyait que dès la survenance de l’évènement de force majeure, les obligations des parties devaient être suspendues, ce qui entraîne l’interruption de plein droit de la cession annuelle d’électricité.

Elle prétendait également que la définition de la force majeure avait été aménagée par le contrat,  dans la mesure où l’exécution ne pouvait continuer que dans des « conditions économiques raisonnables ». Or, TOTAL DIRECT ENERGIE soutenait qu’elle était contrainte de céder sur un marché particulièrement faible les quantités achetées auprès d’EDF non consommées par ses clients en raison des restrictions d’activité imposées par les pouvoirs publics.

De son côté, EDF considérait que sa cocontractante ne démontrait pas être confrontée à une impossibilité d’exécution dans la mesure où l’exécution se traduisait, notamment, par la prise de livraison des volumes réservés et le paiement des factures correspondantes. EDF soutenait que TOTAL DIRECT ENERGIE n’invoquait pas une impossibilité d’exécution, mais une volonté de remettre en cause l’accord. Elle rappelait également que la jurisprudence relative à la force majeure est inapplicable à une obligation contractuelle de somme d’argent.

La défenderesse faisait également valoir que TOTAL DIRECT ENERGIE pouvait se fournir en énergie au prix de l’ARENH, que le prix de marché n’était pas dans le champ contractuel et qu’en tout état de cause, la clause de force majeure ne pouvait être appliquée de manière unilatérale.

EDF prétendait ainsi justifier d’une contestation sérieuse, en ce que l’interprétation de la clause sollicitée par TOTAL DIRECT ENERGIE excédait les pouvoirs du juge des référés et que la demanderesse ne démontrait aucunement la preuve de l’existence d’un dommage imminent. 

La RTE, en tant que gestionnaire du réseau public de transport de l’électricité, et l’Association Française Indépendante de l’Electricité et du Gaz étaient également parties à la présente procédure.

Le Président du Tribunal de commerce de Paris a fait droit à la demande de TOTAL DIRECT ENERGIE en retenant notamment que si la crise du Covid-19 ne rend pas impossible l’exécution par TDE de ses obligations contractuelles s’agissant notamment de la réception des quantités commandées et du paiement, « cette analyse ne tient pas compte de la totalité de la force majeure par l’article 10 du contrat liant les parties qui inclut également l’exécution des obligations dans des conditions économiques raisonnables ».

A cet égard, le Président du Tribunal de commerce retient que « la notion de conditions économiques raisonnables ne fait l’objet d’aucune définition » et que « son lien avec la survenance d’un évènement de force majeure permet toutefois de supposer un bouleversement des conditions économiques antérieures qui se traduit par la survenance de pertes significatives nées de l’exécution du contrat ». Dans ces conditions, l’ordonnance retient que les conditions de la force majeure sont réunies.

En conséquence, le Président du Tribunal de commerce retient que, selon l’accord-cadre, la survenance d’un cas de force majeure entraîne de plein droit la suspension immédiate de son exécution et l’interruption de la cession annuelle d’électricité. Dès lors, l’ordonnance considère que « cette automaticité n’autorise pas, à ce stade, une discussion sur les circonstances alléguées par la partie qui met en œuvre les dispositions des articles 10 et 13 de l’accord précité ».

Le Tribunal ordonne ainsi à EDF de « ne plus s’opposer à l’application de l’accord-cadre (…) et notamment aux dispositions relatives à la suspension de son exécution » et en conséquence, de « faire tout ce qu’il y a lieu en vue de parvenir à l’interruption de la cession annuelle d’électricité ».

EDF a d’ores et déjà annoncé qu’elle entendait interjeter appel de cette ordonnance.

Le 27 mai 2020, le Tribunal de commerce de Paris a, à nouveau, confirmé la possibilité pour un fournisseur alternatif d’énergie, en l’occurrence GAZEL ENERGIE, d’invoquer l’existence d’un cas de force majeure et de suspendre en conséquence ses engagements.

Le débat sur la qualification de l’épidémie de Covid-19 comme constituant un cas de force majeure est désormais ouvert devant les juridictions commerciales.