L’enlèvement international d’enfant
Déplacer un enfant à l’étranger sans l’autorisation de l’autre parent ou en l’absence de décision judiciaire peut être une décision lourde de conséquences. Pour autant, ces situations sont de plus en plus fréquentes.
Un parent ne peut impunément priver un enfant de son environnement familial et par voie de conséquence de la présence de son autre parent.
Une coopération internationale a été organisée par l’adoption de conventions bilatérales ou multilatérales pour apporter une réponse efficiente aux parents victimes.
Une question ultime se pose dans chaque situation : quel est l’intérêt de l’enfant ?
Le fait pour un parent de déplacer un enfant à l’étranger est considéré comme illicite dès lors que ce déplacement est commis en violation de l’exercice de l’autorité parentale ou du droit de garde reconnus à l’autre parent, par le droit de l’État dans lequel résidait habituellement l’enfant mineur.
En France, le choix de la résidence habituelle d’un enfant mineur résulte de l’exercice de l’autorité parentale, définie par l’article 371-1 du Code civil comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant », et appartient aux deux parents, lorsqu’ils n’en sont pas déchus.
Tout changement de pays de résidence de l’enfant doit donc faire l’objet d’un accord préalable de l’autre parent ou de l’autorisation du Juge aux Affaires Familiales.
Cette situation d’enlèvement international d’enfant concerne les couples binationaux, ou les couples de même nationalité expatriés dans un pays n’étant pas le pays d’origine des parents.
La difficulté réside dès lors dans l’intervention de plusieurs systèmes juridiques et de diverses législations.
Ces situations sont, pour autant, de plus en plus fréquentes et les États ont décidé de coopérer judiciairement et administrativement au niveau international pour apporter une réponse efficiente et immédiate aux parents victimes, notamment par la signature de conventions bilatérales ou multilatérales.
La création d’une autorité centrale
La signature de conventions bilatérales ou multilatérales implique pour les États signataires la création d’une autorité centrale.
En France il s’agit du Bureau du droit de l’Union du droit international privé et de l’entraide civile, situé à Paris 1er – 13 Place Vendôme.
Cette autorité centrale peut être saisie soit en qualité d’autorité requise lorsqu’un enfant a été déplacé illicitement sur le territoire français ou en qualité d’autorité requérante lorsqu’un enfant, dont la résidence habituelle était jusqu’alors fixée en France, a fait l’objet d’un déplacement dans un autre État.
L’autorité centrale du pays requérant doit être saisie par le parent victime, laquelle adresse la demande à l’autorité centrale du pays requis.
Cette dernière saisit à son tour le Procureur de la République territorialement compétent.
A ce titre, il convient de préciser qu’en France tous les Tribunaux Judicaires ne sont pas compétents pour connaître des procédures d’enlèvements internationaux d’enfants.
Seul un Tribunal Judiciaire par ressort de Cour d’Appel est désigné pour traiter ces dossiers.
Outre la saisine de l’autorité centrale, il peut être opportun d’assigner directement le parent auteur du déplacement illicite, dans le cas où le traitement de la demande ne serait pas suffisamment rapide.
Si l’État où se trouve l’enfant n’a pas signé de conventions bilatérale ou multilatérale avec la France, l’autorité centrale ainsi créée n’est pas compétente, ne disposant pas de fondement conventionnel pour intervenir.
Si le requérant ou l’enfant est de nationalité française, Le Ministère des Affaires Étrangères, en lien avec les autorités consulaires, sera compétent.
Si le requérant est de nationalité étrangère, il faudra s’adresser directement aux autorités consulaires.
Parallèlement, une Cellule de Médiation Familiale Internationale (CFMI) a été créée afin de favoriser la communication des parents résidant dans des pays différents dans l’intérêt de l’enfant, et de tenter de résoudre les conflits.
L’intervention de cette cellule ne se substitue pas pour autant à la procédure judiciaire.
Les textes applicables
Afin de favoriser cette coopération, la France a ratifié des accords bilatéraux avec près de 18 pays, mais également des accords multilatéraux.
Si seul un accord bilatéral a été signé entre la France et l’État dans lequel a été déplacé l’enfant, c’est cet accord qui devra être appliqué.
Dans les autres cas, il sera fait application des accords multilatéraux, à la condition que ces États soient tous deux signataires desdits accords.
En matière d’enlèvement international d’enfants, trois textes ont vocation à s’appliquer.
La convention de Luxembourg du 20 mai 1980 sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants, et le rétablissement de la garde des enfants[1]
L’application de cette convention multilatérale est subordonnée à l’existence d’une décision de justice.
Elle a été adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe. Son application semble être, à ce jour, réduite depuis l’adoption du Règlement Bruxelles II Bis au sein de États membres de l’Union Européenne mais conserve tout son intérêt pour les pays seuls membres du Conseil de l’Europe.
L’avantage principal de cette convention est d’autoriser l’application immédiate d’une décision de justice sans qu’il soit besoin d’avoir recours à la procédure d’exequatur.
Elle facilite la reconnaissance et l’exécution des décisions relatives à la garde des enfants mineurs dans un État contractant dès lors qu’elles sont « exécutoires dans l’État d’origine. » (article 7)
Si la saisine de l’autorité centrale intervient dans un délai de 6 mois à compter du déplacement illicite de l’enfant, le principe est le retour immédiat de celui-ci à son lieu de résidence habituelle, sur la base de la seule constatation des faits de déplacement illicite, à condition que :
« Lorsqu’au moment de l’introduction de l’instance dans l’État où la décision a été rendue ou à la date du déplacement sans droit, si celui-ci a eu lieu antérieurement, l’enfant ainsi que ses parents avaient la seule nationalité de cet État et que l’enfant avait sa résidence habituelle sur le territoire dudit État » (article 8)
Il en est de même lorsqu’à « l’expiration de la période convenue l’enfant, ayant été emmené à l’étranger, n’a pas été restitué à la personne qui en avait la garde. »
Lorsque ces conditions ne sont pas remplies mais que la saisine de l’autorité centrale est intervenue dans un délai de 6 mois à compter du déplacement illicite, le retour immédiat de l’enfant est subordonné à des conditions plus strictes. (article 9)
Dans le cas où la demande est intervenue au-delà du délai de 6 mois, le rétablissement de la garde est soumis à de plus nombreuses conditions puisqu’il doit être pris en compte le fait que l’enfant a pu s’intégrer dans son nouvel environnement. (article 10)
A cet effet, l’article 10 dispose notamment que le retour peut également être refusé dans le cas où « il est constaté que les effets de la décision sont manifestement incompatibles avec les principes fondamentaux du droit régissant la famille et les enfants dans l’Etat requis »
La Convention de la Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants entrée en vigueur le 1er décembre 1983[2]
Il s’agit de l’instrument majeur en matière de gestion d’enlèvement international d’enfant.
Pour autant, cette convention n’a pas encore été ratifiée par tous les États, et compte à ce jour une centaine d’États signataires.
Cela peut poser de nombreuses difficultés puisque pour qu’il puisse être fait application de cette convention, elle doit avoir été ratifiée par les deux États, à savoir l’État requérant et l’État requis.
A ce titre, il doit être précisé que les États fondateurs de la Convention de la Haye bénéficient d’un privilège face aux États ayant ratifié la convention plus tardivement.
A cet effet, la France peut faire le choix de ne pas être liée par les termes de la Convention de la Haye dans ses rapports avec les nouveaux entrants.
L’objectif de la Convention de la Haye est le traitement rapide des cas d’enlèvements internationaux d’enfants considérant que tout déplacement d’un mineur hors de sa résidence habituelle sans l’accord de l’un des détenteurs de l’autorité parentale ou de droit de garde porte forcément atteinte à l’intérêt de l’enfant et constitue une voie de fait.
Le principe est le même que celui de la Convention du Luxembourg, à savoir le retour immédiat de l’enfant à sa résidence habituelle.
La différence réside dans le fait que la Convention de la Haye n’exige pas l’existence d’une décision préalable.
Pour autant, la Convention de la Haye n’a pas vocation à statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale ou du droit de garde.
Il suffit du simple constat de l’illicéité du déplacement pour que le retour immédiat de l’enfant puisse être ordonné.
L’article 13 de ladite convention envisage certains cas pouvant permettre de s’opposer au retour :
- Le non exercice par le parent qui se prétend victime de son droit de visite et d’hébergement avant le déplacement,
- L’acquiescement postérieur donné par le même parent au déplacement ou au non-retour,
- Le danger physique ou psychique que pourrait constituer la réintégration de ce dernier dans l’État de sa résidence habituelle.
Cette notion de danger fait l’objet d’une appréciation souveraine des juges du fond, qui adoptent une interprétation extensive, considérant que ce danger peut être lié au comportement du parent demandeur, ou encore être d’ordre sanitaire, géopolitique….
- L’opposition du mineur à son retour « s’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion ».
La demande de retour doit être introduite dans un délai d’un an à compter du déplacement.
Si la demande est introduite au-delà du délai d’un an, les autorités peuvent s’opposer au retour dans le cas où l’enfant s’est intégré à son nouveau milieu. (article 12)
Les autorités judiciaires ou administratives doivent statuer dans un délai de 6 semaines. (article 11)
Le règlement européen n°2201/2003 dit Bruxelles II bis du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale [3]
Si l’État dans lequel est déplacé l’enfant est membre de l’Union Européenne, il sera fait application du règlement européen n°2201/2003 dit Bruxelles II bis du 27 novembre 2003, et de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980.
Le règlement Bruxelles II bis entré en vigueur en mars 2005 a permis d’accroître l’efficacité des dispositions de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980, et prévaut sur la Convention de Luxembourg.
A cet effet, l’article 11 du règlement Bruxelles II Bis réaffirme la primauté des juridictions du lieu de résidence habituelle de l’enfant mineur.
Cela signifie que si les juridictions de l’État au sein duquel l’enfant a été déplacé rendent une ordonnance de non-retour de l’enfant en application de l’article 13 de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980, le Tribunal de l’État requérant peut rendre un jugement ordonnant le retour de l’enfant.
Ce jugement sera reconnu et exécuté dans tous les États membres sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’exéquatur de ladite décision.
Cet article permet donc que les juridictions de l’État de résidence habituelle de l’enfant mineur puissent rendre une décision sur le fond du dossier, c’est-à-dire sur les modalités d’organisation de vie de ce dernier.
Cette possibilité issue du Règlement Bruxelles II Bis ne sera applicable qu’aux États membres de l’Union Européenne, à l’exception du Danemark qui n’a pas ratifié ledit règlement.
Le principe est également le retour de l’enfant à son lieu de résidence habituelle.
S’il existe une décision sur le fond rendue par le Tribunal du pays de déplacement en contradiction avec une décision sur le fond rendue par le Tribunal du pays d’origine, c’est cette dernière qui sera applicable si elle satisfait à plusieurs conditions.
Le Tribunal de l’État de résidence habituelle de l’enfant mineur doit notamment avoir pris en considération les motifs et les éléments de preuve exposés dans la décision de l’État où a été déplacé l’enfant.
Un certificat sera délivré par l’État de résidence habituelle et la décision sera reconnue et exécutoire sans que l’exequatur soit nécessaire.
La jurisprudence
Les autorités judiciaires veillent à ce que l’intérêt de l’enfant soit préservé et sont confrontées à un exercice périlleux et méticuleux.
Cet intérêt consiste tant à permettre à l’enfant d’entretenir des relations personnelles régulières avec chacun de ses parents, que de le protéger d’agissements d’un parent maltraitant.
Le parent à l’origine du déplacement illicite de l’enfant a-t-il agi pour protéger l’enfant d’un parent dangereux ? ou était-ce par pure convenance personnelle ? Comment évaluer le danger encouru par l’enfant ?
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a eu l’occasion à plusieurs reprises de statuer en matière d’enlèvement international d’enfant, et il a pu être constaté que c’est le plus souvent le parent auteur de l’enlèvement qui est à l’origine de sa saisine.
Le débat porte essentiellement sur la notion de risque grave encouru par l’enfant par son retour dans son pays d’origine.
Un arrêt récent de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans une affaire où la France avait été mise en cause par le père, auteur du déplacement de l’enfant, nous donne une illustration de la jurisprudence européenne sur l’appréciation de l’intérêt de l’enfant.
Le requérant, auteur du déplacement de l’enfant, reprochait « qu’aucune des décisions rendues par les juridictions internes n’a apprécié le danger qu’encourait l’enfant en cas de retour auprès de sa mère en tenant compte du traumatisme qu’une nouvelle séparation de son nouvel environnement représenterait pour lui » ; précisant que « ce traumatisme avait été clairement mis en évidence par un certificat médical ».
La Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans cet arrêt LACOMBE contre France du 10 octobre 2019[4], a considéré que la France n’avait pas violé l’article 8 de la CESDH en ordonnant le retour de l’enfant aux États-Unis auprès de sa mère.
La CEDH a pu indiquer que « l’allégation de risque grave en cas de retour de l’enfant a fait l’objet d’un examen effectif, fondée sur des éléments invoqués par le requérant au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant. »
Les juridictions françaises ont équitablement apprécié les valeurs protégées en cause à savoir l’intérêt de l’enfant et le respect de la vie privée et familiale.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a pu indiquer que :
« Le Tribunal de première instance a bien examiné les allégations de danger soutenues par le requérant et y a répondu par une motivation circonstanciée et non stéréotypée. (…)
A aucun moment la Cour d’Appel n’a exclu ce certificat médical ou refusé d’examiner une allégation de risque grave. Au contraire, la Cour d’Appel a considéré que l’enfant ne courrait aucun danger auprès de sa mère, après avoir visé les pièces fournies au dossier. (…)
La Cour de Cassation a effectivement contrôlé que la Cour d’Appel d’Aix-en Provence avait suffisamment motivé sa décision de retour au regard de l’article 13b° de la Convention et de l’intérêt supérieur de l’enfant. »
Que faire ?
Dans le cas où un enfant est déplacé par l’un de ses parents, le parent victime peut déposer plainte pour non présentation d’enfant, infraction prévue à l’article 227-5 du Code pénal qui punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, « le fait de refuser indûment de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer ».
L’article 227-9 du Code pénal prévoit des circonstances aggravantes lesquelles trouvent à s’appliquer en cas d’enlèvement international.
La plainte pour non présentation d’enfant entraînera la diffusion d’un mandat d’arrêt international et l’intervention d’Interpol dans la recherche du parent, auteur du déplacement illicite de l’enfant.
Si l’un des parents craint que l’autre puisse déplacer illicitement l’enfant, celui-ci peut solliciter l’inscription de l’enfant sur le fichier des personnes recherchées auprès du Juge aux Affaires Familiales.
Cette inscription empêche que l’enfant quitte le territoire sans l’accord de ses deux parents.
Le simple doute d’un parent ou la différence de nationalité ne saurait suffire à emporter la conviction du Juge et l’inciter à prononcer une interdiction de sortie de territoire.
Le Juge fixe la durée de cette interdiction qui peut être valable jusqu’à la majorité de l’enfant.
En cas de conflit et de suspicion de départ imminent, il est également possible d’avoir recours à l’opposition à la sortie du territoire. Cette demande s’effectue auprès de la Préfecture ou de la sous-Préfecture ou à défaut auprès des services de Gendarmerie ou de Police.
Cette mesure administrative est conservatoire et ne sera valable que durant 15 jours.
[1] https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/rms/0900001680078b10
[2] https://assets.hcch.net/docs/201a7bd7-c092-4108-a21d-e9c3db1790c0.pdf
[3] http://www.justice.gouv.fr/art_pix/reglement_2201_2003.pdf
[4] CEDH 10 octobre 2019 Arrêt LACOMBE contre France – Requête n°23941/14