Les baux commerciaux à l’épreuve du Covid-19
La fermeture de nombreuses entreprises depuis la mise en place du premier confinement en mars 2020 et le ralentissement de l’activité qui en a résulté, ont provoqué de vives tensions entre bailleurs et locataires commerciaux, déjà portées pour certaines devant les tribunaux français. La loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire est venue compléter les mesures prises par le gouvernement dès mars 2020 concernant l’exécution des baux commerciaux.
L’occasion de s’interroger sur le sort des baux commerciaux face aux mesures d’urgence sanitaire, ainsi que sur les options dont preneurs et bailleurs disposent réellement aujourd’hui pour surmonter cette crise sans précédent.
Décryptage des mesures sanitaires appliquées aux baux commerciaux
1. Pour soutenir l’économie face aux graves répercussions de la crise sanitaire, le gouvernement a été autorisé, par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020[1], à prendre par ordonnance toute mesure permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer au pénalités et suspensions susceptibles de s’appliquer en cas de non-paiement par le locataire.
2. Aux termes de deux ordonnances du 25 mars 2020[2], le Gouvernement a aménagé une protection des preneurs à bail commerciaux face au risque de résolution du contrat en cas de non-paiement du loyer durant la crise sanitaire.
L’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 est applicable à tous les contrats et prive temporairement d’effet les clauses résolutoires pendant un période juridiquement protégée comprise entre le 12 mars et le 23 juin 2020.
L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 interdit l’application de pénalités ou d’une clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers et charges locatives dont l’échéance intervenait au cours d’un période protégée allant du 12 mars au 11 septembre 2020 (deux mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire). Elle ne peut cependant être invoquée que par les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique, susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er du décret 2020-371 du 30 mars 2020.
Par le jeu des retouches successives des dispositions sur le fonds de solidarité, les mesures protectrices de l’ordonnance 2020-316 (article 4) devraient désormais s’appliquer à toute personne de droit privé non contrôlée par un holding, ayant fait l’objet d’une fermeture administrative en mars 2020 ou ayant perdu plus de 50% de son chiffre d’affaires, n’employant pas plus de 10 personnes et dont le dernier chiffre d’affaire est inférieur à 1.000.000 euros.
Ces deux textes neutralisent certaines des sanctions encourues par le locataire en cas de défaut de paiement des loyers pendant la crise sanitaire, mais ne suspendent pas l’exigibilité de ces loyers.
3. A l’automne, de nouvelles mesures de confinement ont été annoncées et le Gouvernement a décrété la prorogation de l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 pour une période d’un mois.
4. La loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 a autorisé la prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 févier 2021 et adopté diverses mesures de gestion de la crise sanitaire concernant notamment les relations entre bailleurs et locataires[3].
Sont concernés par le dispositif les locataires, personnes physiques et morales de droit privé, exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en raison de l’épidémie (notamment couvre-feu, règlementation concernant l’ouverture au public, les réunions et activités sur la voie publique et les lieux ouverts au public, les établissements ayant fait l’objet d’une fermeture provisoire ou ouverture réglementée).
La fermeture de l’entreprise ne semble pas requise dès lors qu’il suffit que l’activité ait été affectée par une mesure de police. En revanche, en présence de plusieurs établissements, l’entreprise ne pourra se prévaloir de ce dispositif que pour les locaux affectés par la mesure administrative.
La loi précise par ailleurs qu’outre cette condition, des critères d’éligibilité supplémentaires (en particulier, nombre de salariés, chiffre d’affaires et perte de chiffre d’affaires) seront définis dans un futur décret.
Sur les mesures adoptées en vue d’alléger les sanctions financières ou autres, encourues par le locataire défaillant, les loyers et charges locatives demeurent exigibles mais le défaut de paiement ne sera pas (immédiatement) sanctionnable.
C’est ainsi que les entreprises concernées ne peuvent (i) ni se voir imposer des intérêts ou pénalités financières (ii) ni encourir toutes actions, sanctions, mesures conservatoires ou voies d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux concernés par une mesure de police administrative.
Le texte précise également que les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en œuvre.
Ces mesures bénéficient aux locataires éligibles au dispositif jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police.
A l’expiration de ce délai, le bailleur retrouvera ses droits. Il pourra poursuivre le locataire défaillant ainsi que ses éventuels garants ou reprendre les procédures d’exécution suspendues.
Moyens d’action des bailleurs et locataires
A l’instar des ordonnances de mars 2020, les dispositions de la loi du 14 novembre 2020 concernant les baux commerciaux ne suspendent pas l’exigibilité des loyers et ne dispensent pas en conséquence le locataire commercial de les payer.
Cette question du paiement des loyers a déjà fait l’objet d’un contentieux abondant.
De nombreux praticiens considèrent que l’obligation de paiement des loyers par le locataire pourrait être mise à mal au regard du droit commun des contrats. Il s’agit en particulier des arguments tirés de la force majeure, de l’imprévision, de l’exception d’inexécution, de la privation de jouissance résultant de la fermeture des commerces ou encore de l’exigence tirée de la bonne foi dans l’exécution des contrats.
A ce jour, les décisions rendues l’ont été dans le contexte des ordonnances du 23 mars 2020 mais donnent un premier éclairage sur l’accueil que les juges ont réservé à ces arguments.
Dans deux affaires examinées le même jour, deux bailleurs s’étaient adressés au juge des référés en vue d’obtenir le paiement des loyers du deuxième trimestre 2020[4].
Dans les deux cas, le juge a considéré, pour refuser de faire droit à leurs demandes, qu’elles se heurtaient à une contestation sérieuse, mais a également écarté un certain nombre d’arguments invoqués par les locataires.
S’agissant d’une obligation de paiement de somme d’argent, le juge a rejeté le moyen tiré de la force majeure, comme étant inopérant dans ces circonstances. Il a par ailleurs considéré qu’il n’était pas démontré que le bailleur avait manqué à son obligation de délivrance des locaux, le contexte sanitaire, qui ne lui est pas imputable, ne pouvant en lui-même constituer un tel manquement du bailleur.
Bien que le juge ne se soit pas, dans ces deux espèces, prononcé sur le fond, il a toutefois rappelé que les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce dont il résulte que les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si elles ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives. Dans les deux affaires, pour retenir le caractère sérieusement contestable de la demande du bailleur, le juge a rappelé que le secteur d’activité du locataire avait été fortement touché et que le locataire justifiait, par des échanges de courriers, s’être rapproché de son bailleur pour tenter de trouver une solution amiable.
Mais tout est ici affaire de circonstances.
En se fondant sur le même raisonnement, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris avait fait droit cet été[5] à une demande de paiement du bailleur au motif notamment que le locataire n’avait jamais formalisé de demande claire de remise de sa dette ni sollicité d’aménagement de ses obligations.
Fasse à la multitude de situations (par exemple fermeture d’un restaurant du fait de la loi vs fermeture d’un commerce de détail par décision de l’exploitant lui-même en raison de son impossibilité à garantir à ses salariés le respect des normes d’hygiène), il apparait essentiel de rester pragmatique afin d’éviter, dans la mesure du possible, la mise en œuvre de procédures judiciaires longues et coûteuses alors que les difficultés financières se situent tout autant du côté des bailleurs que des locataires.
Aussi, et même si les intérêts des deux parties sont divergents, le dialogue et la recherche d’un accord amiable devrait, dans certaines circonstances, être largement favorisés.
Afin notamment d’inciter les bailleurs à aller dans ce sens, le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Monsieur Bruno Le Maire, a précisé le 30 octobre dernier qu’un crédit d’impôt serait introduit dans le projet de loi de finances pour 2021 afin d’inciter les bailleurs à annuler une partie de leurs loyers. Cette mesure devrait bénéficier aux entreprises de moins de 250 salariés, fermées administrativement ou intervenant dans le domaine de la restauration et hôtellerie. Tout bailleur qui, sur le dernier trimestre 2020, accepterait de renoncer à au moins un mois de loyer pourrait bénéficier d’un crédit d’impôt de 50% du montant des loyers abandonnés, dans la limite de 800.000 euros. A ce jour, ce projet de dispositif a été adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale dans le cadre du vote de la première partie du projet de loi de finances pour 2021.
[1] Loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.
[2] Ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19, et Ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.
[3] Article 14 de la loi.
[4] TJ Paris, 26 octobre 2020 n° 20/53713 et n° 22/55901
[5] TJ Paris, 10 juillet 2020 n° 20/04516