Les clauses de règlement amiable en France et en Chine : un outil flexible pour régler les différends commerciaux
Aux termes d’un décret en date du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends, toute assignation doit, depuis le 1er avril 2015, mentionner les tentatives de règlements amiables entreprises par les parties dans le cadre du litige qui les oppose.
Or, en France comme en Chine, l’efficacité des clauses de règlement amiable prévues par les parties dans leurs contrats demeure souvent incertaine.
A compter du 1er avril 2015, le demandeur devra préciser dans toutes ses assignations, requêtes ou déclarations « les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige », « sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public ».[1]
Certes, la méconnaissance de cette nouvelle obligation n’est sanctionnée ni par la nullité ni par l’irrecevabilité de l’assignation ou de la requête, le juge ayant seulement la possibilité, en cas de défaut de telles diligences, de proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation. Sa mise en œuvre ne se fera pas sans difficultés, ne serait-ce parce que ces « diligences » se font très souvent par l’intermédiaire des avocats et sont couvertes à ce titre par le secret professionnel.
Cependant, et malgré ces réserves et incertitudes, cette modification s’inscrit bien dans le mouvement de « contractualisation », sinon de « déjudiciarisation » des contentieux en droit français. A cet égard, si une certaine déjudiciarisation se développe également en Chine, celle-ci peut être considérée comme étant un renouveau de la tradition de conciliation enracinée dans la civilisation chinoise.
Les modes alternatifs de règlement des différends (autrement désignés par MARD) présentent des avantages non négligeables, notamment celui de la rapidité, du coût peu onéreux, de la confidentialité, des meilleures chances d’exécution, ou encore de la continuation stratégique de relations commerciales à long terme.
A la différence du recours en justice, plus rigide puisqu’il entraîne inévitablement un gagnant et un perdant, les MARD permettent aux parties d’aboutir à une résolution gagnant-gagnant. Consensuels, ces mécanismes permettent aux acteurs économiques de mettre un terme à leurs différends commerciaux d’une toute autre manière. Aussi bien au plan interne qu’au plan international, des partenaires n’hésitent plus à anticiper et insérer une clause dite de conciliation préalable à tout recours à la voie judiciaire classique dans leurs contrats.
A l’heure où la Chine est devenue le deuxième partenaire économique le plus important de l’Union européenne, et cette dernière le partenaire économique le plus important de la Chine[2], de plus en plus d’entreprises françaises s’intéressent au marché chinois, et vice versa. Pour les entreprises chinoises qui veulent investir en France, comme pour les entreprises françaises qui s’intéressent au marché chinois, la question de l’efficacité de ces clauses dans chacun des deux pays se pose naturellement.
I. En droit français
Le droit des contrats en droit français est dicté par le consensualisme : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».[3] Les parties peuvent ainsi librement décider dans leur contrat qu’elles tenteront de régler leur litige de façon amiable avant de saisir la justice.
La question de l’efficacité d’une telle clause par laquelle les parties prévoient d’aménager les conditions dans lesquelles elles accèdent au juge a pendant longtemps été controversée. Par une série d’arrêts récents de la Cour de cassation, il semblerait que la force obligatoire du contrat l’ait emporté.
Une première controverse a concerné la sanction du non-respect d’une telle clause : lorsque l’une des parties refuse d’engager une conciliation préalable et saisir directement le juge, peut-elle être sanctionnée ? La deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait d’abord nettement exclu que le non-respect de la procédure de conciliation prévue au contrat puisse constituer une fin de non-recevoir justifiant l’irrecevabilité[4] pour finalement changer d’avis[5], tandis que la première chambre civile avait décidé qu’une telle clause « ne se trouve assortie d’aucune sanction »[6]. C’est finalement la fin de non-recevoir qui a été retenue par la Cour de cassation réunie en chambre mixte : « licite, la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent » [7]. De manière quasi-unanime, la doctrine, qui l’a très largement commenté, a approuvé cet arrêt sur ses différents points.
Une seconde controverse est ensuite née sur la possibilité ou non de régulariser la situation, et donc sur la possibilité d’éviter la sanction de l’irrecevabilité en tentant une conciliation avant que le juge statue : la deuxième chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation avaient successivement décidé, en 2010[8] et en 2011[9], que la partie qui avait directement saisi le juge pouvait régulariser la situation en mettant en œuvre la procédure de conciliation en cours d’instance. La Cour de cassation de nouveau réunie en chambre mixte a tranché en décembre 2014 qu’aucune régularisation n’était possible postérieurement à la saisine du juge[10].
Il est vrai que pour garantir sa pleine effectivité la procédure de conciliation voulue par les parties doit nécessairement intervenir avant qu’un juge n’ait été saisi de l’affaire.
Cette force obligatoire est redoutable puisqu’elle prive le demandeur négligent de la possibilité de corriger sa carence en tentant une conciliation en cours d’instance, et ce pour échapper à l’irrecevabilité de sa demande. Il n’aura pas d’autre choix que de mettre en œuvre la procédure de conciliation, en espérant que le délai de prescription ne soit pas expiré lorsqu’il devra saisir le juge si la conciliation échoue.
II. En droit chinois
En Chine, l’idée de conciliation remonte loin dans l’histoire du pays. En tant que philosophie la plus dominante dans la culture chinoise, le confucianisme prône l’harmonie et la bonne entente dans les rapports sociaux. Pour les Chinois, le conflit est considéré comme un empêchement à la bonne circulation des souffles et comme une déperdition d’énergie[11]. En d’autres termes, une société idéale est une société sans conflit.
Dans un tel contexte social et culturel, les termes « conciliation », « négociation », ou « médiation » ne manquent pas dans les textes de lois chinoises. Prenons comme exemple la loi sur la procédure civile de la République populaire de Chine. L’article 9 de cette loi dispose que les tribunaux doivent mener la médiation conformément aux principes d’autonomie de la volonté et de la légalité, et que ce n’est que lorsque la médiation échoue que le jugement doit être rendu sans délai. Selon l’article 49 de la même loi, demander au juge de procéder à la médiation est un droit des parties. Il en va de même pour la conciliation volontaire des deux parties[12].
Il n’est pas sans intérêt de préciser que le législateur chinois avait même tenté d’introduire, lors de la modification de la loi sur la procédure civile en 2012, une obligation de médiation pour les parties civiles avant que le juge soit saisi au fond. Une telle tentative paraissait aller « trop loin ». Une disposition de « compromis » est finalement insérée dans la loi sur la procédure civile, aux termes de laquelle « si une affaire est jugée susceptible de médiation, le juge doit, avant de statuer sur le fond, procéder à la médiation, sauf si les parties s’y opposent »[13].
Si les normes sur la conciliation et la médiation se sont multipliées sous l’impulsion des autorités chinoises, les textes de lois sur la procédure en matière civile et commerciale demeurent silencieux sur l’efficacité des clauses conventionnelles de règlements des différends. Certes, l’article 57 de la loi sur le contrat permet de garantir la validité de telles clauses, même en cas d’invalidation, d’annulation ou d’inexécution du contrat dans lequel ces clauses amiables de règlement sont insérées. Cependant, s’agissant de l’efficacité ou de la force obligatoire de ces clauses, l’incertitude demeure réelle.
Contrairement à la situation en France, les arrêts judiciaires ou administratifs en Chine ne sont pas mis en ligne. Ils ne sont pas, en principe, consultables au public. La Cour populaire suprême a déclaré en 2013 que la publication d’arrêts devait être renforcée. Or, la réforme reste loin d’être achevée. A titre d’exemple, au cours des mois de février et mars 2014, seuls 18 arrêts dits « exemplaires » ont été publiés. Il est donc difficile d’examiner l’attitude des juges chinois à l’égard de l’efficacité des clauses amiables de règlement incluses dans les contrats commerciaux.
Dans la pratique, face au contractant défaillant dans la mise en œuvre du devoir de conciliation préalable en agissant directement en justice, le juge va d’abord inciter les parties à s’efforcer d’aboutir à une telle conciliation. En cas d’échec, il va déclarer recevable la demande et statuer sans tarder sur le fond.
Malgré l’incertitude de l’efficacité des clauses amiables de règlements incluses dans les contrats commerciaux, dans les activités économiques internes et internationales, le recours à des clauses MARD ne cesse d’augmenter. Ceci peut s’expliquer par le fait que l’esprit de conciliation et de minimiser les disputes s’est profondément enraciné dans le contexte social et juridique chinois. Non seulement les juges civils et commerciaux incitent, pendant toutes les phases de la procédure, les parties à se concilier, mais les arbitres peuvent, eux aussi, encourager les parties à résoudre leur différend par voie amiable, et ce, avant que la sentence ne soit rendue.
Il apparaît qu’en Chine, une omniprésence de l’esprit de conciliation rend l’incertitude sur l’efficacité des clauses amiables de règlements des différends moins inquiétante, dans la mesure où les parties aux différends commerciaux se voient toujours invitées par les tribunaux à s’attacher à une résolution amiable des conflits, et ce, quelque soit l’existence ou l’absence d’une telle clause dans le contrat.
[1]Décret n°2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends.
[2] Site internet de la Commission européenne : http://ec.europa.eu/trade/policy/countries-and-regions/countries/china
[3] Article 1134 du Code civil.
[4]Cass. 2ème civ., 15 janvier 1992, n°90-19.097.
[5] Cass. 2ème civ., 6 juillet 2000, n°98-17.827.
[6] Cass. 1re civ., 23 janvier 2001, n°98-18.679.
[7] Ch. Mixte, 14 février 2003, n°00-19.423.
[8] Cass. 2ème civ., 16 décembre 2010, n°09-71.575.
[9] Cass. com., 3 mai 2011, n°10-12.187.
[10]Ch. Mixte, 12 décembre 2014, n°13-19.684.
[11] I. P. Karmenarovic, Le conflit. Perception chinoise et occidentale, Les Editions du Cerf, 2001, p. 128.
[12] Art. 50 de la loi sur la procédure civile.
[13] Art. 122 de la loi sur la procédure civile.