Les derniers apports de la Cour de Cassation sur le droit de l’agent commercial au versement de l’indemnité de fin de contrat
Par trois arrêts du 8 février 2011, la Chambre Commerciale de la Cour de cassation est venue préciser et compléter les conditions dans lesquelles l’agent commercial peut prétendre à l’indemnité de cessation de contrat. Une jurisprudence qui, de manière générale, reste relativement stricte pour le mandant.
Dans le premier arrêt commenté[1], les juges du fond, après avoir constaté la cessation des relations contractuelles entre un agent et son mandant, sans avoir pu déterminer la part de responsabilité de chacun dans la rupture, avaient rejeté la demande de versement de l’indemnité de rupture formulée par l’agent.
Les juges du fond n’avaient cependant relevé aucune des circonstances susceptibles d’exclure le versement de l’indemnité telles que la faute grave, la résiliation à l’initiative de l’agent ou la cession à un tiers du contrat[2].
Cet arrêt a donc été fort logiquement censuré par la Chambre Commerciale de la Cour de cassation qui a considéré que le simple fait de constater la cessation des relations ne pouvait priver l’agent de l’indemnité. Peu importait que la rupture ait été imputée à l’agent ou au mandant.
Cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Haute Juridiction, qui rappelle ici le principe fondamental du droit de l’agent commercial à une indemnité de fin de contrat édicté par l’article L. 134-12 du Code de commerce.
Dans un second arrêt, la Chambre Commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la preuve de la faute de l’agent commercial.
Dans cette affaire[3], le mandant reprochait à son agent des faits de dénigrement à son encontre auprès d’un client, et de non-respect de ses obligations contractuelles, qu’il estimait constitutifs d’une faute grave.
Pour démontrer la faute grave et s’exonérer du versement de l’indemnité de fin de contrat, le mandant avait produit en justice un courrier électronique émanant de l’agent afin de démontrer le dénigrement, ainsi que la lettre de rupture du contrat et deux rappels à l’ordre qu’il avait adressés à l’agent avant la rupture et dans lesquels il reprochait à ce dernier des manquements contractuels.
Rappelant le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même, les juges du fond avaient rejeté la lettre de rupture comme élément de preuve de la faute grave, et considéré que le contrat avait été rompu de manière abusive par le mandant, faute de preuve des griefs reprochés.
La Chambre Commerciale a censuré cette décision au motif, d’une part, que les juges du fond avaient négligé d’examiner le courrier électronique émanant de l’agent commercial produit par le mandant, et dont les termes auraient constitué un aveu de dénigrement.
Cet arrêt donne ainsi l’occasion pour la Chambre Commerciale de rappeler que le recours au courrier électronique à titre de preuve s’est beaucoup développé et d’appeler les rédacteurs à la prudence, notamment lorsque les relations contractuelles deviennent difficiles.
D’autre part, la Chambre Commerciale a considéré que la lettre de rupture émanant du mandant pouvait établir la faute dans la mesure où les reproches qui y étaient formulés avaient déjà fait l’objet de deux mises en garde par ce dernier.
Il semble donc que ce soit la répétition des rappels à l’ordre préalablement à la rupture qui ait amené la Chambre Commerciale à se baser sur un document rédigé par le mandant pour retenir l’existence d’une faute grave de l’agent.
Il convient toutefois de se remémorer les arrêts récents de la Chambre Commerciale[4] ayant considéré que des manquements anciens, n’ayant pas fait l’objet de mises en garde préalables par le mandant, ne pouvaient être constitutifs d’une faute grave privative pour l’agent de son droit à indemnité. La prudence appelle donc le cocontractant qui souhaite s’en prévaloir, à constater en temps utile tout manquement contractuel qu’il entend invoquer à l’appui de la rupture du contrat.
Enfin, dans ce même arrêt, la Cour de cassation a également censuré l’appréciation peu cohérente des indemnités versées à l’agent qui avait été faite par la Cour d’appel. En effet, la Cour d’appel avait réformé la décision de première instance en diminuant le montant des arriérés de commissions, mais n’avait pas pour autant diminué le montant de l’indemnité de fin de contrat.
La Cour de cassation rappelle ainsi l’usage selon lequel l’indemnité de fin de contrat doit être déterminée en considération des commissions perçues dans l’exécution du contrat.
Enfin, dans un troisième arrêt[5], la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de savoir si le mandant est tenu de verser une indemnité de fin de contrat à l’agent qui atteint l’âge normal de la retraite.
Au cas d’espèce, l’agent commercial âgé de soixante ans avait mis fin à son contrat d’agence pour prendre sa retraite.
La Cour d’appel avait considéré que l’agent n’avait pas démontré que la poursuite de son mandat était incompatible avec son état de santé au-delà de son soixantième anniversaire, dont la survenance était, à elle seule, insuffisante. Elle avait donc rejeté la demande d’indemnité de fin de contrat formulée par l’agent.
La Chambre Commerciale de la Cour de cassation a cassé cette décision, au motif que les juges du fond n’avaient pas recherché si l’âge de l’agent et les « circonstances particulières de la situation personnelle » de l’agent étaient susceptibles de ne plus lui permettre raisonnablement de poursuivre son activité.
D’une part, la Chambre Commerciale rappelle, sur le fondement de l’article L. 134-13 du Code de commerce, que l’âge de l’agent n’est pas suffisant pour lui ouvrir droit à l’indemnité de rupture, la preuve que cet âge ne lui permet plus raisonnablement de poursuivre l’activité étant également requise[6].
D’autre part, afin de déterminer si l’agent peut prétendre à l’indemnité de rupture, la Chambre Commerciale étend ici le contrôle des juges du fond aux circonstances particulières de la situation personnelle de l’agent, afin d’établir si la poursuite de son activité par ce dernier était impossible.
Si la Chambre Commerciale n’a pas précisé ce qu’elle entendait par « circonstances particulières », des circonstances telles que l’état de santé de l’agent, comme cela était le cas dans l’arrêt commenté, sont donc susceptibles de justifier l’impossibilité pour l’agent de poursuivre l’activité.
Toutefois, il est vraisemblable que plus l’âge de l’agent sera avancé, plus il pourra constituer une justification décisive de l’impossibilité pour ce dernier de poursuivre le contrat.
Enfin, dans ce même arrêt, la Chambre Commerciale de la Cour de cassation a également cassé l’arrêt d’appel qui avait considéré que l’agent aurait dû notifier à son mandant, dans le délai d’un an à compter de la cessation du contrat, que son droit à une indemnité était fondé sur des problèmes de santé, et qu’il ne pouvait donc se prévaloir de certificats médicaux produits en cours d’instance.
La Chambre Commerciale, après avoir rappelé que pour conserver son droit au versement de l’indemnité, l’agent commercial doit effectivement, dans le délai d’un an à compter de la cessation du contrat, notifier au mandant qu’il entend faire valoir ses droits[7], a précisé que l’agent n’était pas pour autant tenu de faire connaître dans le même délai les motifs de sa décision à son mandant.
Il en résulte que l’agent qui résilie le contrat peut attendre d’être éventuellement poursuivi en justice pour apporter les preuves de son droit à indemnité.
[1] Cass. Com., 8 février 2011, n°10-30.527
[2] Cf. article L. 134-13 du Code de commerce
[3] Cass. Com., 8 février 2011, n°09-15.647
[4] Cf. notre e-newsletter du mois de février 2011 : Cass. Com., 8 décembre 2009, n°08-17.749
[5] Cass. Com., 8 février 2011, n°10-12.876
[6] Cf.r également : CA Paris, 12 février 2004 : D. 2004, p. 696