L’extension de procédure fondée sur la confusion des patrimoines
Création prétorienne consacrée en 1985[1] puis en 2005[2] par la loi, la confusion des patrimoines, arme redoutable contre les abus de personnalité morale commis essentiellement au sein des groupes de sociétés permettant d’étendre une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur[3], fait couler beaucoup d’encre en ces temps incertains.
L’article L.621-2, alinéa 2 du Code de commerce, en vertu duquel « la procédure [de sauvegarde] ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur », a d’ailleurs récemment fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, rejetée par la Cour de cassation[4], aux motifs notamment que :
- les restrictions aux conditions d’exercice du droit de propriété et à la liberté d’entreprendre[5] qui peuvent résulter de ce texte « ne constituent pas pour autant une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi », qui est de reconstituer le patrimoine de personnes qui ont abusé de la personnalité juridique dont elles jouissent, par la mise en commun de leurs biens ;
- le grief de l’absence de droit d’appel[6] en faveur des détenteurs de titres de la société visée par une demande d’extension de procédure collective est irrecevable, « dès lors que la disposition critiquée n’a pas pour objet de prévoir les voies de recours à l’encontre des décisions prises pour son application ».
Bien que consacrée par deux fois, la confusion des patrimoines n’est pas pour autant clairement définie. L’étude du contentieux permet toutefois de dégager deux critères alternatifs :
- l’imbrication des patrimoines, matérialisée par une confusion des comptes, rendant impossible leur dissociation[7],
- l’existence de relations financières anormales répétées procédant d’une volonté de créer cette confusion, résidant soit (i) dans l’existence de flux financiers anormaux[8], soit (ii) dans l’absence de flux financiers ou, plus généralement, de toute contrepartie[9], comme vient de le rappeler la Cour de cassation.
Les faits de la décision commentée[10] sont les suivants :
Deux sociétés, la SARL Jenny’k et la SCI du 140 rue d’Estienne d’Orves à Clamart, sont liées par un contrat de bail. Le 10 décembre 2009, une procédure de liquidation judiciaire est ouverte à l’encontre de la SARL. A cette date, celle-ci est redevable à l’égard de la SCI bailleresse d’une dette de loyers de 346.664 euros, représentant près de sept années d’impayés.
Par jugement en date du 20 janvier 2011, la liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la SARL est étendue à la SCI, sur le fondement de la confusion des patrimoines.
Ayant relevé notamment que la SARL n’avait pas versé les loyers pendant une période de près de sept années consécutives, qu’elle était redevable au jour de l’ouverture de sa liquidation judiciaire d’une dette de loyers de 346.664 euros et que la SCI « n’avait entrepris aucune démarche pour recouvrer sa créance ou obtenir la résiliation du bail », la Cour d’appel de Versailles confirme cette décision, par un arrêt en date du 21 juillet 2011, en retenant qu’« une telle abstention procède d’une volonté réitérée et systématique ».
Le pourvoi formé par la SCI est rejeté par la Haute Juridiction, qui considère que ces constatations et appréciations « caractérisent bien des relations financières anormales entre la SARL et la SCI constitutives d’une confusion des patrimoines ».
[1] Loi n°85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises.
[2] Loi n°2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises.
[3] Articles L.621-2, al. 2, L.631-7 et L.641-1, I du Code de commerce.
[4] Cass. com. QPC, 8 oct. 2012, n°12-40.058.
[5] Visés aux articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
[6] Prévu à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
[7] Voir notamment Cass. com., 4 juill. 2000.
[8] Voir notamment Cass. com., 2 févr. 1999.
[9] Voir notamment Cass. com., 5 mars 2002.
[10] Cass. com., 8 janv. 2013, n°11-30.640