Loi visant a reconquérir l’économie reelle ou « loi florange » : decryptage des mesures relatives aux offres publiques, droits de vote double et attributions gratuites d’actions
Deux ans après la promesse faite par François Hollande aux salariés d’ArcelorMittal, la loi visant à reconquérir l’économie réelle, dite « Loi Florange » (ci-après désignée la « Loi »), vient d’être publiée[1].
Pour mémoire, la proposition de loi, déposée le 15 mai 2013 en réponse à l’émoi suscité par la disparition des hauts fourneaux de Florange (Moselle), avait été définitivement adoptée le 24 février 2014, puis avait fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel. Ce dernier vient de juger conformes à la Constitution les dispositions contestées du Titre III de la Loi[2], lequel prévoit notamment ce qui suit :
1. Instauration d’un seuil de caducité des offres publiques (OP) et abaissement du seuil dit de l’« excès de vitesse » à 1%
Afin de lutter contre les prises de contrôle rampantes, l’article 5 de la Loi prévoit l’insertion après l’article L.433-1-1 du Code monétaire et financier, d’un nouvel article L.433-1-2 selon lequel :
- Lorsque, à la clôture d’une OP, la personne ayant déposé le projet d’offre, agissant seule ou de concert, au sens de l’article L.233-10 du Code de commerce[3], ne détient pas un nombre d’actions représentant une fraction du capital ou des droits de vote supérieure à 50%, l’offre est caduque de plein droit.
- En particulier, lorsque l’offre ainsi devenue caduque est une offre publique obligatoire (OPO), la personne ayant déposé le projet d’offre, agissant seule ou de concert au sens de l’article L.233-10 du Code de commerce, est privée, pour toute assemblée générale (AG) qui se tiendrait jusqu’à ce qu’elle détienne le nombre d’actions requis, des droits de vote attachés aux actions qu’elle détient dans la société pour la quantité excédant :
- Soit le seuil des 30% du capital ou des droits de vote, dans le cas où le projet d’offre a été déposé par une personne, agissant seule ou de concert au sens de l’article L.233-10 du Code de commerce, qui a franchi, directement ou indirectement, le seuil des 30% du capital ou des droits de vote[4] ;
- Soit le nombre d’actions qu’elle détenait préalablement au dépôt du projet d’offre, augmenté de 1% du capital ou des droits de vote de la société, dans le cas où le projet d’offre a été déposé par une personne, agissant seule ou de concert au sens du même article L.233-10, détenant, directement ou indirectement, un nombre d’actions ou de droits de vote compris entre 30% et 50% du capital ou des droits de vote et qui, en moins de 12 mois consécutifs, a augmenté sa détention d’au moins 1% du capital ou des droits de vote de la société.
- La personne qui, agissant seule ou de concert au sens de l’article L.233-10 du Code de commerce, a déposé une OPO ou qui détient, directement ou indirectement, un nombre d’actions ou de droits de vote compris entre 30% et 50% du capital ou des droits de vote et qui a déposé une offre ainsi devenue caduque, ne peut augmenter sa détention en capital ou en droits de vote à moins d’en informer l’Autorité des marchés financiers (AMF) et de déposer un projet d’offre en vue d’acquérir une quantité déterminée de titres de la société. À défaut, cette personne est privée des droits de vote attachés aux actions qu’elle détient au-delà de sa détention initiale du capital ou des droits de vote.
En outre, l’article 6 de la Loi prévoit la modification de l’article L.433 du Code monétaire et financier, qui dispose désormais que toute personne physique ou morale, actionnaire d’une société dont le siège social est établi en France, et dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé d’un Etat membre de l’Union européenne (UE) ou d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), agissant seule ou de concert au sens de l’article L.233-10 du Code de commerce, venant à détenir, directement ou indirectement, plus de 30% du capital ou des droits de vote, ou détenant, directement ou indirectement, un nombre compris entre 30% et 50% du capital ou des droits de vote et qui, en moins de 12 mois consécutifs, augmente sa détention en capital ou en droits de vote d’au moins 1% – et non plus 2% – du capital ou des droits de vote de la société, est tenue d’en informer immédiatement l’AMF et de déposer un projet d’OP en vue d’acquérir une quantité déterminée de titres de la société. A défaut, les titres détenus par cette personne au-delà de 30% ou au-delà de sa détention augmentée de la fraction de 1% susmentionnée du capital ou des droits de vote sont privés du droit de vote.
Il est toutefois précisé que cette disposition ne s’applique pas aux personnes répondant aux critères susvisés détenant, directement ou indirectement, un nombre d’actions ou de droits de vote compris entre 30% et 50% du capital ou des droits de vote d’une telle société et qui, au cours des 12 mois consécutifs précédant l’entrée en vigueur de la Loi, ont augmenté leur participation d’au moins 1% et d’au plus 2% du capital ou des droits de vote.
Ces personnes sont seulement tenues d’informer l’AMF de toute nouvelle augmentation de leur participation en capital ou en droits de vote et de déposer un projet d’OP en vue d’acquérir une quantité déterminée de titres de la société, sauf si cette augmentation demeure inférieure à 1% capital ou des droits de vote au cours de 12 mois consécutifs. À défaut, celles-ci sont privées des droits de vote attachés aux actions acquises au-delà de leur détention initiale.
Cet article 6 n’entrera en vigueur qu’à compter du 1er jour du 4ème mois suivant la promulgation de la Loi.
A noter enfin que contrairement à ce qui avait initialement été envisagé, le seuil de déclenchement de l’obligation de déposer une offre publique demeure fixé à 30% du capital ou des droits de vote de la société cible[5].
2. Instauration d’une nouvelle procédure d’information-consultation du comité d’entreprise (CE) en cas d’OP
L’article 8 de la Loi prévoit la modification de l’article L.2323-23 du Code du travail, qui dispose désormais notamment que :
- Préalablement à l’avis motivé rendu par le conseil d’administration (CA) ou le conseil de surveillance sur l’intérêt de l’offre et sur les conséquences de celle-ci pour la société visée, ses actionnaires et ses salariés, le CE faisant l’objet de l’offre est réuni et consulté sur le projet d’offre ;
- Le CE émet son avis dans un délai d’un mois à compter du dépôt du projet d’offre publique d’acquisition (OPA). En l’absence d’avis dans ces délais, il est réputé avoir été consulté.
Cette nouvelle disposition ne sera applicable qu’aux OPA dont le dépôt interviendra à compter du 1er jour du 4ème mois suivant la promulgation de la Loi.
3. Suppression du principe de neutralité du CA (ou du directoire) en période d’offre
Afin de lutter contre les OPA hostiles, l’article 10 de la Loi prévoit la modification de l’article L.233-32 du Code de commerce, qui dispose désormais que pendant la période d’OP visant une société dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, le CA ou le directoire, après autorisation du conseil de surveillance de la société visée, « peut prendre toute décision dont la mise en œuvre est susceptible de faire échouer l’offre, sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux assemblées générales dans la limite de l’intérêt social de la société ».
Toutefois, les statuts d’une société dont des actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé peuvent notamment prévoir qu’en période d’OP, la mesure susvisée, ainsi que celles relatives à l’émission de bons permettant de souscrire, à des conditions préférentielles, à des actions de la société, et leur attribution gratuite à tous les actionnaires de cette société ayant cette qualité avant l’expiration de la période d’OP (dits « bons d’offre », « bons bretons » ou « poison pills »), doivent être autorisées préalablement par l’AG et que toute délégation d’une mesure dont la mise en œuvre est susceptible de faire échouer l’offre, hormis la recherche d’autres offres, accordée par l’AG avant la période d’offre, est suspendue en période d’OP.
Cette nouvelle disposition ne sera applicable qu’aux OPA dont le dépôt interviendra à compter du 1er jour du 4ème mois suivant la promulgation de la Loi.
4. Généralisation du droit de vote double dans les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé
Afin de favoriser l’actionnariat de long terme, l’article 7 de la Loi prévoit la modification de l’article L.225-123 du Code de commerce, qui dispose désormais que dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, les droits de vote double sont de droit, sauf clause contraire des statuts adoptée postérieurement à la promulgation de la Loi, pour toutes les actions entièrement libérées pour lesquelles il est justifié d’une inscription nominative depuis 2 ans au nom du même actionnaire.
Il en est de même pour le droit de vote double conféré dès leur émission aux actions nominatives attribuées gratuitement.
Il est précisé que :
- Les clauses statutaires qui attribuent un droit de vote double dans les conditions prévues au 1er alinéa de l’article L.225-123 du Code de commerce[6] continuent de s’appliquer ;
- La comptabilisation de la durée de l’inscription nominative débute à compter de la date d’entrée en vigueur de la Loi pour les actions des sociétés qui n’ont pas usé de la faculté sus-rappelée ;
- Une dérogation à l’obligation de déposer un projet d’OP est prévue au profit de tout actionnaire d’une société qui détient, à la date d’entrée en vigueur de cette nouvelle disposition, plus de 30% du capital et des droits de vote de ladite société et qui, « dans un délai de 2 ans à compter de cette date »[7], vient à franchir, par le bénéfice de l’attribution de droits de vote double résultant de cet article, le seuil de participation de 30% des droits de vote[8], « à la condition que le pourcentage de droits de vote détenus après le franchissement du seuil des trois dixièmes soit inférieur au pourcentage de droits de vote détenus à la date d’entrée en vigueur du présent article »[9].
Le dernier alinéa de l’article L.225-123 du Code de commerce, en vertu duquel le droit de vote double pouvait n’être réservé qu’aux actionnaires de nationalité française et à ceux ressortissant d’un Etat membre de l’UE ou d’un Etat partie à l’accord sur l’EEE, est abrogé.
5. Modification des dispositions relatives aux attributions gratuites d’actions (AGA)
L’article 9 de la Loi prévoit la modification de l’article L.225-123 du Code de commerce, qui dispose désormais que le nombre total des actions attribuées gratuitement, qui ne peut excéder 10% du capital social[10] à la date de la décision de leur attribution par le CA ou le directoire, peut aller jusqu’à 30% – et non plus seulement 10% – lorsque l’AGA bénéficie à l’ensemble des membres du personnel salarié de la société ; étant entendu que l’écart entre le nombre d’actions distribuées à chaque salarié ne peut être supérieur à un rapport de 1 à 5[11].
[1] Loi n°2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, JORF n°0077 du 1er avril 2014.
[2] Décision n°2014-692 DC du 27 mars 2014.
[3] « I.- Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d’acquérir, de céder ou d’exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société.
II.- Un tel accord est présumé exister :
- Entre une société, le président de son conseil d’administration et ses directeurs généraux ou les membres de son directoire ou ses gérants ;
- Entre une société et les sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L.233-3 ;
- Entre des sociétés contrôlées par la même ou les mêmes personnes ;
- Entre les associés d’une société par actions simplifiée à l’égard des sociétés que celle-ci contrôle ;
- Entre le fiduciaire et le bénéficiaire d’un contrat de fiducie, si ce bénéficiaire est le constituant.
III.- Les personnes agissant de concert sont tenues solidairement aux obligations qui leur sont faites par les lois et règlements. »
[4] Ou du tiers du capital ou des droits de vote : pour les personnes soumises au 3ème alinéa du II de l’article 92 de la loi n°2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière, le seuil du tiers du capital ou des droits de vote se substitue à ce seuil de 30% (extension de la clause dite « de grand-père »).
[5] Le projet initial prévoyait son abaissement à 25%, ainsi que le suggérait Louis Gallois en décembre 2012 dans son Pacte pour la compétitivité de l’industrie française (dit « Rapport Gallois »). Cf. sur ce point Vers un durcissement des dispositifs anti-OPA, publié dans notre e-newsletter de mai 2013.
[6] « Un droit de vote double de celui conféré aux autres actions, eu égard à la quotité de capital social qu’elles représentent, peut être attribué, par les statuts, à toutes les actions entièrement libérées pour lesquelles il sera justifié d’une inscription nominative, depuis deux ans au moins, au nom du même actionnaire. »
[7] L’Association nationale des sociétés par actions (ANSA) considère que dans la mesure où l’attribution automatique de droits de vote double ne sera effective que 2 ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la Loi, il faut ici comprendre « au bout de 2 ans » (ANSA, n°14-007, mars 2014).
[8] Ou du tiers du capital ou des droits de vote : extension de la clause dite « de grand-père » (cf. note 4 ci-avant).
[9] L’ANSA en déduit que la personne qui franchira ce seuil du fait de l’attribution automatique de droits de vote double nouvellement prévue « pourra obtenir une dérogation à l’obligation de déposer une offre publique, mais sa participation devra être plafonnée au pourcentage de droits de vote qu’elle détenait au moment de l’entrée en vigueur de la loi » (ANSA, n°14-007, mars 2014).
[10] Ce seuil peut être porté à 15% dans les sociétés dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation et ne dépassant pas, à la clôture d’un exercice social, les seuils définissant les petites et moyennes entreprises prévus à l’article 2 de l’annexe à la recommandation 2003/361/CE de la Commission du 6 mai 2003, dans le cas d’AGA à certaines catégories des membres du personnel salarié de la société uniquement.
[11] L’ANSA estime que cet écart n’est applicable que si l’on dépasse le plafond de 10% (15% dans les sociétés définies ci-avant – cf. note 8) et jusqu’à 30% en cas d’attribution à tous les membres du personnel (ANSA, n°14-007, mars 2014).