L’unique exigence d’une faute simple de la victime permettant de réduire son droit à indemnisation
Dans cet arrêt du 16 mars 2022[1], la Cour de cassation vient apporter une précision importante à sa jurisprudence en matière de réduction du droit à réparation de la victime. Désormais, il est acté que même la faute simple de la victime peut occasionner une réduction de son droit à indemnisation.
Dans cette affaire, un gestionnaire de compte de la Caisse d’épargne détournait les sommes présentes sur les comptes de certains de ses clients choisis parmi les plus âgés et falsifiait des documents bancaires destinés à effectuer des transactions pour le compte et à l’insu de ses clients.
Le gestionnaire de compte reconnaissait sans difficulté être l’auteur de ces détournements et expliquait que ceux-ci avaient été effectués sous la pression et les menaces d’un tiers rencontré dans le cadre professionnel.
Ce tiers reconnaissait, quant à lui, avoir utilisé de faux noms afin d’ouvrir des comptes bancaires dont il était l’unique bénéficiaire grâce au gestionnaire de compte qui lui reversait les fonds ou par l’intermédiaire d’une autre personne.
Les trois individus étaient condamnés par les juges de première instance. Les mêmes juges estimaient que la Caisse d’Epargne, partie civile dans cette affaire, avait concouru à la réalisation des dommages à hauteur de 70 % du préjudice matériel et condamnait les trois individus au paiement du reliquat de ces dommages.
Deux des trois individus, dont le gestionnaire de compte, interjetaient appel de cette décision sur les intérêts civils.
Dans un arrêt en date du 9 novembre 2020, la Cour d’Appel de Montpellier déclare les prévenus entièrement responsables du dommage subi par la banque et les condamne au paiement de l’intégralité des intérêts civils correspondant à la totalité des préjudices. Elle considère en effet que l’indemnisation due par l’auteur de l’infraction ne peut être réduite en raison de la simple négligence de la victime et nécessite afin d’être prononcée une faute caractérisée d’une certaine gravité ayant un rôle causal dans la réalisation du dommage.
Les prévenus formaient un pourvoi en cassation contre cette décision.
Dès lors, la faute simple de la victime est-elle suffisante à réduire son droit à indemnisation ?
Dans un arrêt du 16 mars 2022, les juges du Quai de l’Horloge jugeaient que la faute simple de la victime est suffisante pour prononcer un partage de responsabilité et qu’en ne recherchant qu’une faute d’une certaine gravité afin de prononcer le partage de responsabilité, la Cour d’Appel a méconnu les articles 2 du Code de procédure pénale et 1240 du Code civil.
La différenciation de la faute simple et de la faute caractérisée
L’article 121-3 du Code pénale décrit la faute simple comme une « faute d’imprudence, de négligence ou un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». En d’autres termes, il s’agit ici d’une faute d’inattention. A l’inverse, la faute qualifiée apparait comme une faute bien plus grave qu’une faute d’imprudence ou de négligence. C’est une faute grave, souvent constitutive de manquements graves en matière de sécurité, qui a exposé autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur ne pouvait pas ignorer.
En principe cette différenciation est utilisée en matière de faute non intentionnelle afin d’apprécier si l’auteur de la faute pourra, selon la causalité de celle-ci dans la réalisation du dommage, voir sa responsabilité retenue.
Ici, la Cour de cassation vient sanctionner l’usage de ces notions par la Cour d’appel afin de déterminer l’éventuelle diminution de l’étendue du droit à réparation de la victime.
La possible réduction de l’étendue de la réparation de la victime négligente : une jurisprudence constante
Depuis l’arrêt dit « KERVIEL »[2], il est de jurisprudence constante qu’en matière d’infraction intentionnelle contre les biens, la faute de négligence de la victime ayant concouru à son dommage vient diminuer l’étendue de son droit à réparation. L’étendue de la diminution éventuelle est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond. Cette décision venait mettre fin à la jurisprudence erratique de la chambre criminelle qui obligeait à distinguer selon qu’il s’agissait d’une atteinte à la personne ou aux biens. En effet, en matière d’atteinte aux biens, et jusqu’à cet arrêt, la Cour de Cassation refusait la diminution de la réparation de la victime négligente pour éviter que l’auteur d’une infraction intentionnelle contre les biens ne tire un quelconque profit de son délit.
Dans notre arrêt, la Cour de Cassation, réaffirme cette jurisprudence permettant en matière d’infraction contre les biens de diminuer l’indemnisation de la victime négligente.
La recherche inutile d’une faute caractérisée
Les Juges du Quai de l’Horloge viennent cependant casser l’arrêt de la Cour d’Appel de Montpellier, affirmant que seule une faute caractérisée d’une gravité certaine permettait de réduire l’indemnisation due par l’auteur de l’infraction. En effet, la Haute Juridiction, dans sa solution affirme qu’une « faute simple suffisait pour prononcer un partage de responsabilité » et donc pour réduire l’indemnisation de la victime négligente.
Cet arrêt apporte une précision extrêmement importante dans la lignée de la jurisprudence KERVIEL : après avoir reconnu la possibilité de retenir une faute de la victime afin de réduire son droit à indemnisation, la Cour de Cassation précise que cette faute peut être une faute simple et non nécessairement une faute caractérisée.
Cette décision devrait inciter les différentes entreprises à prévoir, dans le cadre de la compliance, des systèmes de surveillance et de contrôle encore plus drastiques afin de s’assurer qu’une telle faute simple ne vienne pas faire obstacle à leur réparation en cas de comportement infractionnel de l’un de leurs salariés.
[1] Crim., 16 mars 2022, n°20-86.502
[2] Crim., 19 mars 2014, n° 12-87.416