Néonicotidoïnes pour les semences de betteraves sucrières : le Conseil d’État refuse de suspendre l’autorisation provisoire
Dans une décision rendue le 25 février 2022, le Conseil d’État a validé la dérogation permettant d’utiliser des semences de betteraves sucrières traitées avec des néonicotinoïdes.
Il a ainsi rejeté le recours en référé-suspension déposé par quatre associations (Agir pour l’environnement, la Confédération paysanne, la Fédération nature et progrès et la Fédération française des apiculteurs professionnels (FFAP)) et dirigé contre l’arrêté du 31 janvier 2022 la prévoyant.
Par un arrêté du 31 janvier 2022, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation et le ministre de la transition écologique ont autorisé provisoirement l’emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiamethoxam (autrement connues sous le nom de néonicotinoïdes) et précisé les cultures qui peuvent être semées, plantées ou replantées au titre des campagnes suivantes.
Selon l’article 1er de cet arrêté, « La mise sur le marché et l’utilisation de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiamethoxam sont autorisées pour une durée de cent-vingt jours à compter de l’entrée en vigueur du présent arrêté, dans les conditions fixées à l’annexe 1. »
L’annexe 1 fixe les conditions de mise sur le marché et d’utilisation des semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiamethoxam (produits concernés, durées de validité de l’autorisation, conditions d’emploi).
L’annexe 2 précise les cultures qui peuvent être semées, plantées ou replantées au titre des trois campagnes suivant l’année d’une mise en culture de betteraves sucrières dont les semences ont été traitées avec les produits phytopharmaceutiques mentionnés à l’article 1er.
Plusieurs associations environnementales ou représentant des apiculteurs et agriculteurs ont demandé au Conseil d’État de suspendre cet arrêté.
Pour rappel, le référé-suspension est une procédure d’urgence qui permet de demander au juge administratif d’empêcher l’exécution immédiate d’une décision administrative si l’on pense qu’elle est illégale. Le jugement prononcé en urgence est provisoire, en attendant que l’affaire soit tranchée par le jugement au fond. Il faut pouvoir démontrer l’urgence qu’il y a à suspendre l’exécution de la décision et qu’il y a de sérieuses raisons de penser qu’elle est illégale.
En premier lieu, le juge des référés a relevé que la loi a expressément prévu cette possibilité de dérogation pour ces cultures, si certaines conditions sont remplies, tenant notamment aux risques pour ces cultures.
En effet, le droit de l’Union européenne interdit l’utilisation des néonicotinoïdes, mais prévoit des dérogations temporaires lorsqu’il existe de graves risques pour l’agriculture et en l’absence d’autre solution.
La loi n° 2020-1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières a autorisé temporairement l’utilisation de ces produits pour les betteraves sucrières. Elle a fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel en date du 10 décembre 2020, par laquelle le Conseil a confirmé sa conformité à la Constitution compte tenu des conditions assorties à cette autorisation et de son caractère provisoire.
Elle a ainsi modifié l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime relatif aux mesures de précaution et de surveillance. Cet article prévoit que « L’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances, précisées par décret, et des semences traitées avec ces produits est interdite. »
La loi de 2020 a ajouté à la suite :
« Jusqu’au 1er juillet 2023, des arrêtés conjoints des ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement, pris après avis du conseil de surveillance mentionné au II bis, peuvent autoriser l’emploi de semences traitées avec des produits contenant les substances mentionnées au premier alinéa du présent II dont l’utilisation est interdite en application du droit de l’Union européenne ou du présent code. Ces dérogations sont accordées dans les conditions prévues à l’article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil. »
(La loi a également créé un conseil de surveillance chargé du suivi et du contrôle de la recherche et de la mise en œuvre d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances, qui se réunit trimestriellement et publie un rapport annuel).
Ainsi, la loi permet jusqu’au 1er juillet 2023 d’autoriser de telles utilisations pour une durée maximale de 120 jours dans les conditions prévues à l’article 53 du règlement européen n°1107/2009.
Selon cet article 53 relatif aux situations d’urgence en matière de protection phytosanitaire:
« Par dérogation à l’article 28 et dans des circonstances particulières, un État membre peut autoriser, pour une période n’excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d’un usage limité et contrôlé, lorsqu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables.
L’État membre concerné informe immédiatement les autres États membres et la Commission de la mesure adoptée, en fournissant des informations détaillées sur la situation et les dispositions prises pour assurer la sécurité des consommateurs. »
A noter que la Cour de justice de l’Union Européenne a été saisie de plusieurs questions préjudicielles par le Conseil d’État belge (Affaire C-162/21) concernant la mise en œuvre de cette disposition, et notamment la signification des expressions « circonstances particulières » et « qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ». Les circonstances de l’affaire dans le cadre de laquelle le Conseil d’État belge a posé ces questions sont tout à fait similaires à celles dans le cadre de laquelle le juge des référés du Conseil d’État français a rendu la décision commentée.
En second lieu, le juge des référés estime que les requérantes ne démontrent pas l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté, qui résulterait selon elles du non-respect des conditions de l’article 53.
Les requérantes mettaient en avant l’absence de nouveauté ou d’aggravation des faits en 2022, l’absence de limite spéciale et la persistance de la présence des substances dans le sol au-delà des 120 jours autorisés, et l’absence de preuve d’un « danger qui ne peut pas être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ».
Le juge des référés a relevé qu’au contraire :
- Lors de la campagne 2020, la betterave sucrière a fait l’objet, du fait de l’infestation des cultures par des pucerons vecteurs de la jaunisse de la betterave et faute d’utilisation des produits contenant des néonicotinoïdes (en raison de l’interdiction qui résultait de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime dans sa version alors en vigueur), d’importantes pertes de production. C’est ce qui a conduit, avec la loi précitée du 14 décembre 2020, à prévoir une dérogation pour la betterave sucrière et pour une période limitée dans les conditions fixées par l’article 53 précité du règlement n° 1107/2009 ;
- Pour la campagne 2022, le risque d’une nouvelle infestation massive par des pucerons porteurs des maladies de la betterave au printemps 2022 est sérieux. Or, il n’existe pas encore, à ce stade, malgré les recherches en cours, d’autres moyens disponibles pour maîtriser effectivement ce danger pour la production agricole concernée, tout au moins pour la campagne 2022 ;
- Si l’arrêté ne comporte pas de limitation géographique, il ne peut concerner que les zones dans lesquelles est cultivée la betterave sucrière, lesquelles ne représentent que 1,5 % de la surface agricole utile française et sont concentrées en pratique dans les Hauts-de-France, en Ile-de-France et dans le Grand-Est ;
- L’usage des semences autorisées, limité à 120 jours pour la campagne 2022 et pour les seules betteraves sucrières, ne peut être réalisé que conformément aux prescriptions prévues par l’annexe 1 de l’arrêté, et au respect des prescriptions générales encadrant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, notamment en ce qui concerne le respect des distances par rapport à des zones d’habitation ou à des cours d’eau.
Comme il l’avait déjà jugé pour la campagne 2021 avec un arrêté similaire du 5 février 2021, le juge des référés estime donc que l’arrêté attaqué ne fait que préciser les conditions de mise en œuvre de cette autorisation pour la campagne 2022. Constatant l’absence de doute sérieux sur la légalité, le juge des référés rejette la requête tendant à la suspension de l’arrêté du 31 janvier 2022.