Non-respect d’une clause d’objectif de chiffre d’affaires et rupture sans préavis
Par un arrêt du 5 avril 2018, la Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme que le défaut de réalisation par une partie d’un objectif de chiffre d’affaires prévu au contrat ne suffit pas à lui seul à justifier la rupture sans préavis d’une relation commerciale établie.
Les juges du fonds sont tenus de préciser en quoi le non-respect de cette obligation est de nature à caractériser un manquement suffisamment grave pour justifier une telle rupture.
Conformément à l’article L 442-6-I, 5° du code de commerce, un préavis doit être respecté en principe pour mettre un terme à une relation commerciale établie. L’inexécution par l’autre partie de ses obligations contractuelles ou la force majeure peuvent cependant justifier une résiliation sans délai.
Comme le rappelle l’arrêt commenté, l’appréciation de la gravité de l’inexécution contractuelle requise pour justifier la dispense de préavis relève de l’office du juge.
En l’espèce, un fournisseur de matériel de chantier et une société spécialisée dans la réalisation de travaux d’assainissement avaient conclu un contrat de distribution assorti d’une clause d’exclusivité, prévoyant la réalisation d’un chiffre d’affaires annuel minimum dans le territoire concédé.
Le fournisseur a mis un terme à cette relation commerciale, sans préavis, en invoquant la non-réalisation de cette clause d’objectif par son distributeur.
Se prévalant d’une relation commerciale établie d’environ 20 ans, le distributeur et son gérant l’ont assigné en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
La Cour d’appel de Paris a rejeté cette demande d’indemnisation. Elle a en particulier relevé l’existence d’une clause selon laquelle le distributeur devait réaliser un certain montant de chiffre d’affaires et d’une autre prévoyant que l’exécution du contrat peut être immédiatement suspendue « en cas d’infraction grave et flagrante d’une clause contractuelle ».
La Cour d’appel a retenu que, selon les termes du contrat, le défaut de réalisation du chiffre d’affaires annuel minimum peut être constitutif d’une faute grave, justifiant la résiliation immédiate sans préavis. Ayant constaté que le chiffre d’affaires réalisé par le distributeur en 2008, 2009 et 2010 était nettement en deçà des termes contractuels, la Cour d’appel en a déduit que le fournisseur pouvait invoquer la faute grave de son distributeur pour rompre le contrat sans préavis.
L’arrêt d’appel est cassé par la Cour de cassation au visa de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce au motif « qu’en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi la non-réalisation, par [le Distributeur], de l’objectif de chiffre d’affaires prévu au contrat, était de nature à caractériser un manquement suffisamment grave de cette dernière à ses obligations, justifiant la rupture sans préavis de leur relation commerciale, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » [1].
Dès lors, la Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme qu’un manquement aux objectifs autorisant une résiliation automatique du contrat selon une clause résolutoire ne constitue pas nécessairement une faute grave dispensatrice de préavis au titre de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
Les juges du fonds restent tenus de caractériser, indépendamment des dispositions du contrat, le manquement suffisamment grave justifiant une rupture sans préavis de la relation commerciale établie concernée.
[1] Cass. com., 5 avr. 2018, n° 16-19.923