Participation du public à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement : avancée démocratique ou nouvel avatar monstrueux de la charte de l’environnement ?
L’entrée en vigueur le 1er septembre 2013 de l’ordonnance du 5 août 2013 relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement pour l’application de la loi du 27 septembre 2012, impose désormais aux autorités publiques de consulter le public avant de prendre une décision susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement.
Les contours de la loi et les dispositifs mis en place par les autorités publiques dans une certaine confusion afin de se conformer à cette nouvelle obligation sont décrits dans l’article intitulé « Lancement du dispositif de participation du public ».
Le caractère général de l’article 7 de la Charte de l’environnement, intégrée à la Constitution en 2005, et les imprécisions de la loi seront inévitablement sources de très nombreux contentieux.
Déjà des difficultés sont nées sur les moyens à mettre en place pour consulter le public. L’impact que ces consultations généralisées sont susceptibles d’avoir sur les délais de prises de décisions publiques semble également mal maîtrisé.
A titre d’exemple, aux termes du Code rural, le Ministre de l’agriculture dispose d’un délai de deux mois pour accorder ou refuser une autorisation de mise sur le marché après réception de l’avis de l’ANSES, Agence publique chargée de l’évaluation des produits phytosanitaires et de leur impact sur l’environnement et la santé.
Si l’on admet que les décisions du Ministre sous soumises à la nouvelle procédure de consultation du public nonobstant le fait que l’impact sur l’environnement et la santé des produits faisant l’objet de demandes d’autorisation est évalué par une Agence indépendante constituée d’experts, le Ministre doit consulter le public sur ses projets de décision.
Le code rural prévoyant que le Ministre doit prendre sa décision dans le délai de deux mois de la réception de l’avis de l’ANSES, doit-on en conclure que cette consultation doit être organisée et doit s’achever avant l’issue de ce délai ? La réponse à cette question n’est pas anodine, le silence du Ministre valant rejet et ouvrant droit à recours devant les juridictions administratives.
Dans la pratique, le Ministère de l’agriculture a mis en ligne sur son site le 12 novembre dernier des projets de décisions, dont certains au-delà du délai de deux mois fixé par la loi.
Nul doute que de nombreuses décisions administratives, tant au niveau national que local et dans une multitude de domaines, seront affectées par ce nouveau mécanisme de consultation, sans que les décisionnaires (ministres, préfets, maires etc…) sachent toujours s’il doit être appliqué au cas d’espèce.
Or, comme pour l’écotaxe, la loi du 27 décembre 2012 a fait l’objet d’un large consensus des parlementaires de tout bord comme constituant une avancée démocratique, et l’ordonnance du 6 août 2013, censée la mettre en œuvre, a été accueillie dans l’indifférence générale.
La participation du public à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement dans le cadre d’une consultation préalable à la prise de décision soulève pourtant de vraies questions de société dans les domaines où la décision dépend d’évaluations scientifiques par des agences indépendantes nationales et internationales, comme l’ANSES en France ou l’ECHA au niveau européen.
Ce dispositif risque en effet d’offrir un nouveau moyen d’expression pour les associations écologistes radicales qui ont déclaré la guerre à la chimie et à l’agrochimie en multipliant les actions judiciaires – généralement infructueuses – et les campagnes de presse fondées sur de pseudo-études scientifiques émanant de chercheurs militants dont le manque de rigueur scientifique est régulièrement dénoncé par leurs pairs.
Quelle attitude aura le Ministre de l’agriculture si des milliers de messages sont postés sur le site de son ministère pour lui demander de renoncer à un projet d’autorisation de mise sur le marché d’un produit phytosanitaire en dépit de l’avis positif de l’ANSES fondé sur des considérations scientifiques incontestables?
Même si des formes de consultation du public existent déjà depuis des décennies dans un certain nombre de pays, comme les Etats-Unis, il y a un risque que la mise en œuvre d’un tel dispositif soit tributaire en France du catastrophisme ambiant sur fond de rejet de toute forme de progrès, perçu comme générateur de risques et portant atteinte à des « valeurs » partagées par les conservateurs de tout bord.
D’autant que les écologistes radicaux, encouragés par les récentes innovations législatives que constituent la protection des lanceurs d’alerte et la consultation du public, ont d’autres idées en réserve.
Dans le cadre des discussions qui ont accompagné les différentes phases du Grenelle de l’environnement, certains ont même imaginé de soumettre les projets de recherches des entreprises à l’autorisation préalable d’une commission dont une partie significative des représentants émaneraient de la « société civile », et ce afin de contrôler que le résultat attendu n’est pas susceptible de porter atteinte à l’environnement.
Ce serait, selon les auteurs de cette proposition, ni plus ni moins que la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement aux termes duquel : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.»
Ce qu’ils traduisent comme la nécessité d’encadrer les programmes de recherche des entreprises même en cas de risque incertain, donc non avéré. Ce qui amorcerait le glissement progressif de la démocratie vers la démocratie populaire, sans que nos parlementaires aient encore pris conscience de cette évolution discrète et à petits pas vers un autre modèle de société où la science serait supplantée par l’idéologie et le droit par l’émotion, à contre-courant de tous les autres pays développés qui font face à l’émergence des pays en voie de développement dans tous les domaines de l’innovation.
Au dix-neuvième siècle, certains maires se sont opposés à l’arrivée du train dans leur commune en raison des dangers que la vitesse était susceptible de représenter pour leurs administrés.
La carte du « désert français » correspond souvent aux actes de résistance de ces maires pour qui ce nouveau moyen de transport constituait une innovation effrayante. Le train s’est détourné et a laissé durablement des pans entiers de notre territoire sur le bord de la route.
Parlementaires, réveillez-vous ! Sinon, les laboratoires de recherche continueront de fuir notre pays et les entreprises industrielles continueront de se délocaliser, provoquant la disparition de centaines de milliers voire de millions d’emplois et un effacement de la France sur la carte du monde.