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Publié le 1 février 2014 par Soulier Avocats

Peut-on fausser la concurrence en s’affranchissant de la règlementation ?

Dans un arrêt du 21 janvier 2014[1], la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que l’exploitation sans autorisation préalable d’une activité soumise à la législation sur les installations classées pouvait constituer un acte de concurrence déloyale. Elle vient ainsi alimenter les nombreux exemples d’applications jurisprudentielles de la concurrence déloyale.

Dans cette affaire, une société spécialisée dans la récupération de matières métalliques recyclables issues en particulier des véhicules hors d’usage exploitait une activité de broyage listée dans la nomenclature des installations classées et nécessitant une autorisation préalable.

Considérant que son concurrent s’était rendu coupable de concurrence déloyale pendant les deux ans où il avait exercé la même activité mais sans autorisation, elle l’a assigné devant le Tribunal de commerce en lui demandant de constater l’existence de ces agissements et d’indemniser ses préjudices, constitués selon elle d’une perte de marge brute sur la période concernée et d’une atteinte à son image commerciale.

En première instance, le Tribunal de commerce avait rejeté ses demandes et l’avait même condamnée à payer la somme de 15 000 euros en considérant la procédure comme abusive.

En appel, la Cour d’appel a au contraire jugé que « le défaut, par la société intimée, du respect de la réglementation administrative relative à l’activité commerciale de broyage, constitue, pour la société appelante, un acte de concurrence illicite et déloyale générateur, en lui-même, d’un trouble commercial impliquant l’existence d’un préjudice. »

Cette position est validée par la Cour de cassation, laquelle a considéré :

  • d’une part, que « l’arrêt, après avoir relevé que de septembre 2005 à octobre 2007, la société MARCHETTO avait exploité une installation de broyage et entreposage de véhicules hors d’usage sans autorisation préfectorale et en violation de la réglementation en vigueur, en déduit qu’un tel agissement avait apporté une distorsion dans le jeu de la concurrence afférente au marché des activités de stockage de véhicules hors d’usage », et
  • d’autre part, que « la qualification de concurrence déloyale ne suppose pas que les faits incriminés aient procuré un profit à leur auteur ».

Ce n’est pas la première fois que le juge affirme que le non-respect d’une réglementation est susceptible de perturber le marché en plaçant une société dans une situation anormalement favorable par rapport à ses concurrents qui la respectent. On peut considérer en effet que ceux qui s’affranchissent des règlementations se placent dans une situation anormalement favorable vis-à-vis de leurs concurrents. Comme l’avait clairement expliqué la Cour d’appel, l’inobservation de la règlementation imposée à une activité commerciale est constitutive d’une faute de concurrence déloyale vis-à-vis du concurrent qui la respecte et la liberté du commerce suppose que les entreprises exercent une concurrence par les mérites, s’interdisant ainsi tout procédé déloyal qui leur conférerait un avantage injustifié.

Il n’est pas nécessaire de prouver que les agissements aient procuré un profit à leur auteur pour qu’ils soient qualifiés de concurrence déloyale. Si tel est le cas, cet avantage injustifié sera pris en considération dans l’évaluation du préjudice.

L’action en concurrence déloyale, qui repose sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, suppose en effet non seulement l’existence d’une faute mais aussi celle d’un préjudice. Il peut s’agir d’un préjudice matériel, souvent constitué d’une perte de clientèle ou de bénéfices, voire d’un préjudice moral, en raison de l’atteinte portée à l’enseigne ou à l’image de marque de l’entreprise.

Toute la difficulté réside alors dans l’évaluation et la démonstration de ce préjudice. En l’espèce, le concurrent réclamait la somme de 1 655 268 euros au titre de la perte de marge sur la période concernée, et 50 000 euros au titre de l’atteinte à son image commerciale.

Sur le préjudice matériel, la Cour d’appel avait constaté que « la part imputable à la pratique de concurrence déloyale, dans la perte globale de marge, n’en constitue qu’une proportion sans doute minime, la perte de marge étant surtout due à l’exercice d’une concurrence par les mérites entre deux concurrents dans la même zone de chalandise ».

Selon elle, pour évaluer la part exclusivement due à la pratique litigieuse, il aurait fallu que le demandeur évalue les coûts des travaux de mise en conformité du site du défendeur, et les autres dépenses, qui auraient été différés durant la période litigieuse d’exercice de son activité sans autorisation et dont l’économie temporaire lui aurait permis de pratiquer des prix plus bas ou d’acheter la ferraille à des prix plus élevés.

Cependant, et puisque la preuve d’un préjudice chiffré n’est pas une condition nécessaire au succès de cette demande, elle a considéré qu’elle disposait de suffisamment d’éléments (en l’espèce la nature du marché considéré, la marge brute généralement générée par l’activité concernée, et la durée de l’exploitation irrégulière) pour valablement apprécier le préjudice subi et fixer le montant de l’indemnité réparatrice à 50 000 euros.

Sur le préjudice moral, faute d’éléments venant étayer la demande, rien n’a été accordé.

Cette jurisprudence prend tout son sens lorsque l’on sait que les entreprises doivent se conformer à une réglementation toujours plus vaste et complexe, et que les moyens humains et matériels dont disposent les services administratifs compétents pour en contrôler le respect sont encore trop limités.

C’est en effet à l’administration qu’il appartient de sanctionner le non-respect de la réglementation en prononçant les sanctions administratives prévues par cette réglementation.

En cas d’exploitation d’installation classée sans titre, elle peut notamment suspendre provisoirement le fonctionnement de l’installation (Art. L 171-8 du Code de l’environnement). En pratique, les contrôles et la mise en œuvre de sanctions demeurent cependant insuffisants.

On apprend d’ailleurs à la lecture de l’arrêt de la Cour d’appel que le concurrent avait d’abord tenté mais sans succès de faire cesser les agissements de concurrence déloyale par des démarches administratives auprès des services compétents. D’ailleurs, il aurait peut-être pu agir en responsabilité contre l’Etat pour carence fautive dans la mise en œuvre de ces pouvoirs.

Sur le plan pénal, l’exploitation d’une installation classée sans autorisation constitue un délit puni d’une amende de 75 000 euros et d’une peine d’emprisonnement d’un an (Art. L. 173-1, I du Code de l’environnement). Les juridictions répressives ont d’ailleurs déjà jugé que l’exploitation irrégulière d’une installation classée constituait « une conduite hautement préjudiciable dans la mesure où elle constitue un acte de concurrence déloyale vis-à-vis des exploitants qui respectent la législation en vigueur et où elle bafoue les règles élémentaires qui visent à protéger l’environnement bien commun à tous les hommes »[2].

Reste enfin la voie judiciaire civile. Le concurrent lésé peut demander au juge du fond d’ordonner des mesures de nature à faire cesser les agissements de concurrence déloyale (en l’espèce, les agissements avaient cessé au jour où le juge de première instance a statué, par la délivrance, entre temps, de l’autorisation préfectorale requise) et, comme en l’espèce, l’indemnisation des préjudices causés par ces agissements. Il peut également demander au juge des référés d’ordonner des mesures provisoires de nature à faire cesser ces agissements à condition de prouver qu’ils constituent un trouble manifestement illicite.


[1] Com. 21 janvier 2014, n°12-25443.

[2] CA Rioms, 19 avril 2006, n°06-00041, confirmé par Crim., 5 décembre 2006, n°06-83527.