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Publié le 1 juin 2011 par Soulier Avocats

Points clefs du communiqué de l’autorité de la concurrence sur les sanctions pécuniaires en matière de pratiques anticoncurrentielles

Le 16 mai 2011, l’Autorité de la concurrence (« l’ADLC ») a publié son communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires en cas d’ententes anticoncurrentielles et d’abus de position dominante[1].

Certes, l’article L.464-2 du Code de commerce prévoyait déjà les critères de détermination des sanctions pécuniaires (en fonction de la gravité des faits reprochés, l’importance du dommage à l’économie, la situation de l’entreprise sanctionnée et l’éventuelle réitération des pratiques) et le montant maximum de 10% du chiffre d’affaires à titre de plafond des sanctions pouvant être infligées.

Il est néanmoins apparu, au fil de la pratique décisionnelle de l’ADLC, que des lignes directrices encore plus explicites sur la méthode de détermination des sanctions étaient nécessaires afin d’accroître, pour les entreprises, la prévisibilité des sanctions encourues et d’améliorer, par là-même, leur double fonction répressive et dissuasive.

Les divergences de position entre la Cour d’Appel de Paris et le Conseil de la concurrence, dans des affaires récentes, ont fini de convaincre de la nécessité et de l’urgence à adopter de telles lignes directrices. En effet, dans l’affaire du cartel de l’acier[2], la Cour d’appel de Paris avait réduit par huit (de 575 millions d’euros à 75 millions) le montant des sanctions pécuniaires infligées aux membres du cartel par le Conseil de la concurrence, ce qui avait eu pour effet de discréditer la méthode de calcul des sanctions appliquée par le Conseil.

L’adoption de lignes directrices, qui a finalement pris la forme d’un communiqué, était donc très attendue.

Outre le fait que ce communiqué a le mérite de clarifier et expliciter la méthode de calcul des sanctions pécuniaires suivie par l’ADLC (2), il améliore sensiblement les droits de la défense des entreprises incriminées du chef de pratiques anticoncurrentielles et ce, sous différents aspects (1). Si une meilleure transparence et une plus grande lisibilité comptent, sans conteste, parmi les effets vertueux de l’adoption d’un tel communiqué, une conséquence pernicieuse est néanmoins à redouter : le risque d’augmentation sensible du niveau des sanctions pécuniaires infligées (3).

1- Le communiqué améliore les droits de la défense des entreprises incriminées

a) le communiqué est « opposable » à l’ADLC et l’ « engage »

Le point 7 du communiqué prévoit expressément qu’il « engage » l’ADLC, qu’il lui est « opposable » et qu’il revêt « le caractère d’une directive au sens de la jurisprudence administrative » (point 14 du communiqué).

Dès lors, l’ADLC est censée suivre la méthode de calcul détaillée dans le communiqué.

Toutefois, refusant le principe d’un « barème mécanique », l’ADLC se réserve la possibilité de s’émanciper du communiqué, à condition qu’elle « explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d’intérêt général la conduisant à s’en écarter dans un cas donné » (point 7 du communiqué).

Un certain degré d’insécurité juridique demeure du fait du maintien de cette marge de manœuvre ou d’appréciation conservée par l’ADLC. Ainsi en est-il par exemple lorsque l’ADLC décide de substituer, pour la prise en compte de la valeur des ventes réalisées, un autre exercice que le dernier exercice, retenu par défaut, au cours duquel a été constatée la participation à l’infraction. En effet, aux termes du point 37 du communiqué, l’ADLC peut choisir un autre exercice qu’elle considère comme plus représentatif, à condition toutefois qu’elle motive son choix[3].

b) l’exercice du pouvoir de sanction de l’ADLC est rendu plus transparent

Le communiqué a pour mérite d’éclairer les entreprises sur la méthode concrète que suivra l’ADLC pour évaluer la sanction qui risque d’être infligée, ce qui permet d’accroître le degré de prévisibilité des amendes encourues.

Néanmoins, le communiqué ne saurait être considéré comme la liste exhaustive de l’ensemble des circonstances présidant à la détermination de la sanction pécuniaire (point 15 du communiqué).

c) le communiqué introduit davantage de contradictoire

L’adoption du communiqué est également bénéfique au principe du contradictoire.

L’ADLC s’impose d’informer, lors de l’instruction, l’entreprise concernée des principaux éléments de droit et de fait susceptibles d’influer sur le calcul d’une éventuelle amende, afin de lui permettre de présenter des observations à cet égard (point 17 du communiqué). Cette obligation améliore d’autant, pour les entreprises, la prévisibilité des sanctions susceptibles d’être infligées.

2- Convergences et divergences des méthodes respectives de calcul des sanctions de l’ADLC et de la Commission européenne

D’une manière générale, la méthode de calcul adoptée par l’ADLC s’inspire fortement de celle retenue par la Commission européenne dans ses lignes directrices de 2006[4] (ci-après « LD »), à cela près qu’elle paraît moins sévère à certains égards.

Le principe général reste néanmoins le même : un montant de base est retenu, susceptible de varier à la hausse ou à la baisse par l’application de mécanismes d’ajustements (lesquels tiennent compte de circonstances aggravantes ou atténuantes).

La méthode de détermination suivie par l’ADLC se décompose en quatre étapes : la détermination du montant de base (a) est ensuite pondérée au titre du principe d’individualisation de la sanction (b). La réitération de l’infraction (c) ainsi que d’autres mécanismes d’ajustements (d) sont pris en considération en vue d’aboutir à l’évaluation la plus « personnalisée » possible du montant des sanctions à infliger.

a) le montant de base de la sanction pécuniaire

Un pourcentage de la valeur des ventes de produits ou services en lien avec l’infraction, compris dans une fourchette de 0 et 30% (avec un plancher obligatoire de 15% pour les cartels), est retenu comme montant de base de la sanction pécuniaire, le chiffre d’affaires total de l’entreprise incriminée n’ayant pas été reconnu, par le passé, comme suffisamment représentatif de l’étendue de l’infraction reprochée.

La détermination du pourcentage précis des ventes, au sein de la fourchette considérée et sur la  base de la dernière année complète de participation à l’infraction, se fait à l’aulne des deux critères que sont :

  • la gravité de la pratique : nature de la pratique (entente horizontale ou verticale), nature des activités (service public, marché public…)
  • le dommage causé à l’économie : portée géographique de l’infraction, marchés affectés par l’infraction (barrières à l’entrée, élasticité-prix…), impact de l’infraction en termes de prix (augmentation des prix ou absence de baisse du prix attendue…)

Ensuite seulement, l’ADLC tient compte de la durée de l’infraction, pour affiner la détermination du montant de base.

Concernant la détermination du montant de base, certaines convergences entre les deux méthodes de calcul de l’ADLC et de la Commission européenne sont évidentes : pour les deux autorités, ce sont les ventes « en relation avec l’infraction » (point 33 du communiqué) avec une spécificité pour la Commission européenne qui considère les biens et services « en relation directe et indirecte avec l’infraction » (point 13 des LD). En l’absence de définition des adjectifs « direct ou indirect », il est néanmoins difficile d’être absolument certain que le terme « en relation » recouvre la même réalité pour l’ADLC et la Commission européenne.

Par ailleurs, l’ADLC et la Commission européenne retiennent le même pourcentage maximal des ventes de 30% (point 40 du communiqué, point 21 des LD de la Commission européenne) et le même seuil plancher de 15% pour les accords horizontaux les plus répréhensibles (point 41 du communiqué et point 25 des LD).

En revanche, une divergence d’importance apparaît entre l’ADLC et la Commission européenne s’agissant de la prise en compte de la durée de l’infraction. L’ADLC paraît, à ce titre, beaucoup moins sévère que ne l’est la Commission européenne : dans le cas d’infractions se prolongeant sur plusieurs années, l’ADLC retient bien, pour la première année, la valeur totale des ventes comprises entre 0 et 30% et, pour les années suivantes, seulement la moitié de cette valeur.

Là où l’ADLC choisit d’appliquer un coefficient de 0,5 par année supplémentaire au-delà de la première année d’infraction, la Commission européenne continue d’appliquer un coefficient de 1 par année supplémentaire.

b) l’individualisation de la sanction pécuniaire

En ce qui concerne l’individualisation de l’amende, l’ADLC reprend la plupart des circonstances atténuantes (le fait que l’entreprise incriminée soit « monoproduit » par exemple) ou aggravantes (la taille importante ou la puissance économique du groupe auquel appartient l’entreprise incriminée) des LD de la Commission.

Le communiqué précise que le critère de l’appartenance à un groupe est désormais pris en considération dans le cas où l’infraction est également imputable à la société qui contrôle l’entreprise incriminée au sein du groupe. Ainsi, la sanction pourra être potentiellement aggravée en présence d’un lien entre appartenance à un groupe et imputabilité de la pratique à la société-mère.

La position de l’ADLC à l’égard des circonstances atténuantes peut paraître plus sévère que celle de la Commission, en ce qu’elle ne considère pas comme susceptibles de diminuer le montant de la sanction la cessation spontanée de l’infraction, la commission de l’infraction par négligence, l’adoption de programmes de conformité ou la coopération (en dehors de la clémence).

En réalité, l’ADLC entend consacrer un communiqué particulier, qui paraîtra à l’automne 2011, dédié à la place accordée aux programmes de conformité. Ainsi, en note de bas de page 1 du communiqué, l’ADLC précise que « son approche de la conformité fera prochainement l’objet d’un document-cadre destiné à les [les entreprises] aider à assurer l’efficacité de ces programmes. Par ailleurs, les modalités suivant lesquelles l’Autorité peut tenir compte de propositions d’engagements de mise en place de tels programmes présentées dans le cadre de la procédure de non contestation des griefs prévue par le III de l’article L.464-2 du code de commerce, en accordant une réduction de sanction pécuniaire si ces engagements sont pertinents, crédibles et vérifiables, seront précisées dans un communiqué de procédure à ce sujet ».  

c) la modulation de la sanction prononcée en fonction de la réitération de l’infraction

La récidive est évidemment perçue comme une « circonstance aggravante » par l’ADLC même si la position de l’autorité française de concurrence paraît moins sévère que celle de la Commission européenne.

Pour l’ADLC, quatre conditions cumulatives doivent être réunies pour caractériser la réitération :

  • une précédente infraction au droit de la concurrence doit avoir été constatée avant la fin de la nouvelle pratique ;
  • la nouvelle pratique doit être identique ou similaire, par son objet ou ses effets, à celle ayant donné lieu au précédent constat d’infraction ;
  • le précédent constat d’infraction doit avoir acquis un caractère définitif à la date à laquelle l’ADLC statue sur la nouvelle pratique et ;
  • le délai écoulé entre le précédent constat d’infraction et la nouvelle infraction doit être pris en considération.

L’appréciation moins sévère par l’ADLC de la réitération s’illustre au travers du fait que :

  • l’ADLC opte pour une limitation dans le temps de la récidive. Lorsque le délai écoulé entre la dernière infraction et l’infraction observée par l’ADLC excède 15 ans, la réitération susceptible d’aggraver la sanction prononcée n’est pas prise en compte (point 51 du communiqué)
  • l’ADLC s’impose une fourchette entre 15 et 50% (et donc un plafond de 50%) par infraction constatée, là où la Commission européenne prévoit une augmentation de 100% par infraction constatée (point 28 des LD)
  • l’ADLC ne retient, pour caractériser la réitération, que les infractions constatées par une décision devenue définitive à la date à laquelle elle statue sur la nouvelle pratique alors que la Commission européenne n’exige pas que ladite précédente infraction ait été constatée de manière définitive[5].

d) les ajustements finaux

En tout état de cause, il incombe à l’ADLC de vérifier qu’après individualisation et prise en compte éventuelle de la réitération, le montant de la sanction n’excède pas le maximum légal de 10% du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos précédant celui au cours duquel l’infraction a été constatée, si le contrevenant est une entreprise.

Le montant de la sanction arrêté peut encore être réduit au titre de l’exonération totale ou partielle accordée au titre de la procédure de clémence ou de la non-contestation de griefs.

La sanction peut encore être réduite lorsque le contrevenant fait état de difficultés financières affectant sa capacité contributive, étant précisé que les difficultés alléguées doivent être « réelles et actuelles », doivent être propres au contrevenant (et non pas lié à des difficultés conjoncturelles liées à son secteur d’activité) et doivent l’empêcher concrètement de « s’acquitter en tout ou partie de la sanction pécuniaire pouvant lui être imposée » (point 65 du communiqué).

3) Effet pernicieux de la méthode de calcul adoptée par l’ADLC : le risque d’augmentation des amendes

Le fait que la méthode de calcul des sanctions adoptée par l’ADLC s’inscrive désormais dans un cadre contraignant devrait avoir pour corollaire l’augmentation significative des amendes infligées.

La détermination d’un montant de base entre 0 et 30%, qui oscillera probablement dans la plupart des cas autour de 15-20%, contribue d’ores et déjà à augmenter le niveau des sanctions risquant d’être prononcées.

 


[1] http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/communique_sanctions_concurrence_16mai2011_fr.pdf

[2] CA Paris 19 janvier 2010, Société AMD Sud-Ouest et a., RG n°2009/00334

[3] Point 37 du communiqué : « dans les cas où elle considère que le dernier exercice comptable complet de participation à l’infraction ne constitue manifestement pas une référence représentative, l’Autorité retient un exercice qu’elle estime plus approprié ou une moyenne d’exercices, en motivant ce choix ».

[4] http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2006:210:0002:0005:FR:PDF

[5] CJCE 17 juin 2010 Lafarge SA, aff. C-413/08 : « il suffit que l’entreprise ait été préalablement considérée comme coupable d’une infraction du même type, même si la décision est encore soumise à un contrôle juridictionnel, pour que la Commission puisse tenir compte de la récidive ».