Pollution de l’air : l’État condamné pour la troisième fois à payer 10 millions d’euros d’astreinte
Constatant que l’État n’avait pas pris les mesures nécessaires pour faire respecter les seuils européens de pollution de l’air dans plusieurs zones urbaines de France, le Conseil d’État l’a condamné en 2021 et 2022 à payer 3 astreintes de 10 millions d’euros par semestre de retard.
Dans un arrêt du 24 novembre 2023, compte tenu de la persistance de la pollution à Paris et à Lyon mais également des améliorations constatées, le Conseil d’État décide de condamner à nouveau l’État au paiement de deux astreintes de 5 millions d’euros pour les deux semestres allant de juillet 2022 à juillet 2023[1].
Contexte
En 2017, le Conseil d’État a enjoint l’État de mettre en œuvre des plans pour réduire les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines (PM10) dans 13 zones urbaines en France afin de respecter la directive européenne n°2008/50 du 11 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur en Europe, transposée dans le code de l’environnement aux articles L. 221-1 et R. 221-1 notamment[2].
L’exécution de cet arrêt du Conseil d’État a ensuite donné lieu à plusieurs décisions. Il a dans un premier temps prononcé une astreinte de 10 millions d’euros par semestre jusqu’à la date de l’exécution après avoir constaté que trois ans plus tard les mesures prises étaient insuffisantes pour atteindre les objectifs précités[3]. Puis il a condamné l’État à payer 10 millions d’euros en raison de la pollution au dioxyde d’azote dans cinq zones et de la pollution aux PM10 dans l’agglomération parisienne pour la période courant du 11 janvier au 11 juillet 2021[4]. Puis il a condamné à nouveau l’État à deux nouvelles astreintes de 10 millions d’euros pour les deux périodes allant de juillet 2021 à janvier 2022 et de janvier à juillet 2022, en prévoyant de réexaminer en 2023 les actions de l’État menées à partir du second semestre 2022[5].
Concentrations en particules fines PM10
Dans sa précédente décision du 17 octobre 2022, le Conseil d’État avait retenu que la zone à risque – agglomération (ZAG) de Paris était la seule zone où des dépassements des taux de concentration en particules fines PM10 demeuraient.
Aucun dépassement n’a été constaté en 2021, ni en 2022.
Sur cette base, le Conseil d’État a considéré que la situation d’absence de dépassement dans la ZAG Paris pouvait désormais être « considérée comme consolidée », et donc que la décision du 12 juillet 2017 pouvait « être regardée comme étant exécutée s’agissant du respect des taux de concentration en particules fines ».
Concentrations en dioxyde d’azote
Pour le dioxyde d’azote, sur les quatre zones concernées par le défaut d’exécution, le Conseil d’État relève que :
- la ZAG Toulouse et la ZAG Marseille-Aix ne présentent plus, en 2022, de dépassement de la valeur limite fixée à l’article R. 221-1 du code de l’environnement. Toutefois, la ZAG Marseille-Aix connaît encore une station de mesure (Marseille Rabatau) pour laquelle a été constatée en moyenne sur l’année civile une valeur à 39 μg/m3, soit juste en-dessous de la valeur limite de 40 μg/m3 ;
- la ZAG Paris et la ZAG Lyon continuent de présenter des dépassements : si la moyenne annuelle de concentration en dioxyde d’azote constatée a globalement diminué dans toutes les stations de mesure en 2022 par rapport à 2019, la valeur limite de concentration de 40 μg/m3 a été dépassée pendant la période considérée dans huit stations de mesure de la ZAG Paris et dans une station de mesure de la ZAG Lyon.
Dans ces conditions, le Conseil constate que la décision du 12 juillet 2017 ne peut être regardée comme étant désormais exécutée que pour la seule ZAG Toulouse. La situation à Marseille-Aix ne peut, en raison de la persistance d’une valeur très proche de la valeur limite, être considérée comme suffisamment consolidée et les ZAG Lyon et Paris connaissent encore des dépassements significatifs pour ce polluant.
Pour ces trois zones, le Conseil d’État a examiné les mesures adoptées depuis l’intervention de la décision du 17 octobre 2022 pour apprécier si elles étaient de nature à ramener, dans le délai le plus court possible, les taux de concentration pour ce polluant en deçà de la valeur limite fixée à l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans les zones présentant encore un dépassement de cette valeur limite ou sont de nature à consolider la situation pour les zones présentant des taux se trouvant très près de cette valeur limite.
ZAG Marseille-Aix
Le Conseil d’État a jugé que les mesures suivantes qui avaient été prises étaient suffisamment précises et détaillées pour envisager que le respect des valeurs limites de concentration en dioxyde d’azote, déjà constaté dans cette zone en 2022, se poursuivra :
- Révision et approbation d’un plan de protection de l’atmosphère en mai 2022, lequel comporte notamment des mesures relatives aux transports (qui visent en particulier à réduire la pollution de l’air liée au transport maritime, ainsi que celle liée aux transports automobiles en milieu urbain) ;
- Mise en œuvre de mesures spécifiques pour limiter la pollution causée par les navires (notamment le déploiement des bornes électriques sur les quais afin que les navires soient alimentés en électricité et qu’ils ne produisent plus d’émissions lorsqu’ils sont à quai, ou encore la réduction de la vitesse de navigation aux abords et dans le port) ;
- Instauration d’une zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m), c’est-à-dire une zone fixant des mesures de restriction de circulation et déterminant les catégories de véhicules concernés par ces restrictions, couvrant le centre-ville élargi de Marseille, le 1er septembre 2022 (avec interdiction de circulation des véhicules comportant une vignette Crit’Air 4 sur la zone couverte par la ZFE-m depuis septembre 2023, et interdiction des véhicules comportant une vignette Crit’Air 3 prévue à compter de septembre 2024).
Il a donc considéré qu’elles assuraient, pour la zone qu’elles concernent, une correcte exécution de la décision du Conseil d’État t du 12 juillet 2017.
ZAG Lyon
A Lyon, une station (Lyon périphérique) connaît encore un dépassement, avec une valeur de 47 μg/m3, en baisse par rapport à celle constatée pour cette station en 2021 et se rapprochant de la valeur limite de 40 μg/m3.
Le Conseil d’État a jugé que si les mesures suivantes qui ont été prises sont susceptibles de permettre de ramener le niveau de concentration en dioxyde d’azote en dessous de la valeur limite pour l’ensemble des stations de mesure à Lyon, elles n’étaient pas suffisantes pour garantir le respect des valeurs limites :
- Adoption d’une révision du plan de protection de l’atmosphère le 24 novembre 2022 ;
- Adoption de nouvelles mesures de restriction de la circulation dans le cadre de la ZFE-m de la Métropole de Lyon (avec interdiction de circulation des véhicules comportant une vignette Crit’Air 4 à compter du 1er janvier 2024, et celle des véhicules comportant une vignette Crit’Air 3 à compter du 1er janvier 2025) ;
- Extension de la ZFE-m à compter du 1er janvier 2024 aux voies rapides (incluant la station pour laquelle persiste un dépassement).
ZAG Paris
A Paris, 8 stations sont encore en dépassement, avec des valeurs atteignant 52 μg/m3 dans deux stations (Autoroute A1 à Saint-Denis et boulevard périphérique Est).
Le Conseil d’État t a jugé qu’aucune mesure nouvelle de nature à réduire de façon significative et rapide les taux de concentration en dioxyde d’azote n’a, en pratique, été mise en œuvre depuis sa précédente décision :
- Le plan révisé de protection de l’atmosphère, qui ne devrait de toute façon pas avoir un effet immédiat et sensible sur la pollution de l’air, n’est qu’en cours d’adoption (et ce alors même que la ZAG Paris est en situation de dépassement significatif des valeurs limites en dioxyde d’azote depuis de nombreuses années) ;
- L’interdiction de circulation des véhicules comportant une vignette Crit’Air 3, qui devait intervenir au 1er juillet 2023, a été repoussée au 1er janvier 2025.
En réalité, il apparaît qu’en l’état, il n’est pas attendu que les valeurs limites soient respectées dans tous les points de mesure en Ile-de-France avant 2030 !
Conclusion : deux astreintes de 5 millions d’euros
Le Conseil d’État juge qu’au regard de la situation à Lyon et à Paris, la décision du 12 juillet 2017 ne peut être considérée comme totalement exécutée.
Compte tenu à la fois de la persistance du dépassement, en région parisienne notamment, et des améliorations constatées (6 des 8 zones identifiées comme problématiques dans la décision de juillet 2020 ne présentent plus de dépassement), l’État est condamné au paiement de deux astreintes minorées de 5 millions d’euros pour le second semestre 2022 et le premier de 2023 (le montant de l’astreinte par semestre de retard est ainsi divisé par deux).
Rendez-vous est pris avec le Conseil d’État en 2024, pour réexaminer les actions menées à partir du second semestre 2023 (juillet 2023-janvier 2024) …
[1] CE, 24 novembre 2023, n°428409. Disponible à l’adresse : https://www.conseil-etat.fr/actualites/pollution-de-l-air-le-conseil-d-etat-condamne-l-etat-a-payer-deux-astreintes-de-5-millions-d-euros
[2] CE, 12 juillet 2017, n° 394254. Disponible à l’adresse : https://www.conseil-etat.fr/actualites/pollution-de-l-air
[3] CE, 10 juillet 2020, n° 428409. Disponible à l’adresse : https://www.conseil-etat.fr/actualites/le-conseil-d-etat-ordonne-au-gouvernement-de-prendre-des-mesures-pour-reduire-la-pollution-de-l-air-sous-astreinte-de-10-m-par-semestre-de-retard
[4] CE, 4 août 2021, n° 428409. Disponible à l’adresse : https://www.conseil-etat.fr/actualites/pollution-de-l-air-le-conseil-d-etat-condamne-l-etat-a-payer-10-millions-d-euros
[5] CE, 17 octobre 2022, n°428409. Disponible à l’adresse : https://www.conseil-etat.fr/actualites/pollution-de-l-air-le-conseil-d-etat-condamne-l-etat-a-payer-deux-astreintes-de-10-millions-d-euros