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Publié le 28 octobre 2022 par Soulier Avocats

Pollution de l’air : nouvelle condamnation de l’État

Après avoir ordonné à l’État en 2017 de respecter les normes de qualité de l’air, et en 2021 de payer une astreinte de 10 millions d’euros pour la période allant du 11 janvier au 11 juillet 2021, le Conseil d’État le condamne à payer deux nouvelles astreintes de 10 millions d’euros chacune pour les deux périodes allant de juillet 2021 à janvier 2022 et de janvier à juillet 2022 pour le dépassement persistant du taux de concentration en dioxyde d’azote.

Pour rappel l’article 13 de la directive européenne n°2008/50 du 11 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur en Europe impose des valeurs limites pour la qualité de l’air ambiant, et notamment des valeurs limites de concentration de polluants comme le dioxyde d’azote et de particules fines PM10, fixées à son annexe XI. En cas de non-respect de ces valeurs limites à la date prévue pour leur application (délai aujourd’hui expiré), l’article 23 de la directive prescrit aux États membres de prendre les mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible.

Ces obligations ont été transposées dans le code de l’environnement aux articles L. 221-1 et R. 221-1 notamment. Elles prévoient la mise en place de plans de protection de l’atmosphère (PPA) qui ont pour objet de ramener, à l’intérieur d’une zone définie, la concentration en polluants dans l’atmosphère à un niveau inférieur aux valeurs limites. 

En 2015, l’association Les amis de la Terre France avait saisi les autorités françaises pour que les dispositions précitées soient respectées, et notamment que les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines soient ramenées en dessous des seuils fixés sur l’ensemble du territoire national. En l’absence de réponse, elle avait demandé au Conseil d’État d’annuler les décisions implicites de rejet et d’enjoindre au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre un plan permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines sous les valeurs limites.

Dans un arrêt du 12 juillet 2017, le Conseil d’État avait constaté une méconnaissance des dispositions précitées du code de l’environnement transposant la directive précitée et une inefficacité des plans établis dans les zones concernées, et fait droit aux demandes de l’association. Il avait enjoint au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des 13 zones concernées par les dépassements de valeurs limites de concentration de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines (PM10), un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener ces concentrations sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018[1].

Sur le plan européen, la Commission européenne a décidé de saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) d’un recours contre la France pour non-respect des valeurs limites fixées pour le dioxyde d’azote (NO2) et pour manquement à l’obligation de prendre des mesures appropriées pour écourter le plus possible les périodes de dépassement. Dans son arrêt du 24 octobre 2019, la Cour a constaté que la France ne respectait pas les valeurs limites applicables aux concentrations de dioxyde d’azote (NO2) dans douze zones de qualité de l’air[2]) Puis la Commission a décidé de saisir à nouveau la CJUE d’un recours similaire relatif à la mauvaise qualité de l’air due à des niveaux élevés de particules (PM10). Dans son arrêt du 28 avril 2022, la Cour a également constaté que la France ne respectait pas les valeurs limites applicables aux concentrations de microparticules (PM10) dans deux zones de qualité de l’air[3].

Sur le plan national, l’exécution de l’arrêt du Conseil d’État précité du 12 juillet 2017 a donné lieu à plusieurs décisions. Le Conseil d’État a dans un premier temps prononcé une astreinte de 10 millions d’euros par semestre jusqu’à la date de l’exécution après avoir constaté que trois ans plus tard les mesures prises étaient insuffisantes pour atteindre les objectifs précités[4] . Puis dans un second temps il a condamné l’État à payer 10 millions d’euros en raison de la pollution au dioxyde d’azote dans cinq zones et de la pollution aux PM10 dans l’agglomération parisienne pour la période courant du 11 janvier au 11 juillet 2021[5] .

Si des améliorations dans la durée ont été constatées, les seuils limites de pollution au dioxyde d’azote – qui doivent être respectés depuis 2010 – restaient dépassés dans plusieurs zones en France, notamment dans les agglomérations de Paris, Lyon et Marseille.

Par l’arrêt du 17 octobre 2022, le Conseil d’État condamne à nouveau l’État à payer deux nouvelles astreintes de 10 millions d’euros pour les deux périodes allant de juillet 2021 à janvier 2022 et de janvier à juillet 2022.

Persistance des dépassements

Après analyse des nouveaux éléments fournis par le ministère chargé de l’écologie, le juge administratif note que la situation s’est globalement améliorée mais qu’elle reste fragile ou mauvaise dans quatre zones :

  • la situation de la zone de Toulouse reste fragile en 2021 avec une concentration moyenne annuelle de dioxyde d’azote juste en dessous de la valeur limite mais en augmentation par rapport à 2020 ;
  • pour les zones de Paris, Lyon et Aix-Marseille, si la moyenne annuelle de concentration en dioxyde d’azote a globalement diminué en 2021 par rapport à 2019, les seuils limites y ont été dépassés. 

Mesures insuffisantes

Le juge administratif juge que les mesures prises ne sont pas de nature à ramener, dans les délais les plus courts possibles, les taux de concentration en dioxyde d’azote en deçà de la valeur limite dans les zones concernées.

D’une part, il note que les mesures prises par le gouvernement dans le secteur des transports (aides à l’acquisition de véhicules moins polluants, développement des mobilités dites douces, déploiement de bornes de recharge) et du bâtiment (interdiction des chaudières à fioul ou à charbon) devraient avoir des effets positifs sur les niveaux de concentration en dioxyde d’azote dans l’air ambiant pour l’ensemble du territoire national. Il constate cependant que la contribution concrète de ces mesures à l’objectif de réduction de la durée de dépassement dans les zones concernées n’est pas établie.

D’autre part, il observe que le développement et le renforcement des « zones à faibles émissions mobilité » (ZFE-m) prévues par la loi Climat et résilience d’août 2021, avec la possibilité de restreindre la circulation des véhicules les plus polluants, peut permettre de réduire significativement les niveaux de concentration en dioxyde d’azote. Il constate cependant que des « zones à faibles émissions » (ZFE) ont déjà été instaurées par le passé à Paris et à Lyon et qu’aucune mesure nouvelle n’a été prise pour ces zones (le calendrier de mise en œuvre de restriction des véhicules les plus polluants a même été décalé à Paris). En parallèle, la ZFE-m de Toulouse n’est effective que depuis février 2022 et celle d’Aix-Marseille que depuis le 1er septembre 2022.

Enfin, le Conseil d’Etat constate que si des procédures de révision de plusieurs plans de protection de l’atmosphère (PPA) ont été récemment engagées ou sont en voie de l’être, l’objectif de respect des seuils limites demeure très éloigné (comme fixé à 2025 pour Lyon et Paris, et dans les « meilleurs délais » pour Aix-Marseille) et n’est accompagné d’aucun élément permettant de considérer ces délais comme étant les plus courts possibles.

Condamnation à deux astreintes de 10 millions d’euros

Les requérantes demandaient au Conseil d’État de majorer l’astreinte prononcée par la décision du 10 juillet 2020. Mais le Conseil d’État décide de ne pas modifier le montant de l’astreinte semestrielle.

Il reste fixé, pour la période allant du 12 juillet 2021 au 12 juillet 2022, à 10 millions d’euros par semestre de retard, comme prévu par la décision du 10 juillet 2020, ce qui conduit au montant total de 20 millions d’euros pour les deux semestres en cause.

L’astreinte est répartie entre l’association Les Amis de la Terre qui a saisi initialement le Conseil d’État en 2017 et plusieurs organismes et associations engagés dans la lutte contre la pollution de l’air. 

Il est prévu que le Conseil d’État réexamine en 2023 les actions de l’État menées à partir du second semestre 2022 (juillet 2022-janvier 2023). 


[1] CE, 12 juillet 2017, n° 394254

[2] CJUE, Commission/France, C-636/18

[3] CJUE, Commission/France, C-286/21

[4] CE, 10 juillet 2020, n° 428409

[5] CE, 4 août 2021, n° 428409