Principe de légalité criminelle et abandon de déchets amiantés
« Si c’est un mal que d’interpréter les lois, c’en sera un sans doute qu’elles soient obscures, puisqu’elles auront alors besoin d’interprétation ; ce mal sera bien plus grand si elles ne sont point écrites en langue vulgaire. Dans ce cas, le peuple sera dans la dépendance du petit nombre des dépositaires de la loi, qui deviendra une espèce d’oracle secret, tandis que le sort de la vie et de la liberté des citoyens devrait être consigné dans un livre qui fût à leur portée et entre leurs mains ».
(BECCARIA, Des Délits et des Peines)
Un homme est poursuivi pour le dépôt sauvage de plusieurs tonnes de déchets dans la nature.
Les services de Gendarmerie et l’Office Française de la Biodiversité le poursuivent pour diverses infractions et notamment l’une, propre au droit de l’environnement et prévue par le code de l’environnement en son article L.216-6 : le délit de jet ou abandon de déchets en quantité importante dans les eaux superficielles ou souterraines ou dans les eaux de la mer.
L’homme sera relaxé en vertu d’un principe cardinal du droit pénal : le principe de légalité criminelle.
En effet, l’article L.231-2 du Code de l’environnement dispose :
« Le fait d’abandonner, de déposer ou de faire déposer des déchets, dans des conditions contraires au chapitre Ier du titre IV du livre V, et le fait de gérer des déchets, au sens de l’article L. 541-1-1, sans satisfaire aux prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques de prise en charge des déchets et les procédés de traitement mis en œuvre fixées en application des articles L. 541-2, L. 541-2-1, L. 541-7-2, L. 541-21-1 et L. 541-22, lorsqu’ils provoquent une dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende.
Le délai de prescription de l’action publique du délit mentionné au premier alinéa du présent article court à compter de la découverte du dommage. ».
Il est nécessaire donc, pour caractériser cette infraction, que plusieurs éléments soient vérifiés.
Au titre de l’élément matériel
Au titre de l’élément matériel, l’infraction vise le fait d’abandonner et gérer des déchets en violation des normes, lorsqu’ils provoquent une dégradation substantielle de la faune, de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau.
Il est donc nécessaire de démontrer que :
- L’auteur de l’infraction a abandonné ou géré des déchets en violation des normes ;
- L’abandon ou la gestion des déchets a provoqué une dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau.
En d’autres termes, l’élément matériel du délit comprend un comportement (action ou abstention) et un résultat dommageable (dommage écologique). Nous sommes donc face à une infraction matérielle.
Au titre de l’élément moral de l’infraction
En application de l’article 121-3 du Code pénal, ce délit suppose également la preuve de l’intention coupable.
Nous l’avons donc compris, ce n’est qu’à la condition que l’élément matériel et l’élément moral soient vérifiés que l’infraction peut être caractérisée.
Cette nécessité de suivre de manière précise les dispositions prévues par le texte réside dans le principe de légalité criminelle. Celui-ci pourrait se résumer par l’adage : « Nullum crimen, nulla poena sine lege »[1]. Il signifie qu’il ne saurait y avoir de crimes, de délits et de contraventions sans une définition préalable de ces infractions, contenue dans un texte fixant leurs éléments constitutifs et la peine applicable. En dehors de ces éléments constitutifs l’infraction ne peut être caractérisée et le mis en cause devra être relaxé.
Ce principe de légalité criminelle a évolué puisqu’historiquement la loi était édictée seulement par le pouvoir législatif en se fondant sur le postulat que la loi pénale était « l’expression de la souveraineté nationale qui détient le droit de punir et doit pouvoir l’utiliser librement. »[2].
L’objectif était alors d’éviter l’arbitraire du juge.
Cependant ce postulat connaissait une difficulté : le texte pouvait parfois être de mauvaise qualité et son application en pâtissait.
Le principe de légalité criminelle a alors évolué.
Outrepassant la volonté de Portalis selon lequel « En matière criminelle (…) il faut des lois précises et point de jurisprudence », la jurisprudence est intervenue pour actualiser le droit applicable[3]. Le Conseil Constitutionnel, avec la QPC, a permis également un contrôle de la norme pénale pour s’assurer que celle-ci était conforme à la Constitution.
Mais concernant les éléments constitutifs de l’infraction, le principe d’interprétation stricte du droit pénal demeure. S’il n’est pas prouvé que le comportement peut être appréhendé par les éléments constitutifs de l’infraction alors le mis en cause ne peut être puni.
En l’espèce, les services enquêteurs considéraient, sans avoir fait d’analyse, que les déchets déposés étaient de l’amiante. La défense soulevait que l’absence d’analyse ne permettait pas de considérer que les déchets déposés étaient de l’amiante. La défense démontrait également qu’aucune analyse n’avait été effectuée afin de démonter une quelconque pollution du fait du dépôt.
Or la présence d’amiante était un élément constitutif de l’infraction puisque la matérialisation de l’infraction nécessitait la présence d’un déchet dangereux ayant pu polluer les sols.
L’infraction n’était pas caractérisée et l’application du principe de légalité criminelle empêchait une quelconque condamnation. L’individu était alors relaxé.
[1] Point de crime, point de peine, sans loi.
[2] Cahiers du Conseil Constitutionnel N° 26 (Dossier : La Constitution Et Le Droit Pénal) – Août 2009
[3] Cass. Crim. 16 mars 2016, N° 15-82.676